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CHAPITRE IV

Minis

1831. Le duc de Nemours élu roi des Belges. - Sac de l'Archevêché. tère du 13 mars. - Les Autrichiens en Italie. La colonne Vendôme. La reine Hortense. - Procès des artilleurs. Vendée. Voyages du roi.

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§ I. 1831. LE DUc de Nemours élu roi des Belges. A la suite de la révolution de Belgique, avait été élu un congrès national qui proclama l'indépendance de la Belgique, prononça la déchéance de la maison de Nassau et décida que la Belgique serait une monarchie. Le 3 janvier 1831, le congrès résolut que le trône serait confié à un prince étranger, et parmi les nombreuses candidatures produites, il arrêta que le choix aurait lieu entre l'archiduc Charles d'Autriche, le duc de Nemours et le duc de Leuchtenberg, fils du prince Eugène de Beauharnais.

Le gouvernement de Louis-Philippe, en refusant l'annexion de la Belgique à la France, avait annoncé que le roi ne consentirait pas à ce qu'un de ses fils fût appelé au trône de Belgique. Après la résolution du congrès, le refus du roi fut renouvelé officiellement à la conférence de Londres; celle-ci y ajouta que l'élection du duc de Leuchtenberg ne serait reconnue par aucune des cinq puissances. C'était montrer peu de respect pour l'indépendance qu'on venait de reconnaître à la Belgique. Aussi le congrès n'en tint-il aucun compte. Le 7 février, il procéda à un scrutin qui ne donna à aucun des candidats le nombre voulu de suffrages. Il fallut un second tour, où la majorité relative était seule exigée. Le résultat fut celui-ci :

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En conséquence, le congrès proclama le duc de Nemours roi des Belges.

Une députation fut envoyée à Paris pour annoncer au duc son élection. Le roi reçut les députés en audience solennelle, le 17 fėvrier au Palais-Royal.

Louis-Philippe se montra très-reconnaissant de l'offre faite à son

fils par le peuple belge, mais il renouvela son refus, fondé sur la crainte d'allumer en Europe une guerre générale dont on ne pourrait calculer ni l'étendue ni les désastres. Il rappela les maux que Louis XIV et Napoléon avaient attirés sur la France en voulant imposer des princes de leur famille aux peuples voisins. Il engagea les Belges à choisir un roi qui fût un gage pour la continuation de la paix générale, « qui ne perde jamais de vue que la liberté publique sera toujours la meilleure base de son trône, comme le respect de vos lois, le maintien de vos institutions et la fidélité à garder ses engagements seront les meilleurs moyens de le préserver de toute atteinte et de vous affranchir du danger de nouvelles secousses. »

Les Belges surent trouver le prince exceptionnel que leur indiquait Louis-Philippe, mais celui-ci ne sut pas suivre lui-même la voie qu'il traçait pour un autre. Ceux qui en 1831 blâmèrent la résolution de Louis-Philippe et qui ont vécu jusqu'ici doivent reconnaître que sa prudence fut de la sagesse.

§ II. SAC DE L'ARCHEVÊCHÉ.

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Tandis que Louis-Philippe faisait des vœux pour la pacification de la Belgique, Paris était le théâtre de scènes grotesques à première vue, mais empreintes d'un déplorable vandalisme.

Les carlistes, disparus aux jours de combat, avaient reparu depuis. Ils étaient railleurs, acerbes, injurieux dans leurs journaux, attribuant toutes les difficultés à la révolution. Le 21 janvier, ils firent célébrer dans plusieurs églises de Paris des services funèbres pour l'anniversaire de la mort de Louis XVI; rien ne troubla ces offices faits silencieusement et discrètement. Encouragés par ce succès négatif, les partisans de l'ancien régime annoncèrent dans leurs journaux une démonstration publique à l'église Saint-Roch, Il s'agissait d'un service commémoratif de l'assassinat du duc de Berry, assassiné le 13 février 1820.

