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roi refusa tout engagement. L'Autriche, la Prusse, les autres États, sauftrois, suivirent promptement l'exemple de l'Angleterre. L'empereur de Russie, à qui Louis-Philippe crut devoir écrire directement une lettre un peu trop obséquieuse, répondit d'une façon dilatoire, hautaine et impolie. Le plus infime des principicules italiens, le duc de Modène, refusa catégoriquement de reconnaître le gouvernement nouveau de la France. On ne lui fit pas la guerre et, plus tard, il offrit spontanément ce qu'il avait refusé d'abord. La France, à son tour, refusa ce petit présent d'amitié. Le troisième monarque qui bouda la France fut Ferdinand VII, roi d'Espagne. On ne peut guère supposer que ce fût par tendresse pour la branche déchue; il devait, à la vérité, à Louis XVIII d'avoir été réintégré dans le pouvoir absolu, mais il en avait usé de façon à faire repentir la Restauration française d'avoir effectué la Restauration espagnole et il n'avait témoigné de sa gratitude que par de mauvais procédés et le dédain des avis les plus salutaires. Son refus de reconnaître Louis-Philippe ne pouvait donc être qu'une boutade de ce caractère fantasque et inégal. Le gouvernement français ne s'en émut pas; il ne s'inquiéta pas davantage des préparatifs que faisaient en France des réfugiés espagnols pour tenter de ranimer dans leur patrie l'esprit de liberté. Leur tentative ne réussit pas; la France n'y avait mis aucun obstacle; elle n'avait pas l'obligation d'y aider. L'insuccès provoqua les reproches des réfugiés espagnols et des républicains français. Ferdinand, de son côté, réfléchit et reconnut Louis-Philippe.

Les dispositions pacifiques du roi n'étaient pas celles d'une grande partie de la nation française. Les traités de 1814, la bataille de Waterloo, les traités de 1815, confirmant et aggravant les précédents, avaient laissé dans les esprits de profonds ressentiments qui ne se manifestèrent pas seulement par la haine contre les Bourbons, que l'on rendait injustement responsables de ces désastres, mais aussi par un désir ardent de revanche. Les souvenirs des victoires de la République et de l'Empire se conservaient, se transmettaient traditionnellement dans les familles de tous ceux qui avaient, de près ou de loin, appartenu aux armées de 1792 à 1814; on opposait ces glorieux souvenirs à l'humiliation des Bourbons, revenus dans les fourgons de l'étranger. Chasser ceux-ci et prendre la revanche de Waterloo était le rêve, la passion d'une notable partie du peuple français. La Restauration connaissait et comprenait ce besoin impérieux, si bien qu'elle songeait à réaliser, pour son compte et à son profit, une partie du programme en essayant, par

voie diplomatique, des combinaisons de territoires qui eussent rendu à la France la rive gauche du Rhin, la partie de nos anciennes conquêtes que l'opinion regrettait et revendiquait le plus énergiquement.

Bien que l'histoire de la Révolution fût peu et mal connue, sous la Restauration, les nombreux survivants de cette époque, conservaient quelque chose du grand souffle qui avait passé sur eux et, oubliant ou laissant de côté ce qu'on en a appelé les excès, en célébrèrent les grands faits héroïques, éclatants. Un peu plus tard le livre de M. Thiers saisit les imaginations par le spectacle dramatique des luttes grandioses de la France contre la coalition et aussi des partis entre eux. On vit surtout la Révolution sous son aspect militant et l'on admira tout à la fois les merveilleux coups de guerre et les terribles coups d'État. Alors commença une sorte de légende révolutionnaire qui grandit sous Louis-Philippe et qui dure

encore.

La légende impériale était complète en 1830. Grâce aux livres venus de Sainte-Hélène, et où l'ancien tourmenteur de la France et de l'Europe posait comme le martyr des rois, grâce à de prétendus historiens qui montraient Napoléon toujours entraîné à la guerre malgré lui et par les intrigues des autres puissances, surtont de la « perfide Albion, » grâce aux maladresses de la Restauration poursuivant comme bonapartistes tout ce qui lui était hostile à ellemême, l'opinion en était venue à mettre sur la même ligne les justes guerres de la Révolution et les guerres iniques de l'Empire, à considérer celui-ci comme la conséquence de celle-là, et à cette conception bizarre de Napoléon « missionnaire armé de la Révolution, » fondateur de la grandeur française et victime des monarques, presque l'apôtre de la liberté. Telle était alors la confusion des esprits que si, le 29 juillet 1830, le jeune fils de Napoléon fût apparu dans les rues de Paris, le drapeau tricolore en main, parlant de liberté et promettant la revanche de 1815, il eût été salué empereur d'un élan irrésistible.

