Page images
PDF
EPUB

tenaient une grande place. Benjamin Constant n'avait ni la forte parole de Manuel, ni l'éloquence entraînante du général Foy: il lui manquait la flamme de passion qui échauffe le cœur et le langage. Mais, soit dans des discours élégants, ingénieux, spirituels, soit dans des livres et des brochures où la solidité du raisonnement était relevée par la vivacité du style, il avait traité avec succès les questions les plus élevées de la doctrine constitutionnelle. Mal vu sous l'Empire à cause de ses rapports d'intimité avec madame de Staël, il s'était laissé attirer par Napoléon pendant les Cent jours. L'opinion lui avait pardonné cette faiblesse parce qu'il était resté fidèle aux idées libérales en rédigeant l'Acte additionnel aux constitutions de l'Empire. Ce fut peut-être heureux pour lui que cette constitution ne dût jamais vivre sous celui qui l'avait jurée.

Benjamin Constant, lorsque éclata la révolution de Juillet, souffrait d'infirmités physiques auxquelles s'ajoutaient les souffrances morales d'une existence embarrassée. Ni le traitement considérable attaché à un emploi, créé pour lui, ni le don d'une importante somme d'argent fait par le roi ne suffirent à réparer le désordre de ses affaires; les cruelles angoisses de la gêne, presque de la misère, assombrirent ses derniers jours et bâtèrent sa mort.

§ VI. COUR DES PAIRS. La Chambre des députés ayant décidé la mise en accusation des quatre ministres de Charles X arrêtés après la révolution, la Chambre des pairs s'était, le 1er octobre, constituée en cour de justice et avait délégué à quatre de ses membres, le baron Pasquier, le comte de Bastard, le baron Séguier et le comte de Pontécoulant, le soin de diriger l'instruction de cette grave affaire.

Tandis que se poursuivait l'information, la Cour des pairs eut occasion de siéger pour juger, un des siens, le comte Florian de Kergolay. prévenu d'avoir accusé la Chambre des députés d'usurpation de pouvoirs, Louis-Philippe de n'être qu'un souverain illégitime, et la Chambre des pairs d'avoir violé ses serments. Cette accumulation de délits ne valut à l'ancien pair, déclaré coupable, que six mois de prison et 500 francs d'amende. La Cour faisait un premier essai d'indulgence.

Le 10 décembre, à huit heures du matin, MM. de Polignac, de Peyronnet et de Guernon-Ranville furent transférés du château de Vincennes dans un bâtiment du Petit-Luxembourg, disposé à usage de geôle. Le quatrième prisonnier, M. de Chantelauze, très-souffrant, ne put être transporté que dans la soirée.

Le 15, s'ouvrirent les débats du procès. Le procureur général Persil remplissait les fonctions de ministère public; les accusés étaient défendus: M. de Polignac, par M. de Martignac, le chef du ministère qu'il avait remplacé; M. de Peyronnet par M. Hennequin; M. de Chantelauze par M. Sauzet, du barreau de Lyon; M. de Guernon-Ranville par M. Crémieux.

La contenance des accusés fut calme et digne, sans affectation comme sans faiblesse.

Le baron Pasquier, président de la Cour, fit, selon l'usage subir à chacun d'eux un interrogatoire où l'on crut voir la pensée de les engager à rejeter la responsabilité des faits de l'accusation sur l'ancien roi. Si cela est vrai, ce fut une précaution inutile. Tous les quatre acceptèrent pleinement la responsabilité de leur participation aux ordonnances et à ce qui s'ensuivit.

Après les dépositions de nombreux témoins, le ministère public soutint avec énergie l'accusation et oublia quelquefois la modération que l'organe de la justice doit garder en présence des accusés.

