Page images
PDF
EPUB

de la République et de l'Empire et qui avaient, sous Napoléon, travaillé à refaire une marine française. Des hommes tout à fait étrangers à la navigation, des adolescents qui n'avaient pas vu la mer, recevaient des commandements ou des grades.

Ici ni là on ne contestait le courage des nouveaux venus; mais les uns ne l'avaient montré que contre la patrie; les autres en étaient à faire leurs preuves.

C'est le grand péril des restaurations, ces révolutions retournées, de ramener avec elles des hommes qui veulent contraindre les peuples à remonter vers le passé. Sans doute, il devait être pénible à Louis XVIII de résister aux sollicitations de gens qui, croyant servir sa famille, avaient, pendant vingt années, subi l'exil, la pauvreté et perdu quelques-uns des leurs. Cependant, le salut et l'avenir de son gouvernement étaient à ce prix : il ne sut pas le voir.

Ce qui se passait dans l'armée et dans la marine se passait de même dans toutes les branches de l'administration civile. Ici le danger était moindre et l'action du gouvernement mieux justifiée, car le pouvoir royal ne pouvait conserver tous les agents, tous les instruments serviles du despotisme impérial. Ce qui blessa l'opinion, ce ne fut pas la destitution de ceux-ci, mais, là, comme partout, l'invasion d'émigrés et de gentilshommes, qui semblait révéler le parti pris de relever en toutes choses le régime détruit en 1789.

§ II. MESURES RELigieuses. Un autre acte devait provoquer un mécontentement général, car il n'atteignait pas tel ou tel nombre d'officiers ou de fonctionnaires, mais l'universalité des citoyens, et il les attaquait tout à la fois dans leurs intérêts matériels et dans la liberté de leur conscience.

Le directeur général de la police, rendit, le 7 juin, à la suggestion du comte d'Artois, une ordonnance dans les considérants de laquelle on lisait :

...

<< Considérant que l'observation des jours consacrés aux solennités religieuses est une loi qui remonte au berceau du monde ... qu'il y a été pourvu pour la France par différents réglements de nos rois, qui ont été seulement perdus de vue pendant les troubles, pour attester à tous les yeux le retour des Français à l'ancien respect de la religion et des mœurs, et à la pratique des vertus qui peuvent seules fonder pour les peuples une prospérité durable... »

...

Puis, venait le dispositif suivant :

« Les travaux seront interrompus les dimanches et jours de fêtes. Tous les ateliers seront fermés. Il est défendu à tout marchand d'ouvrir sa boutique, à tout ouvrier, portefaix, voiturier, etc., de travailler de leur état lesdits jours, et à tous étalagistes de rien exposer en vente. Il est expressément défendu à tous marchands, maîtres de café, de billard, de tenir leur établissement ouvert, lesdits jours, pendant l'office divin, depuis huit heures du matin jusqu'à midi. Des amendes de 100, 300, 500 francs seront prononcées contre les contrevenants, sans préjudice des poursuites judiciaires. »

Cette ordonnance était exécutoire dans toute la France.

Quatre jours après, le 11 juin, le même fonctionnaire publia une seconde ordonnance, exécutoire à Paris seulenient, prescrivant « à tous les particuliers de tendre ou faire tendre le devant de leurs maisons dans toutes les rues par lesquelles devront passer les processions de la Fête-Dieu.»>

Ces deux ordonnances étaient également contraires à l'article do la Charte consacrant la liberté des cultes, car ce n'est pas respecter cette liberté que de vouloir astreindre un culte à observer les pratiques d'un autre. On vit alors ce qui pouvait sortir des mots inscrits aussi dans la Charte : « La religion catholique est la religion de l'État. »

Les ordonnances furent vivement attaquées au point de vue de la légalité. Elles le furent plus encore au point de vue de la liberté et pour le trouble qu'elles pouvaient causer dans des habitudes prises depuis plus de vingt ans, pour le dommage qu'elles pouvaient causer au commerce et à l'industrie, enfin pour le tort qu'en pourrait éprouver le gouvernement. Le fils du comte d'Artois, le duc de Berry, s'en exprima très-vertement vis-à-vis du directeur général.

