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ne pouvait donc s'étonner que Louis XVIII complétât les restitutions dans la mesure du possible et de la légalité. Le projet de loi, en effet, n'eût subi que des critiques secondaires et de détail, si la présentation n'en eût été confiée à un homme de tempérament intraitable, d'opinions absolues, M. Ferrand, ministre d'État.

Dans l'exposé des motifs, ce personnage suppliait presque les émigrés de pardonner au gouvernement le sacrifice temporaire qu'il faisait d'une partie de leurs droits légitimes; puis, opposant les Français sortis de la patrie à ceux qui étaient restés pendant la Révolution, il disait : « Il est bien reconnu aujourd'hui que, passagèrement jetés sur les rives étrangères, tant de bons et fidèles Français pleuraient sur les calamités d'une patrie qu'ils se flattaient toujours de revoir. Il est bien connu que les regnicoles, comme les émigrés, appelaient de tous leurs vœux un heureux changement, lors même qu'ils n'osaient pas l'espérer. A force de malheurs et d'agitations, tous se retrouvaient donc au même point, les uns en suivant une ligne droite, sans jamais en dévier, les autres, après avoir parcouru plus ou moins les phases révolutionnaires, au milieu desquelles ils se sont trouvés ».

La logique eût conduit M. Ferrand à proposer une loi abrogeant toutes les ventes effectuées et restituant aux anciens propriétaires leurs biens, ainsi que les fruits perçus depuis la confiscation. Mais, chargé de présenter une loi bien différente, il se donnait la satisfaction d'énoncer, dans l'exposé des motifs, ses tendances personnelles, et il protestait, à sa façon, contre la loi, en n'y voyant que le mérite de « reconnaître un droit de propriété qui existait toujours, et d'en légaliser la réintégration. »

C'était, sans doute, très-franc, très-sincère, mais c'était absolument inconstitutionnel et encore plus impolitique.

La Restauration avait le malheur de remettre en présence deux Frances, ennemies l'une de l'autre depuis vingt ans. Si l'ancienne venait de remonter au pouvoir, si la nouvelle avait été vaincue, elle ne l'était point par les armes de l'autre, et celle-ci n'avait pas le droit de la traiter en peuple conquis. Le devoir, l'habileté du gouvernement consistait à reconcilier ces deux rivales, à les amener à vivre en paix, sinon fraternellement, sur le même sol. Tel était assurément le vœu de Louis XVIII, qui ne désirait pas courir les risques de son frère aîné, ni retourner à Hartwel. Mais il était étrangement mal servi par son entourage et ses auxiliaires.

La ligne droite de M. Ferrand excita l'enthousiasme des « roya

listes purs mais souleva dans le pays un long mouvement d'in. dignation qui émut jusqu'à la Chambre des députés. Aussi le rapporteur de la commission à laquelle avait été renvoyé le projet de loi, M. Bedoch, formulait-il un blâme sévère contre l'exposé des motifs, affirmant que ce document « n'était pas l'expression de la volonté du roi. »

Dans le cours de la discussion, des députés, ayant remarqué que le plus grand nombre des restitutions, consistant surtout en forêts, devaient profiter à des familles riches, tandis que la plupart des familles pauvres ne devaient rien recouvrer, proposèrent de former de l'ensemble des restitutions un fonds commun dont le produit serait partagé entre tous les ayants droit. D'autres, faisant observer que l'État avait perçu le prix des biens vendus, estimaient qu'une indemnité était due par lui aux anciens propriétaires.

Cette idée d'une indemnité circulait déjà dans le public, si bien que le rapport de M. Bedoch proposait de décider que les propriétaires de biens vendus ne pourraient jamais avoir droit à aucune indemnité. Cette disposition fut repoussée après un discours où le président de la Chambre, M. Lainé, démontra que l'Assemblée actuelle ne pouvait engager les Assemblées futures, ni interdire un acte de générosité, si, plus tard, l'état des finances le permettait. Par une sorte de protestation contre les tendances de M. Ferrand, la Chambre substitua partout le mot remise au mot restitution.

Ainsi commentée et amendée, la loi fut votée par 169 voix contre 23.

