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la patrie, les renseignements envoyés ou portés à Napoléon exagéraient l'importance de beaucoup de choses et les présentaient sous le jour le plus agréable pour l'expéditeur et pour le destinataire.

L'Empire n'avait été qu'un grand commandement militaire, un vaste camp pour former des armées dont le quartier général était à Paris, aux Tuileries. Une conspiration militaire avait failli, en 1812, ruiner tout à coup cette machine militaire. En 1814, l'Empire était tombé tout d'une pièce le jour où une bataille perdue sous Paris avait mis son quartier général aux mains de l'ennemi. Napoléon savait bien que dans la France impériale il n'y avait pas autre chose que l'armée; il savait aussi quel culte les soldats vouent aù général qui les a rendus souvent victorieux. Quand il vit le gouvernement royal humilier, froisser, irriter l'armée, jeter à travers toute la France les officiers en demi-solde, les soldats congédiés, les invalides dépossédés qui, tous, s'en allaient retrouver, dans les villes et les villages, des vétérans, d'anciens compagnons d'armes auxquels ils racontaient leurs griefs, les outrages à leur drapeau, les vieux émigrés et les jeunes gentilshommes venant commander insolemment les vainqueurs de toute l'Europe, quand il vit cela, Napoléon comprit quelle force immense et irrésistible la maladresse de la Restauration lui mettait entre les mains; il résolut d'en user et entreprit, à la tête de 400 hommes cette conquête de la France qui, même avec toutes les causes qui en expliquent le succès, reste et restera un des événements les plus surprenants de l'histoire.

Tout cependant, tenait à l'attitude de la première troupe que rencontrerait la petite bande impériale. Si cette troupe résistait au prestige personnel de Napoléon et faisait son devoir, l'empereur était pris ou tué et tout était fini. Quand on fut en présence, Napoléon fit mettre à ses hommes l'arme sous le bras gauche; puis, s'avançant vers la troupe royale et écartant sa redingote pour découvrir sa poitrine : « Si quelqu'un d'entre vous, dit-il, veut tuer son empereur, il le peut... » « Vive l'empereur ! » crie la troupe tout d'une voix, et les soldats de la défense se mêlant à ceux de l'agresseur, foulent aux pieds la cocarde blanche, retrouvent des cocardes, des drapeaux tricolores, un aigle même, soigneusement conservés et se rangent à la suite de Napoléon.

Le commandant de Grenoble ferme les portes de la ville. Les habitants les descellent et les livrent à Napoléon. Ce fut le seul acte de vive force, nécessaire pendant cette campagne de vingt

jours. A Lyon, il n'y eut pas même ce simulacre de résistance. A Lons-le-Saulnier, Napoléon rencontra un corps d'armée commandé par le maréchal Ney. Soldat intrépide, mais caractère mou, ce maréchal ne sut pas maintenir ses troupes dans le devoir ni s'y maintenir lui-même; il sanctionna la mutinerie et se mit aux ordres de Napoléon. Le gouvernement royal perdit là sa dernière chance de salut.

Du golfe Juan à Paris, la marche de Napoléon n'avait été qu'un long triomphe. Il rapportait aux soldats leurs glorieux souvenirs, il venait les affranchir et les venger de l'insolence des gentilshommes; pour les paysans, son retour mettait fin aux prétentions féodales des émigrés, aux menaces de reprise des biens nationaux ; il essayait de rallier les populations urbaines par des promesses de liberté et de paix; on n'acceptait cependant les unes et les autres qu'avec une certaine défiance, car on ne pouvait croire qu'il eût si tôt perdu le goût du despotisme et des conquêtes.

Lorsqu'il approcha de Paris, les assurances pacifiques étaient déjà à peu près évanouies. Le 13 mars, les souverains alliés, que la nouvelle du débarquement de Napoléon avait surpris en plein congrès de Vienne, lancèrent une déclaration portant que « Napoléon Bonaparte s'était placé hors des relations civiles et sociales, et que, comme ennemi et perturbateur de la paix du monde, il s'était livré à la vindicte publique; qu'ils emploieraient tous leurs moyens et réuniraient tous leurs efforts pour garantir l'Europe de tout attentat qui menacerait de replonger les peuples dans les désordres et les malheurs des révolutions. >>