Tant de réclamations survinrent, tant de mécontentement s'éleva, tant de railleries accueillirent les ordonnances qu'il fallut se résoudre à recommander aux autorités d'en modérer l'application; celle-ci devint tout à fait arbitraire et en fut d'autant plus vexatoire.

Dans le même moment, la Compagnie de Jésus vint ouvrir un établissement à Paris. Ce fait, qui, d'ailleurs, s'opéra sans éclat, fut, dans le conseil du roi, l'objet d'une controverse assez animée. Louis XVIII n'ayant rien ordonné, les Jésuites ne furent pas inquiétés.

§ III. LOI SUR LA PRESSE. Le gouvernement venait de montrer, par les ordonnances des 7 et 11 juin, comment il comprenait la liberté des cultes; il allait montrer aussi comment il comprenait la liberté de la presse.

L'article 8 de la Charte reconnaissait aux Français « le droit de publier leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté ». Cet article avait virtuellement abrogé les lois impériales qui, pour réprimer les abus, supprimaient la liberté. Celle-ci existait, en fait et très-largement, depuis la chute de l'Empire, et les royalistes en avaient profité plus que personne. Cependant, ils réclamaient une loi contre les abus; or, ces abus, c'étaient les critiques des actes officiels, car on n'attaquait pas alors le gouvernement royal en lui-même.

Le 5 juillet, l'abbé de Montesquiou, ministre de l'intérieur, apporta à la Chambre des députés un projet de loi destiné à réprimer les abus de la presse.

Ce projet donnait toute liberté de publication pour les écrits ayant plus de trente feuilles d'impression. Or, trente feuilles forment un volume de 480 pages in-octavo; pour profiter de la liberté légale, il fallait donc publier un volume de 31 feuilles au moins, c'est-à-dire de 496 pages in octavo. Étaient affranchis de cette obligation les écrits en langues mortes ou étrangères, les écrits épiscopaux, livres de piété, mémoires judiciaires, etc.

Quant aux journaux et écrits périodiques, ils ne pouvaient pa raître qu'avec une autorisation du roi.

Les libraires et imprimeurs devaient être brevetés par le roi.
La loi devait être revisée au bout de trois ans de mise en pra-

tique.

Dans l'exposé des motifs, le projet était présenté comme desliné à assurer l'exercice du droit établi par la Charte, droit qui, sans cette loi, resterait sans effet.

L'exposé et le projet étaient l'œuvre commune de MM. RoyerCollard et Guizot.

L'opinion publique s'émut vivement de ce projet, car, à cette époque, les journaux étaient encore peu nombreux, peu répandus, et la liberté de la presse s'exerç it principalement au moyen de brochures n'ayant souvent qu'une feuille d'impression, qui se vendaient à bas prix et circulaient rapidement de main en main. En réalité donc, la loi supprimait la liberté, telle qu'elle existait alors. La Chambre renvoya le projet à l'examen d'une commission qui

nomma pour rapporteur M. Raynouard. Celui-ci, dans la séance du 1er août, donna à l'Assemblée lecture de son rapport: il concluait au rejet de la loi. La discussion commença le 5 août.

Le Corps législatif de l'Empire, devenu la Chambre des députés, avait perdu ou plutôt n'avait jamais eu l'habitude de discuter les lois, qu'il acceptait ou rejetait sans débat. Aussi la discussion de la loi sur la presse fut-elle sans éclat. Les députés se succédaient à la tribune, pour lire des discours écrits qui ne répondaient pas les uns aux autres. Cependant, les opposants étaient nombreux, et leurs paroles étaient avidement accueillies au dehors. Inquiet de la tournure que prenaient les choses, M. de Montesquiou déclara, le 11 août, que le roi consentait à réduire le nombre des feuilles d'impression à vingt (320 pages), à exempter de la censure la publication des opinions des députés, enfin à ajouter ce dernier article : « La présente loi cessera d'avoir son effet à la fin de la session de 1816 », ce qui ne donnait plus à la loi qu'une durée d'un peu plus de deux années.