De toutes ces notions incomplètes, fausses, mal ordonnées, il se dégageait un fort courant de passion belliqueuse. Les uns, admirateurs outrés de Napoléon, voulaient déchirer les traités de 1815, marcher sur le Rhin, reprendre une partie des Alpes. Les autres, épris des efforts héroïques de la Révolution, frappés de la sombre grandeur de la Convention, ne sachant pas que la Révolution avait été essentiellement pacifique, qu'elle avait tiré l'épée seulement.

pour se défendre, que la Convention n'avait fait appel aux peuples que pour repousser les rois, voulaient faire la propagande armée de la liberté, susciter la révolution parmi tous les peuples soumis à des monarchies, porter l'épée et le drapeau de la France partout où éclatait une insurrection populaire, en Belgique, en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Pologne: c'eût été l'universalité de la guerre révolutionnaire.

Ce fut là l'erreur du parti républicain; il ne vit pas ou ne sut pas que les vrais révolutionnaires avaient toujours repoussé et détesté la guerre, que les coups de force de la Convention étaient d'effroyables expédients de combat, non des institutions de gouvernement; il se fit un faux idéal de la Révolution, procédant à l'étranger par la guerre, à l'intérieur par des insurrections et des Comités de salut public. Il y sacrifia bien du courage, beaucoup de sang et non pas seulement le sien, d'héroïques dévouements, et ne réussit, pendant longtemps qu'à s'aliéner une partie de la population troublée par les scènes de guerre civile, effrayée par des théories aussi contraires à la justice qu'à l'histoire vraie.

Ces dispositions devaient créer, plus d'une fois, au gouvernement de Louis-Philippe des embarras et des dangers.

§ X. LES REFUGIÉS ESPAGNOLS. — L'affaire des réfugiés espagnols fut l'occasion du premier grief que c. tte partie de l'opinion publique reprocha au gouvernement.

La sanglante tyrannie de Ferdinand VII avait rejeté en France et en Angleterre les hommes les plus distingués du libéralisme espagnol. La révolution de Juillet, faite contre le gouvernement qui avait restauré Ferdinand, sembla aux exilés devoir amener une contrepartie de l'expédition de 1823. Cette contre-partie, ils n'eurent pas l'idée de demander que la France l'accomplit elle-même, mais ils pensèrent que la France les laisserait, au moins, l'accomplir par leurs propres efforts. Tous les hommes qui venaient d'arriver au pouvoir avaient plus ou moins explicitement blâmé la campagne de 1823; Ferdinand, d'ailleurs, venait de blesser la royauté nouvelle en refusant de la reconnaître. Les réfugiés se mirent donc à l'œuvre, ouvrirent des souscriptions, achetèrent des armes et des munitions, enrôlèrent des volontaires et se préparèrent à entrer en Espagne. Malheureusement, les divisions qui existaient dans la patrie, entre les diverses nuances du parti libéral, avaient suivi les réfugiés à l'étranger. A l'heure décisive, il y eut divergence entre eux et surtout entre les deux chefs militaires, Valdès et Mina, qui ne surent

pas se mettre d'accord. Les deux », entrées isolément, furent attaquées séparément, repoussées et leurs débris durent chercher un refuge en France, non sans laisser des prisonniers au pouvoir de Ferdinand qui, selon sa royale habitude, les fit fusiller. Mais, instruit par l'expérience, le roi dévot se hâta alors de reconnaître le gouvernement français. Celui-ci dut, dès lors, pour se conformer au droit international, mettre obstacle à la préparation de nouvelles tentati❤ ves d'insurrection en Espagne. Les réfugiés s'en plaignirent avec une amertune plus naturelle que juste, et l'opinion avancée en fit reproche au gouvernement, oubliant que, deux ou trois ans auparavant, le parti libéral avait réclamé que le gouvernement de la Restauration exigeât de Ferdinand qu'il s'opposât aux préparatifs que faisaient, en Espagne, les partisans de don Miguel pour attaquer la régence libérale du Portugal. Peut-être quelques-uns des membres du gouvernement de 1830 avaient-ils trop ouvertement encouragé les projets des réfugiés espagnols; si cette conduite pouvait se justifier quand les bonnes relations entre les deux pays étaient suspendues, elle ne pouvait continuer dès que les rapports officiels et réguliers étaient rétablis.