L'autorité informée interdit la cérémonie. Ceux qui l'avaient organisée y persistèrent et la transportèrent à Saint-Germain l'Auxerrois. En effet, le 13 février, il y eut grande affluence de voitures et de spectateurs à cette église. Des billets, distribués à la main, y renvoyaient ceux qui se présentaient à Saint-Roch. L'office terminé, un portrait du duc de Bordeaux, des immortelles, sont attachés au simulacre de catafalque, près duquel se tiennent des gardes nationaux non régulièrement commandés ; une quête est faite au profit des blessés de la garde royale.

Cependant le bruit de cette cérémonie s'était répandu dans les

environs et avait attiré sur la place une foule qui voyait là un défi porté à la population parisienne par ce parti prêtre, si détesté sous la Restauration et que la révolution de Juillet n'avait pas inquiété. Comme toujours, le récit de ce qui s'est passé s'aggrave en passant d'un narrateur à un autre; la foule s'irrite, s'emporte, pénètre dans l'église, et là se livre à des dévastations aussi coupables qu'insensées. Tout est brisé, déchiré, abattu, foulé aux pieds, au milieu de plaisanteries ignobles. Près de l'église, dans la rue du Coq (rue de Marengc), la boutique d'un des gardes nationaux qui ont présidé au service est envahie, dévastée comme l'église. La garde nationale, tardivement appelée, ne peut que préserver l'église d'une complète destruction. Pour la protéger, on mit sur le portail cette inscription: Mairie du IV arrondissement.

Les dévastateurs, mis en goût, ne s'en tinrent pas là; le soir et dans la nuit, ils se donnèrent rendez-vous, pour le lendemain 14, à l'Archevêché. M. de Quélen, alors archevêque de Paris, royaliste et clérical très-passionné sous la Restauration, était regardé comme un agent du parti légitimiste et n'était pas aimé dans Paris. Dans la matinée du 14, l'Archevêché fut envahi à son tour, sans que l'autorité eût pris aucune mesure pour empêcher le renouvellement des scènes de la veille. Les émeutiers y pénétrèrent donc sans obstacle. La grille qui l'entourait sur le quai fut arrachée et renversée comme un frêle treillage. Tout ce que contenaient les appartements fut brisé, lacéré, lancé par les fenêtres. On jeta dans la Seine les livres de la bibliothèque, les insignes épiscopaux, toute sorte d'objets précieux que le fleuve emportait jusqu'auprès du pont Neuf. Des bateaux cherchaient à sauver des épaves, mais ce qui était retiré de l'eau se trouvait irréparablement détérioré.

Les combles même de l'Archevêché furent détruits par des hommes qui, accroupis sous les angles, les soulevaient à coups d'épaules et en faisaient tomber les débris dans les cours.

Une croix de fer qui surmontait le faîte de Notre-Dame fut précipítée sur le pavé. Soit indifférence, soit ignorance bien invraisemblable, l'autorité avait laissé faire. Le colonel de la douzième légion ayant appris ce qui se passait, fit battre le rappel et marcha sur l'Archevêché. L'œuvre de destruction était accomplie, et comme il se trouvait que c'était jour de mardi gras, les dévastateurs se promenèrent dans Paris en costumes ecclésiastiques, et portant au bout d'un bâton le portrait déchiré de l'archevêque.

L'Archevêché de 1830 ne conservait rien de l'aspect féodal de

l'ancien Évêché; c'était une construction moderne, vulgaire, sans rien de monumental. Après le sac, il n'y eut pas autre chose à faire que de le démolir. Les pertes regrettables furent celle des livres de la bibliothèque et celle d'objets d'art qui se trouvaient dans les appartements.

A Saint-Germain l'Auxerrois furent brisés de magnifiques vitraux du moyen-âge.

Aussitôt après ces scènes sauvages et pour en prévenir le retour, l'autorité fit disparaître de toutes les églises les croix qui les surmontaient et de tous les édifices publics les emblèmes fleurdelisés. Le roi se soumit lui-même à cette exigence d'une partie turbulente de la population; il gratta les fleurs de lis qui figuraient dans les armoiries de sa famille, sur ses voitures et sur sa livrée. Plus tard, les fleurs de lis furent rétablies sur les monuments où on les avait effacées.

Ces événements eurent pour première conséquence la retraite de M. Odilon Barrot, préfet de la Seine, et de M. Baude, préfet de police, que remplacèrent MM. de Bondy et Vivien.