Sauf la manifestation des officiers en demi-solde, l'accueil de Paris fut morne et glacial. Napoléon ne put pas ne point le remarquer et en fut troublé. Il venait de relever l'Empire, mais l'Empire d'il y a un an était devenu aussi impossible que la monarchie de droit divin. Si, dans les dix mois qui venaient de s'écouler, la France s'était progressivement détachée du gouvernement royal, malgré les garanties écrites dans la Charte, ce n'était pas pour retourner à l'arbitraire du gouvernement impérial. De l'île d'Elbe, Napoléon avait vu clair à cet égard et il rentrait, résolu à faire, au moins temporairement, les concessions indispensables. Il reprit son ministère de mars 1814, moins M. Molé et M. de Montalivet, qu'il remplaça, le premier à la police par Fouché, le second à l'intérieur par Carnot. C'était ce dernier nom qui faisait le caractère du cabinet et donnait un gage aux citoyens attachés aux principes de la Révo

lution (21 mars). Toutefois, Napoléon dissimulait à peine qu'il agissait malgré lui. Si, le 24, il proclamait la pleine liberté de la presse, s'il chargeait Benjamin Constant de préparer une constitution libérale, il disait aux chefs du parti libéral : « ... La nation veut ou croit vouloir une tribune et des assemblées... Le goût des constitutions, des débats, des harangues paraît revenu... Cependant, ce n'est que la minorité qui les veut. Le peuple, ou, si vous l'aimez mieux, la multitude, ne veut que de moi... »

On n'est pas fermement rattaché à la liberté, on n'est pas résolu à la pratiquer franchement, quand on se résigne d'aussi mauvaise grâce à la concéder ainsi, sous la pression de la nécessité et en la considérant comme un pis-aller. Les vieilles habitudes de despotisme reparaissaient, d'ailleurs, dans des décrets qui ressuscitaient, contre la famille royale et les émigrés rentrés depuis un an, les lois de proscription de la Révolution, qui expulsaient ou mettaient en surveillance certains fonctionnaires de la royauté, qui menaçaient de peines rigoureuses ceux qui, mis en demeure de prêter serment à l'empereur, s'y refuseraient; qui plaçaient les journaux de Paris sous la surveillance du ministre de la police et les journaux des départements sous celle des préfets.

Napoléon était-il plus sincère quand il faisait espérer que la paix ne serait pas troublée, que l'impératrice allait revenir avec son fils, quand il faisait ostensiblement partir des courriers chargés de lettres personnelles pour Marie-Louise et les souverains?

La paix lui eût été un bien si précieux qu'on peut supposer qu'il voulût réellement y croire et se faire à lui-même l'illusion de la conserver. Si la déclaration du 13 mars ne lui avait pas ôté tout es poir, il eut bientôt perdu ce qui lui en restait. Ses courriers ne dé passèrent pas la frontière; sa lettre à Marie-Louise ne parvint pas, etil apprit que cette femme, épouvantée par la nouvelle du 20 mars, avait déclaré qu'elle ne rentrerait jamais en France, son père lui en donnât-il l'ordre, et qu'après avoir mis son filset sa propre personne sous la sauvegarde de l'empereur d'Autriche, elle était partie de Vienne pour aller rejoindre son amant en Italie. L'empereur Napoléon avait répudié la femme du général Bonaparte pour épouser une archiduchesse qui ne voulait pas de lui. N'en était-il pas trop cruellement puni?

Enfin, le 25 mars, les souverains signaient à Vienne un traité par lequel, pour maintenir le traité de Paris du 30 mai 1814 et les décisions du congrès de Vienne, ils s'engageaient à réunir tous leurs

efforts contre Napoléon Bonaparte et ses adhérents, afin de le mettre hors d'état de troubler désormais la paix générale. Chaque souverain s'engageait, en outre, à tenir constamment en campagne un effectif complet de 150,000 hommes avec une artillerie suffisante, et à ne poser les armes que quand le but de la guerre serait atteint. Toutes les puissances européennes, sauf la Suède et le Portugal, adhérèrent à ce traité. Le 31 mars, une convention militaire arrêtait la formation de trois armées : la première, de 344,000 hommes, commandée par le prince de Schwartzenberg; la seconde, de 250,000 hommes, aux ordres de Wellington et de Blücher; la troisième, de 200,000 hommes, sous le commandement d'Alexandre. C'était donc une masse de 794,000 combattants qui allait menacer la France.

