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Révolution. On a vu comment un ministre, M. Ferrand, traitait la question des biens nationaux et qualifiait les Français qui n'avaient point émigré. Le roi, lui, donnait des lettres de noblesse à la famiue de ce Georges Cadoudal qui ne s'était fait connaître que comme chef de chouans et assassin. On glorifiait, on honorait officiellement les chefs et soldats de la révolte des Vendéens, qui, au fond, ne s'étaient battus que pour ne pas défendre la patrie et avaient été les auxiliaires de l'étranger; on leur prodiguait la décoration de la Légion d'honneur. Le maréchal d'empire qui avait eu l'honneur de tirer le dernier coup de canon contre les Alliés, Soult, duc de Dalmatie, à qui la bataille de Toulousse avait valu quelque popularité, avait obtenu par force protestations de dévouement, le commandement de la division militaire comprenant la Bretagne. Pour se mettre encore mieux en cour, il prit l'initiative d'une souscription, qu'il osa dire nationale, destinée à élever des monuments funèbres aux « victimes » de Quiberon. Cet acte de courtisanerie lui réussit : lorsqu'au mois de décembre, le roi dut congédier le général Dupont, mêlé à un scandale d'argent, le maréchal Soult fut nommé ministre de la guerre. Il s'empressa de suivre les errements de son prédécesseur et augmenta encore le mécontentement dans l'armée. On s'y moquait des jeunes et vieux gentilshommes ignorants du service, des aumôniers ayant rang de capitaines, on y murmurait contre la messe du dimanche imposée obligatoirement même aux protestants; on maudissait le drapeau blanc, la cocarde blanche et les fleurs de lys; beaucoup de soldats avaient gardé dans leur sac la cocarde tricolore et se gênaient peu pour l'exhiber; les souvenirs de Napoléon s'étaient relevés, avaient grandi parmi ces hommes qu'il avait menés si souvent à la victoire. Les soldats et officiers licenciés racontaient leurs combats, leurs triomphes, dans les campagnes et dans les villes et opposaient ces glorieux souvenirs aux Bourbons << revenus dans les bagages des étrangers. » Ainsi se fondait la légende napoléonienne.

Il était assurément très-légitime que Louis XVIII honorât la mẻmoire de son frère, de sa sœur et de sa belle-sœur; nul n'aurait trouvé mauvais qu'il fit célébrer, à leur intention, un service funèbre dans la chapelle des Tuileries. Mais cela n'eût pas suffi à son entourage; il fallait un éclat public, quelque chose qui humiliât la nation tout entière, une expiation solennelle du crime commis sur la personne de Louis XVI. A supposer que le jugement et la mort de Louis XVI fussent des crimes, on n'en pouvait, avec justice, rendre

responsables que les membres de l'Assemblée souveraine qui avait prononcé la sentence et ordonné l'exécution. Or les survivants de la Convention avaient tous été exclus des fonctions publiques qu'ils occupaient sous l'Empire, et la Charte les couvrait désormais.

Néanmoins, le gouvernement prescrivit que le 21 janvier serait dorénavant un jour d'expiation, que des services funèbres seraient célébrés dans toutes les églises de France.

Ce même jour, des fouilles furent exécutées dans le terrain qui avait été le cimetière de la Madeleine, aux endroits que l'on crut reconnaître pour ceux où avaient été enfouis les corps de Louis XVI et de Marie-Antoinette; on trouva des débris humains, rongés par la chaux, que l'on considéra comme appartenant aux deux personnes royales. Ces débris furent recueillis, mis dans un cercueil, puis transportés en grande pompe à l'abbaye de Saint-Denis.

Louis XVIII n'avait pas été un frère bien tendre pour Louis XVI et il avait été un beau-frère cruel pour Marie-Antoinette. On peut croire cependant qu'il y avait un certain sentiment d'affection, de remords peut-être, tout au moins un culte familial dans les honneurs rendus par lui aux restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Le public fut peu frappé de ces considérations, et, ne séparant pas cette cérémonie fraternelle d'autres qui l'avaient précédée, il n'y vit qu'un épisode de la guerre faite à tout ce qui rappelait d'une façon quelconque la Révolution.