Dès lors, la loi changeait de caractère : d'organique, elle devenait temporaire, et, si elle mettait une restriction à l'exercice de la liberté, elle en reconnaissait implicitement le principe.

Malgré cette modification importante, le scrutin donna encore 80 boules noires sur 217 votants.

A la Chambre des pairs, la discussion s'ouvrit le 23 août. Attaquée avec vigueur par des membres de l'ancien Sénat, défendue avec énergie par des pairs de l'ancienne noblesse, la loi fut l'objet d'un long débat qui, après dix jours, restait encore sans résultat. Le 2 septembre, le ministre demanda et obtint la clôture de la discussion générale. Sur un discours de M. de Maleville, qui attaqua le préambule de la loi comme contraire à la Charte, la Chambre en vota la suppression. Au scrutin sur l'ensemble du projet (3 septembre), la loi fut adoptée par 80 voix contre 42.

Le chiffre des boules noires dans ces deux Assemblées (plus des deux cinquièmes au Paiais-Bourbon, un tiers au Luxembourg) donne la mesure de l'écart qui, en moins de quatre mois, s'était fait entre le gouvernement et l'opinion publique.

§ IV. BUDGET DE 1814 ET DE 1815. - Au cours même de la discussion de la loi sur la presse, le baron Louis, ministre des finances, présenta à la Chambre des députés une loi ayant pour objet d'arrêter la situation financière de 1814, de fixer le budget de 1815 et de liquider l'arriéré.

Pour 1814, les dépenses étaient évaluées à 827,415,000 francs;

les recettes à 520,000,000, d'où ressortait un déficit de '507,415,'»*, que la loi reportait au compte de l'arriérė.

Pour 1815, le ministre prévoyait une dépense de 548,700,000, et des recettes de 618,000,000, ce qui donnait un excédant de 72,300,000.

Les calculs officiels, plutôt exagérés qu'affaiblis, élevaient l'arriéré à 759 millions. La loi proposait d'y pourvoir : 1° par l'affectation des 72,300,000 francs du boni du 1815; 2° par la vente de 300,000 hectares de bois; 3° par une émission de bons du Trésor, produisant un intérêt de 5 pour 100 et pouvant être escomptés.

Les deux Chambres votèrent, sans modification, cette loi, qui fut promulguée le 22 septembre; les événements devaient en altérer profondément l'économie.

§ V. LISTE CIVILE. - Conformément à la Charte, la liste civile devait être fixée pour toute la durée du règne. Les Chambres votėrent une somme annuelle de 33 millions, avec les revenus de tous les domaines de la couronne, montant environ à 30 millions; elles y ajoutèrent 30 autres millions pour acquitter des dettes contractées à l'étranger par la famille royale: peut-être quelques-unes de ces dettes avaient eu pour cause des intrigues ou complots contre la France.

§ VI. LES BIENS d'émigrés. La Charte avait déclaré irrévocables les ventes de propriétés dites nationales. Cependant, les émigrés, rentrés à la suite des alliés, ne tenaient pas cette promesse pour irrévocable elle-même. Ils se considéraient comme les seuls et légitimes propriétaires de leurs anciens domaines, et affichaient hautement la prétention d'en reprendre possession. En quelques endroits, les possesseurs actuels avaient été expulsés, de vive force. Sur tout le territoire, la crainte ou, tout au moins, l'inquiétude était grande, car on savait que la prétention des émigrés était fort appuyée en cour.

Pour mettre fin aux menaces des uns, à l'anxiété des autres, au trouble de tout le pays, Louis XVlll fit présenter une loi qui, en consacrant la validité des ventes accomplies, restituait aux anciens propriétaires les parties non vendues de leurs biens, à l'exception de ce qui était dévolu au domaine de l'État, affecté soit à un service public, soit aux hôpitaux ou à la dotation de la Légion d'hon

neur.

Ce n'était pas là une innovation. La Convention, le Directoire, le Consulat, l'Empire surtout, avaient rendu des biens confisqués. On

« PreviousContinue »