A la Chambre des pairs, la discussion n'offrit de remarquable qu'un discours du maréchal Macdonald, qui reprit le système d'une indemnité, mais en l'étendant, outre les émigrés, aux militaires que les derniers événements avaient privés de leurs dotations, autant que celles-ci ne dépasseraient pas la somme de 2,000 francs de revenu.

La loi fut adoptée au Luxembourg, telle qu'elle y était venue du Palais-Bourbon.

Quelques jours après, le 10 décembre, le maréchal Macdonald reprit, sous forme de proposition formelle, son idée d'indemnité. La discussion n'en put avoir lieu dans la session qui allait finir, mais la commission qui en était saisie invita le gouvernement à réunir tous les renseignements nécessaires pour la reprendre à la session suivante.

La session de 1814 fut close le 20 décembre. § VII. CONGRÈS de Vienne. Tandis que la discussion de ces lois, et de quelques autres moins importantes, occupait les séances des deux Chambres, les diplomates réunis à Vienne commençaient leurs délibérations pour régler le sort des territoires retranchés de l'Empire français. Le gouvernement de Louis XVIII était représenté par l'ancien négociateur de Napoléon, M. de Talleyrand, qui allait contribuer à détruire quelques-unes des combinaisons auxquelles il avait jadis travaillé.

Ce travail, entremêlé de fêtes et de galas, n'avait qu'un intérêt secondaire pour la France, déjà dépouillée par la convention du 23 avril, et condamnée, par le traité du 30 mai, à ratifier les décisions que devaient prendre les souverains alliés. Le diplomate français n'avait donc guère qu'à observer les dispositions de chacun et à tacher de tirer profit des rivalités que pourraient faire naître les ambitions et les convoitises respectives des princes.

Il y en eut de telles, en effet, qu'un instant l'accord entre les alliés parut prêt à se rompre, et qu'un traité fut signé entre la France, l'Autriche et l'Angleterre contre la Russie et la Prusse. Mais ces deux cours en eurent quelque soupçon et évitèrent une rupture dont la France seule pouvait avoir le bénéfice.

Les négociations furent difficiles et longues, puisque la signature de l'acte final n'eut lieu que le 9 juin 1815, pendant l'épisode des Cent Jours.

Certaines questions étaient déjà tranchées en fait. La Belgique et la Hollande formaient, sous les princes de la maison d'Orange, le royaume des Pays-Bas. Le Piémont, agrandi de l'État de Gènes, constituait le royaume de Sardaigne. Ces deux monarchies étaient comme deux forteresses entre lesquelles la France se trouvait serrée au nord et au sud-est. Au nord-est, notre frontière se trouvait surveillée et menacée par la Prusse, remise en possession de ses anciennes provinces rhénanes et des anciens électorats. En arrière de la Sardaigne, l'Autriche avait repris la Lombardie, en y ajoutant la Vénétie, sur laquelle elle n'avait d'autres droits que ceux qu'elle tenait de Bonaparte par le traité de Campo Formio, conclu, malgré le Directoire, et qui, n'ayant plus de valeur pour la France, continuait d'être valable pour l'Autriche; celle-ci eut, en outre, le Tyrol bavarois, la Valteline, l'Istrie, la Dalmatie, Raguse, etc. La Norvége, enlevée au Danemark, pour le punir de son attachement à la France, était donnée au roi de Suède, l'ex-général fran

çais Bernadotte, pour le récompenser d'avoir combattu la France. La Suisse fut agrandie de trois cantons (Valais, Genève et Neufchât(1), mais la neutralité de la Confédération fut garantie.

On établit une autre Confédération, mais nullement républicaine, la Germanique, destinée à la défense des intérêts communs à tous les États allemands et à la protection de l'indépendance de chacun de ces États. La Prusse et l'Autriche en firent partie. Nous avons vu, il y a peu d'années, comment cette Confédération servit à agrandir la Prusse, en assujettissant ou même supprimant les États secondaires et en affaiblissant l'Autriche elle-même.

Un tel agrandissement n'entrait pas encore dans les rêves ambitieux de la Prusse, qui était moins admise que tolérée parmi les grandes puissances d'alors.