Quelques jours auparavant un scandale avait eu lieu à Saint-Roch, dont le curé avait refusé les prières catholiques au corps de mademoiselle Raucourt, sociétaire de la Comédie-Française, uniquement parce qu'elle était actrice. C'était l'usage, peut-être excessif, mais légitime d'un droit incontestable, car rien plus que la prière ne saurait échapper à toute injonction. Mais la foule qui suivait le cortége, prétendant que le concordat obligeait les prêtres à célébrer les cérémonies funèbres, força les portes de l'église, y porta le cercueil et aurait peut-être commis d'autres violences, si Louis XVIII, informé des fails, n'eût envoyé un prêtre de sa chapelle pour dire les prières funéraires.

Cet incident montre où en était venue l'exaspération publique contre les doctrines absolutistes et les tendances intolérantes des royalistes et du clergé. Ces doctrines, d'ailleurs, étaient combattues avec énergie par des publicistes libéraux, dont le plus éloquent était Benjamin Constant. Le péril n'échappait pas aux hommes intelligents du parti royaliste : Chateaubriand le voyait bien et publiait une

brochure pour recommander la conciliation de la monarchie et de la liberté par la loyale application de la Charte. On ne l'écoutait pas Un des vétérans et des citoyens illustres de la Révolution, Carnot traçait ainsi le tableau de la situation: « Si vous voulez paraître à la cour avec distinction, gardez-vous bien de dire que vous êtes de ces vingt-cinq millions de citoyens qui ont défendu leur patrie avec quelque courage contre l'invasion des ennemis; car, on vous répondra que ces vingt-cinq millions de citoyens sont vingt-cinq millions de révoltés, que ces prétendus ennemis furent toujours des amis. Dites que vous avez eu le bonheur d'être chouan ou Vendéen, ou transfuge, ou Cosaque, ou Anglais, ou enfin qu'étant resté en France, vous n'avez sollicité des places auprès des gouvernements éphémères qui ont précédé la Restauration qu'afin de les mieux trahir et de les faire plus tôt succomber, alors votre fidélité sera portée aux nues, vous recevrez de tendres félicitations, des décorations, des réponses affectueuses de toute la famille royale. »

La Charte proclamait l'inamovibilité de la magistrature. Mais le gouvernement avait déclaré que les magistrats en fonctions n'exerçaient qu'à titre provisoire et que l'inamovibilité appartiendrait seulement à ceux qui obtiendraient du roi l'institution définitive. C'était tenir tous les tribunaux sous une menace d'épuration. Pressé de faire cesser une telle situation, le gouvernement commença par réorganiser la Cour de cassation et en élimina les jurisconsultes éminents qui, membres de la Convention nationale, avaient condamné Louis XVI.

§ IX. INVASION DE NAPOLÉON. — C'est au milieu de ces éléments de discorde que, le 5 mars 1815, tomba la nouvelle inattendue que, le 1er mars, Napoléon avait débarqué au golfe Juan et prenait la route de Paris. On ne s'en émut pas tout de suite, mais les dépêches successives annonçant les progrès de la petite armée impériale forcèrent le gouvernement à sortir de son inaction; il se jeta alors dans les mesures violentes, déclara Napoléon traître et rebelle, mit sa tête à prix et enjoignit à tous de lui courir sus. En même temps, une ordonnance royale convoquait les Chambres (7 mars), destitua le maréchal Soult du ministère de la guerre et le remplaça par Clarke, duc de Feltre, nomma Bourrienne préfet de police et prescrivit la réunion d'une armée sous Paris.

Les Chambres ne s'assemblèrent que le 15; Louis XVIII s'y transporta le 16. « Celui, dit-il, qui vient allumer parmi nous les torches de la guerre civile, y apporte aussi le fléau de la guerre

étrangère; il vient remettre notre patrie sous un joug de fer, il vient enfin détruire cette Charte constitutionnelle que je vous ai donnée, cette Charte mon plus beau titre de gloire aux yeux de la postérité, cette Charte que tous les Français chérissent et que je jure de maintenir. » Tous les princes de la famille s'associèrent à ce serment.