Napoléon connut ces dispositions au commencement d'avril. Ce n'est pas être téméraire de croire que, même en souhaitant une paix nécessaire pour lui, il avait prévu que les souverains n'accepteraient pas sans combat une révolution qui détruisait leur œuvre de 1814. Aussi, dès les premiers jours de sa réinstallation aux Tuileries, Napoléon avait, sous apparence de simple précaution, ordonné des travaux de fortification autour de Lyon et de Paris, et prescrit de remettre en état les places fortes endommagées ou dégarnies par l'invasion.

Pendant que la France était encore ignorante ou incertaine de la guerre, Napoléon avait à compter avec les exigences libérales d'une opinion publique qui n'entendait pas se contenter de simples et vagues promesses et voulait des garanties réelles, c'est-à-dire une Constitution.

Napoléon n'avait épargné les railleries ni à l'octroi de la Charte, ni aux dix-neuf années de règne de Louis XVIII, ni à la résurrection des anciens usages monarchiques. Or lui-même faisait ce qu'il avait reproché à Louis XVIII et tombait à son tour dans le travers des princes dépossédés et réintégrés, qui croient volontiers que, durant leur absence, le pays où ils régnaient n'a pas vécu, n'a pas été gouverné et se trouve, à l'heure de leur retour, juste au même point qu'au moment de leur départ. Napoléon ne tenait pas compte des onze derniers mois écoulés et il reconstruisait l'Empire pièce à pièce, comme si la France de 1815 était restée la France de 1811.

Cependant, les avertissements ne lui manquaient pas et il ne pouvait pas ne pas les entendre. Carnot l'avait engagé à rompre avec tout le passé impérial, à rétablir la République, à convoquer

une Assemblée nationale et à devenir le magistrat élu et temporaire d'une nation libre. La même opinion était soutenue publiquement dans diverses brochures. Si quelques harangues officielles se ressentaient encore de la lâche servilité d'autrefois, il en était qui ne craignaient pas de faire entendre, respectueusement mais ferme ment, à Napoléon la voix de l'opinion publique.

Quand Napoléon avait rendu un décret proscrivant treize personnes, parmi lesquelles les ministres de Louis XVIII, comme coupables d'avoir tramé ou favorisé le renversement des Constitutions de l'Empire et mettant leurs biens sous le séquestre, il voulut antidater ce décret et le dater de Lyon. Il fallait alors le faire contresigner par le général Bertrand. Celui-ci s'y refusa absolument : « Ce n'est pas là, dit-il, ce que vous avez promis. Je ne signerai jamais. » Le duc de Bassano opposa le même refus, et lorsque le décret parut, tous les serviteurs de Napoléon le blâmèrent. Labédoyère dit, aux Tuileries, assez haut pour être entendu de l'empereur : « Si le règne des séquestres et des proscriptions recommence, tout sera bientôt fini. »

Dans une adresse présentée à Napoléon, le 27 mars, le conseil des ministres disait : « ... L'empereur a tracé à ses ministres la route qu'ils doivent tenir... Point de guerre au dehors, point de réaction au dedans, point d'actes arbitraires. Sûreté des personnes, sûreté des propriétés, libre circulation de la pensée, tels sont les principes que vous avez consacrés... »

Le conseil d'État, dans une délibération solennelle, dont le texte était l'œuvre de Thibaudeau, après avoir établi que Napoléon, ayant été proclamé empereur par le suffrage de la nation, le Sénat de 1814 n'avait pas eu le droit de prononcer la déchéance, rappelait que l'empereur avait promis de garantir, de nouveau, par des institutions revues dans une grande Assemblée nationale, tous les principes libéraux : la liberté individuelle et l'égalité des droits, ia liberté de la presse et l'abolition de la censure, le vote des contributions et des lois par les représentants de la nation légalement élus, l'indé les propriétés nationales de toute origine, pendance et l'inamovibilité des tribunaux, la responsabilité des ministres et de tous les agents du pouvoir.

L'ancien conventionnel, dont le républicanisme avait sommeillé quinze ans sous le titre de comte et de sénateur de l'Empire, faisait au plébiscite de 1804 une étrange application du principe de la souveraineté nationale. Ce n'était peut-être là qu'une concession de

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