Après lui, les défenseurs eurent la parole. La situation des accusés avait quelque chose de juridiquement étrange. La Charte qu'on leur reprochait d'avoir violée, ne les rendait responsables que des crimes de haute trahison et de concussion. Or, on ne relevait pas contre eux de tels chefs d'accusation. Pour tous autres crimes engageant la responsabilité ministérielle, la Charte renvoyait à des lois qui étaient encore à faire. D'autre part, la Charte déclarait le roi irresponsable, et, contrairement à la Charte, le roi Charles X avait payé pour la responsabilité de ses ministres. Les défenseurs discutèrent ces points de droit constitutionnel, puis la légalité des ordonnances et la légitimité de la résistance et, par conséquent, de la Révolution des trois jours. Ce procès fait à la révolution irrita et indigna beaucoup de gens. C'était pourtant le droit de la défense et c'est l'inconvénient des procès politiques que les accusés prennent le rôle d'accusateurs. Ainsi avaient fait les libéraux sous la Restauration, ainsi allaient faire les républicains sous Louis-Philippe.

M. de Peyronnet se défendit lui-même dans un langage dont la modération étonna.

Tandis que la Cour des pairs procédait avec un calme, au moins apparent, à ses devoirs judiciaires, une agitation menaçante enveloppait le palais que la garde nationale protégeait avec un zèle infatigable. Elle voulait que la loi seule disposât du sort des accusés,

mais beaucoup de gardes veillaient dans l'espoir que la justice frapperait sans pitié ceux qui avaient si cruellement versé le sang de la population parisienne. Lafayette employa toutes ses forces, toute son influence à calmer l'irritation populaire, à encourager la garde nationale, à éloigner tout danger de ce palais, qui faillit plus d'une fois être enlevé d'assaut par une multitude furieuse.

La dernière audience eut lieu le 21 décembre. Tous les abords du palais étaient gardés par des forces imposantes au delà desquelles stationnaient des foules avides de connaître le dénouement du drame.

Les débats étant terminés, la cour se retira en délibération secrète, tandis que les accusés étaient reconduits à leur prison. Ils n'y restèrent pas longtemps; une voiture les attendait où ils prirent place tous les quatre; puis, escortés par des détachements de cavalerie, protégés par la présence du ministre de l'intérieur, M. de Montalivet, et d'un officier supérieur de la garde nationale, tous deux à cheval aux côtés de la voiture, ils roulèrent, de nouveau, vers Vincennes. Un coup de canon tiré du château annonça qu'ils étaient arrivés sains et saufs. Rien, d'ailleurs, n'avait inquiété leur voyage.

Un de ces bruits, dont on ne sait jamais l'origine, avait répandu la nouvelle d'une condamnation capitale. La garde nationale n'en avait pas, non plus que la foule, dissimulé sa satisfaction. Lorsqu'on apprit le départ des accusés, ce fut une explosion générale de colère. La garde nationale, cependant, ne manqua pas à son devoir. L'arrêt, d'ailleurs, n'était pas rendu, personne ne savait encore quel il serait.

C'est seulement à dix heures du soir que le président Pasquier, rentré dans la salle d'audience, fit lecture de la sentence qui condamnait les quatre accusés à un emprisonnement perpétuel, en y ajoutant pour le prince de Polignac la mort civile.

La Cour des pairs reconnaissait dans les ordonnances du 25 juillet une violation de la Charte et déclarait que cette violation constituait le crime de trahison. La peine de la prison perpétuelle était substituée à celle de la déportation, à laquelle aucune localité n'était affectée ni en France ni au dehors.

Cet arrêt renouvela les scènes qu'avait provoquées le départ des prisonniers. Peu s'en fallut qu'une collision n'éclatât entre la garde nationale et la population ouvrière. L'autorité fit appel à la jeunesse des écoles qui, mêlée à des compagnies de garde nationale,

parcourut la ville en faisant entendre des paroles d'apaisement. Cette démonstration réussit, non toutefois sans compromettre la popularité des étudiants.

Le lendemain 23, la Chambre des députés vota des remerciements à la garde nationale. Laffitte proposa aussi de les adresser à la jeunesse des écoles; quelques députés, sans repousser la proposi tion, signalèrent et blåmèrent des proclamations où les étudiants exprimaient l'espoir que, l'ordre une fois rétabli, la liberté serait garantie. Les étudiants s'irritèrent de ce qu'on leur marchandait la liberté, qu'ils avaient, disaient-ils, payée comptant dans la bataille des trois jours, et ils rejetérent dédaigneusement les félicitations officielles.

Démission de Lafayette.