Il y avait beaucoup de vérité dans les paroles du roi et le serment qui les terminait avait une grande valeur, mais il venait trop tard. On ne pouvait oublier que Louis XVIII n'avait pas voulu s'engager par serment lorsqu'il donna cette Charte, que, depuis dix mois, les royalistes purs soutenaient que le roi, l'ayant octroyée, pouvait la retirer ou la modifier. Sans doute, le monarque était sincère en prenant cet engagement solennel in extremis, mais le temps de la confiance était passé.

L'assemblée salua le roi d'acclamations plus résignées qu'enthousiastes.

Le comte d'Artois eut l'idée de passer en revue la garde nationale et de faire appel à son dévouement, quelques volontaires à peine sortirent des rangs.

On apprenait d'heure en heure l'approche foudroyante de Napoléon; toutes les troupes dirigées contre lui faisaient défection, arrachaient la cocarde blanche et reprenaient la tricolore. Quand les chefs ne donnaient pas l'exemple, comme fit Labédoyère, colonel du 7o de ligne, ils étaient abandonnés ou entraînés par leurs soldats, comme le fut Ney à Lons-le-Saulnier.

Le 17, le duc de Berry sortit de Paris avec la garnison et des volontaires royaux. A peine hors des murs, la troupe cria: Vive l'empereur! arbora les trois couleurs et partit au-devant de Napoléon. Le prince dut rentrer en ville avec ses volontaires.

Le 18, on délibéra aux Tuileries sur le parti que devait prendre le roi. Les uns proposaient de faire appel aux armées étrangères, d'autres de s'enfermer dans une place forte, d'autres que le roi attendit l'usurpateur, assis sur le trône, dans tout l'éclat de la royauté, comme les sénateurs romains en face des Gaulois. Ce souvenir classique tentait Louis XVIII. « Je resterai ici, avait-il dit, je veux voir en face l'homme qui prétend s'asseoir sur mon trône. » Il avait même adressé aux troupes une proclamation en ce sens; mais on lui représenta que l'ogre de Corse avait déjà versé du sang Bourbon et n'hésiterait pas à recommencer. Louis XVIII annonça alors l'intention de se retirer à Lille.

Le départ s'effectua tristement dans la nuit du 19 au 20; Louis XVIII laissait une proclamation fermant la session et en convoquant une autre dans un lieu à déterminer, annonçant son retour ultérieur, et déclarant nulle toute assemblée réunie en dehors de son autorité.

A Lille, le maréchal Mortier conseilla au souverain fugitif de ne pas rester au milieu d'une garnison hostile. Louis XVIII se décida alors à sortir de France, après avoir rendu une ordonnance par laquelle il interdisait le payement de l'impôt et le service militaire. Puis, il entra en Belgique et alla résider à Gand.

Dans la soirée du 20 mars, Napoléon arrivait à Paris, bruyamment accueilli par une multitude d'officiers en demi-solde, et se réinstallait aux Tuileries.

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§ I. RETOUR DE L'ÎLE D'ELBE. On ne tombe pas de l'Empire de France et de la domination sur l'Europe à la dérisoire souveraineté de l'ile d'Elbe, sans garder l'espoir et guetter l'occasion de ressaisir la haute fortune perdue. Sur le théâtre de Sainte-Hélène, jouant un rôle pour duper la postérité, Napoléon a voulu faire croire qu'à Porto Ferrajo, il n'avait ni plans, ni projets, qu'il n'était plus qu'un « spectateur du siècle, » et que les événements seuls l'ont poussé à une tentative où il savait avoir « pour alliée la France même. » Cela n'est pas la vérité. La vérité, c'est que Napoléon était fort attentif aux affaires de la France, fort avide des nouvelles qui en venaient et tenu fort au courant de ce qui s'y passait par des correspondances ou des émissaires qui n'avaient à entreprendre un voyage ni bien long ni bien difficile pour parvenir à l'ile d'Elbe. Comme toutes les communications entre exilés et amis restées dans

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