Le 10 mars, sur de mauvaises nouvelles venues de Pologne, des bandes tumultueuses parcoururent certains quartiers de Paris et brisèrent des vitres à l'ambassade de Russie, rue du Faubourg-SaintHonoré.

§ III. MINISTÈRE DU 15 MARS. Le ministère Laffitte était travaillé par des dissentiments qui compromettaient son autorité, gênaient son action et le déconsidéraient devant la Chambre. Il avait cependant présidé à quelques lois qui amélioraient l'état ancien, sans être aussi libérales qu'on aurait pu les faire: lois sur la garde nationale, sur les déclarations du jury, loi municipale, loi électorale, qui abaissa le cens pour l'éligibilité et l'électorat sans augmenter assez le nombre des électeurs, lois de finances, etc. Plus d'une fois, dans les discussions, le ministère s'était trouvé en minorité ; il se retira.

Louis-Philippe chargea du soin de composer un nouveau cabinet Casimir Périer, dont il n'aimait cependant pas le caractère altier. Celui-ci ne voulut pour collègues que des hommes bien décidés à le suivre dans sa ligne de conduite. Le 13 mars, le ministère fut ainsi constitué intérieur, Casimir Périer, président du conseil ; finances, l'abbé Louis; justice, Barthe; instruction publique et cultes, Montalivet; guerre, Soult; marine, Rigny; commerce et travaux publics, le comte d'Argout.

Le cabinet Casimir Périer inaugurait ouvertement la politique

dite de résistance. Parmi les éléments complexes et multiples avec lesquels se fait une révolution populaire ou parlementaire, il s'en trouve toujours qui voulaient plus ou autre chose que ce que la révolution accomplie avec leur concours peut et doit réaliser. Dans l'enivrement de la victoire commune, ils ne se rendent pas compte qu'ils sont en minorité, qu'ils ont le droit de chercher à rallier la majorité à leurs idées, mais non de prétendre à imposer celles-ci de vive force. Dès lors la révolution est forcée de réagir contre eux, de leur opposer une résistance légitime, de les combattre s'ils en appellent à la violence. Mais cette résistance a ses limites et ne doit pas aller jusqu'à imposer le silence aux minorités, jusqu'à les exiler de la vie politique, car alors la tyrannie provoquerait la révolte. Malheureusement, majorités et minorités sont des partis et en ont les passions, par conséquent les injustices. Celles-ci ne savent pas ne demander rien qui ne soit réalisable; celles-là ne savent pas accorder à temps ce qui peut être concédé sans danger.

Casimir Périer avait toute la fermeté nécessaire à un ministre de résistance; mais il supportait difficilement l'opposition, la contradiction même, ne cherchait pas à convaincre ses adversaires, mais à les écraser et il s'en faisait des ennemis.

Si Louis-Philippe était le roi de la bourgeoisie, Casimir Périer en fut le ministre, en tant que ce mot de bourgeoisie, ou celui de classe bourgeoise, classe moyenne, puissent encore avoir en France une signification précise. Il trouva la loi électorale en cours de discussion et ne songea pas à la rendre plus libérale; à la vérité, un des orateurs les plus hardis de l'opposition parlementaire, Mauguin, déclarait qu'avec des électeurs payant 200 francs de contributions, la France serait le pays le plus libre du monde; l'opinion publique ne demandait guère plus alors et si les républicains parlaient déjà vaguement de suffrage universel, c'était là une théorie dont la réalisation semblait reléguée dans les nuages du plus lointain avenir.

L'esprit dominateur de Casimir Périer ne pouvait même pas s'accommoder des mœurs de l'Angleterre monarchique. La foule amassée sur la voie publique n'était pas seulement à ses yeux une gêne pour la circulation, mais un péril pour l'ordre, une menace pour les intérêts matériels : il ressentait encore l'épouvante qu'il avait éprouvée aux premiers mouvements de la révolution de Juillet. Aussi obtint-il de la Chambre une loi contre les attroupements qui autorisait à commander le feu après trois sommations.

La liberté d'association, si féconde, si entrée dans les mœurs en

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