CHAPITRE III

Algérie. Lettres, sciences. Étranger. Insurrection de Pologne.

[ocr errors]

§ I. DÉMISSION DE LAFAYETTE. En ce moment, la Chambre des députés discutait une loi sur la garde nationale, dont un article interdisait de concentrer en une seule main le commandement de toutes les gardes nationales et même de celles d'un département ou d'un arrondissement. Lafayette était alors investi de ce commande. ment suprême, par mesure temporaire, il est vrai. C'était là un pouvoir qu'on ne devait laisser à aucun personnage, quel qu'il fut, car il se trouvait plus puissant que toute autre autorité. Sous la Restauration, le comte d'Artois avait exercé ce commandement général et Louis XVIII s'était trouvé dans la nécessité de le lui retirer et de l'abolir. Dès que Lafayette apprit le vote de l'article, il adressa sa démission au roi qui, après quelques refus, l'accepta. C'était raisonnable et juste, mais il l'eût été aussi de trouver une compensation pour un homme aussi considérable que Lafayette, qri aurait pu empêcher l'élévation du duc d'Orléans, qui, au contraire, y avait aidé en sacrifiant ses propres préférences et avait rendu de grands services à la nouvelle royauté. Celle-ci eut peut-être hâte de se débarrasser d'un auxiliaire qui pouvait devenir gênant. En l'écartant, elle en fit un des chefs d'une opposition qui, sans viser au renversement de la dynastie, voulant même la fortifier en la ramenant dans une voie plus conforme à son origine la it

quelquefois en danger par ses attaques peu adroites ou peu oppor

tunes.

Un autre chef vint encore à cette opposition, ce fut Dupont (de 1 Eure), qui suivit Lafayette dans sa retraite. Par suite, le ministèr de la justice fut donné, le 27 décembre, à Mérilhou, qu'un autre avocat, Barthe, remplaça à l'instruction publique.

§ II. ALGÉRIE. Après la prise d'Alger, le maréchal Bourmont organisa deux expéditions ou plutôt deux reconnaissances dirigées l'une par lui-même sur Blidah, l'autre ayant pour objectif les villes de Bone et d'Oran.

La première partit d'Alger le 22 juillet, atteignit la Mitidja, près de Bouffarick, où elle fit halte et entra le même jour à Blidah, dont les habitants avaient envoyé une députation au maréchal pour lui porter la soumission de la ville. Les Français y furent, en effet, bien accueillis et bien traités. Le maréchal poussa jusqu'à une lieue et demie de la ville une reconnaissance qui ne découvrit rien d'alarmant. Cependant lorsque, deux jours après, la troupe française reprit la route d'Alger, elle eut à repousser plusieurs fois les attaques des Arabes, embusqués dans les haies, les jardins, les rochers.

Le 25 juillet, M. le général Danrémont partit d'Alger, par mer, avec des troupes, pour aller rétablir la domination que la France avait autrefois exercée sur la ville de Bone. Il arriva le 2 août devant cette ville, que les habitants le prièrent aussitôt d'occuper. Le général Danrémont, y entra, installa une garnison dans la casbah et fit exécuter quelques travaux de défense. Les Arabes tentèrent plusieurs attaques, toujours repoussées. Malheureusement, l'expédition fut, peu de jours après, rappelée à Alger.

M. Louis de Bourmont arriva, le 24 juillet, à bord du Dragon, devant Oran, que bloquaient deux bâtiments français et dont le bey avait annoncé l'intention de se soumettre à la France. Le bey était encore maître de la ville et des forts, mais au delà des murs, son autorité était complétement méconnue des Arabes révoltés. Le commandant du Dragon fit occuper le fort de Mers ei Kébir. Le bey demanda la protection de la France; le capitaine Bourmont se rendit à Alger pour prendre les ordres de son père, Le maréchal envoya un petit corps expéditionnaire qui arriva le 6 août et qui, avant même d'avoir pu débarquer fut rappelé en toute hâte avec les troupes. Oran et Mers el Kébir furent donc abandonnés comme Bone et Blidah.

Le 10 août, un navire arrivant de Marseille, puis une dépêche té

« PreviousContinue »