Mais, déjà rapace, elle s'entendit avec la R ssie pour se faire donner l'ancien duché polonais de Posen, le czar s'adjugeant le grand-duché de Varsovie. L'un et l'autre firent occuper ces provinces par leurs troupes. Ce fut là ce qui faillit rompre l'entente et faire recommencer la guerre. Mais le conflit s'arrangea, moyennant qu'Alexandre s'engageât à reconstituer un royaume de Pologne, ayant une existence autonome, promesse qui n'a abouti qu'à la destruction de la nationalité polonaise.

La Prusse convoitait encore la Saxe. Louis XVIII réussit à faire maintenir ce royaume; on en détacha cependant la province de Magdebourg, qui fut livrée à la voracité prussienne.

La Russie conserva la Finlande, enlevée à la Suède.

En Italie, le pape recouvra ses États; l'archiduc d'Autriche fut reintégré en Toscane; les archiducs d'Este à Modène, Reggio, Mirandole; Lucques fut donné à l'ex-reine d'Étrurie; l'archiduchesse Marie-Louise, qui avait été impératrice des Français, et la femme déjà adultère de Napoléon, accepta un chétif État, composé des duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla; elle laissait son fils captif en Autriche.

Murat conservait encore le royaume de Naples, malgré les instances de M. de Talleyrand; mais ce ne devait pas être pour longtemps. L'Angleterre qui, depuis 25 ans, était l'âme et la trésorière des coalitions contre la France, eut sa large part des dépouilles. Outre la création du royaume des Pays-Bas, qui était son œuvre, outre nos grandes colonies qu'elle s'était appropriées, elle se fit donner Malte et les îles Ioniennes, qui assurèrent, avec Gibraltar, jadis enlevée à l'Espagne, sa domination sur la Méditerranée.

Svin 1815.-Toute cette besogne diplomatique était à peine entamée, lorsque s'ouvrit l'année 1815 sous des auspices peu favorabies pour le gouvernement royal, mais bien loin cependant de faire prévoir la catastrophe qui était déjà si prochaine.

Le gouvernement et l'opinion publique, marchant en sens inverse, s éloignaient chaque jour davantage l'un de l'autre. Tous les discours, toute la conduite de l'entourage royal, presque tous les actes de l'autorité, semblaient révéler une guerre systématique aux hommes et aux choses provenant de la Révolution. Des écrivains, comme M. de Bonald, M. Joseph de Maistre, M. Fiévée, prêchaient une véritable croisade pour le rétablissement de la monarchie absolue; les feuilles royalistes soutenaient la même thèse avec plus d'emportement encore et moins de talent. Les gentilshommes de l'émigration affectaient aux Tuileries, dans les salons, partout où ils se rencontraient avec la noblesse impériale, dela traiter dédaigneusement, conduite injuste, car les titres de celle-ci valaient bien ceux des ancêtres de ceux-là; conduite imprudente, car, en méprisant, en insultant ces nobles sortis hier de la bourgeoisie et du peuple, elle les rejeta vers ceux-ci; peuple et bourgeois oublièrent vite les allures hautaines des parvenus de l'Empire, pour ne plus voir que les fils outragés de la Révolution, et les ex-dignitaires impériaux devinrent les chefs de l'opposition libérale et nationale.

Dans les campagnes, les émigrés affectaient de reprendre les allures des anciens seigneurs : ils parlaient non-seulement de la reprise de leurs anciens domaines, mais de rétablir la dime, les corvées, les droits féodaux. Leur insolence en vint au point qu'une pétition, adressée à la Chambre des députés, signala un de ces hobereaux de village qui avait contraint, par menaces de voies de fait, le bedeau à lui présenter le pain bénit avant de l'offrir au maire. L'enquête faite à ce propos montra que ce n'était pas là un acte isolé, mais que partout les revenants de l'émigration agissaient ainsi, au risque de provoquer la guerre civile.

Le clergé tonnait en chaire contre la Révolution, contre les acquéreurs de biens ecclésiastiques, qu'il vouait aux peines éternelles, menaçant de refuser à eux et à leurs familles les derniers sacrements et la sépulture en terre chrétienne. Il revendiquait les actes de l'état civil, déclarant nuls les mariages contractés depuis 1790, demandait la suppression de l'université et réclamait pour lui seul le monopole de l'enseignement de la jeunesse.

Le gouvernement semblait encourager cette campagne contre la

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