§ XI. RAPPEL DES BANNIS.-Le 2 septembre, la Chambre des députés vota une loi qui abrogeait la fameuse loi d'amnistie en vertu de laquelle un assez grand nombre de Français avaient été chassés de France. La plupart des bannis avaient, depuis, obtenu leur rentrée en France soit par mesures individuelles, soit par une mesure générale prise à l'occasion du sacre de Charles X. Ceux qui étaient demeurés en exil, c'étaient surtout des conventionnels ayant voté la mort de Louis XVI, rentrèrent en France en vertu de la nouvelle loi.

Toutefois, une seule exception fut maintenue: le territoire français demeura interdit aux membres de la famille Bonaparte. LouisPhilippe personnellement n'était pas hostile aux gens de cette famille, il s'entourait volontiers d'anciens fonctionnaires de l'Empire et ne craignait pas de raviver les souvenirs de l'époque impériale; mais le bannissement des Bonaparte était une mesure de sécurité publique commandée par la prudence.

§ XII. CÉRÉMONIE DU 22 SEPTEMBRE.-Un acte officiel de justice venait de rappeler les bannis; un acte populaire de justice honora la mémoire de ceux qui, sous la Restauration, avaient, au prix de leur sang, revendiqué la liberté. Parmi ceux que l'opinion ibérale comptait comme ses martyrs, les quatre sergents de la Rochelle

avaient laissé le souvenir le plus vivant, le plus aimé; c'est en eux que fut honorée la mémoire de tous.

Le 22 septembre, jour anniversaire du supplice de Bories, Pommier, Goubin et Raoux, les clubs, les sociétés populaires existant alors à Paris se réunirent à la place de Grève, au milieu d'un grand concours de spectateurs. Des discours furent prononcés, non pas pour réhabiliter, il n'en était pas besoin, mais pour célébrer la mémoire des hommes qui avaient donné leur vie à la cause de la liberté. On les honora d'une manière encore plus digne d'eux en faisant signer, sur le lieu même où ils étaient morts, une pétition demandant l'abolition de la peine de mort en matière politique. Il y avait quelque générosité à le faire quand cette peine menaçait directement quatre des hommes qui avaient, pendant trois jours, versé le sang du peuple de Paris.

A la suite de cette cérémonie exclusivement populaire, il fut officiellement décidé que l'échafaud ne serait plus jamais dressé sur la place de Grève, et il n'y a jamais reparu.

§ XIII. CLUBS. - La Restauration avait eu l'art de réunir en un seul faisceau tous les éléments d'opposition successivement soulevés contre elle. Cette union fit l'élan unanime qui renversa la branche aînée. Après la victoire, chacun retourna à ses doctrines de préférence. Si le gouvernement nouveau rallia autour de lui tous ceux qui n'aspiraient qu'à une monarchie constitutionnelle et quelques bonapartistes, il eut en face de lui les républicains, le plus grand nombre des bonapartistes, et à côté, mais en dehors d'eux, les légitimistes. Il s'y joignit un nouveau genre d'opposition, à peine remarqué sous la Restauration, mais qui prit alors un développement considérable, c'est ce qu'on a appelé un peu plus tard le socialisme, un de ces mots commodes pour l'attaque aussi bien que pour la défense, parce que, n'étant pas susceptibles de définition précise, ils laissent tout supposer, le mal comme le bien. A cette époque, le socialisme se composait surtout de deux doctrines printipales le saint-simonisme et le fouriérisme. Les partisans de l'un et de l'autre se montraient assez indifférents à la forme politique pourvu qu'ils eussent la liberté d'association, de réunion, de la presse et de la parole, car ils n'entendaient faire qu'une propagande pacifique. Ils avaient des lieux de réunion où ils appelaient le public à venir, à des jours déterminés, écouter et discuter leurs principes. C'étaient pour la plupart des hommes instruits, d'anciens élèves de P'École polytechnique, animés de généreuses intentions, qui avaient

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