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par les feuilles cléricales. Les journaux libéraux en prirent la défense; des écrivains de renom, Quinet, Michelet, Génin, ripostèrent vivement.

Les cléricaux réclamèrent impérieusement une loi sur l'instruction secondaire. Il en avait été présenté, sous un des cabinets précédents, une qui avait été discutée, adoptée même par une des Chambres et que le ministère du 29 octobre avait retirée au commencement de 1843. Celui-ci promit de préparer un nouveau projet qui donnerait satisfaction aux évêques.

La mort du duc d'Orléans semblait avoir rendu l'audace au parti clérical. Il déployait une activité extrême, multipliant les écoles congréganistes, formant toutes sortes de confréries, d'associations plus ou moins secrètes, où la police ni la justice ne portaient les yeux, faisant pulluler les couvents, les communautés, les spéculations religieuses de toute sorte. Qu'on lui laissât toute liberté, soit; mais alors, il fallait la donner aussi à ses adversaires, pour que la lutte fût égale.

§ V. ALGÉRIE. Malgré les échecs précédemment éprouvés et l'affaiblissement de sa puissance, Abd-el-Kader continuait la guerre avec acharnement. Au commencement de 1843, il parvint à soulever plusieurs tribus soumises et à pousser des incursions jusqu'aux environs d'Alger. Le général Bugeaud organisa plusieurs expéditions qui le rejetèrent dans les montagnes et châtièrent les tribus rebelles. La plus importante de ces opérations est celle qui fit tomber entre les mains des Français la smala d'Abd-elKader.

Deux colonnes, commandées l'une par le duc d'Aumale, l'autre par Lamoricière, agissaient de concert pour couper la retraite an chef arabe.

Le 16 mai, au matin, le duc d'Aumale, qui marchait en avant de sa colonne, avec sa cavalerie composée de 500 chasseurs et spahis, découvre la smala campée près des sources du Tanguin. Sans attendre son infanterie, ce qui eût donné le temps à la smala de fuir, le duc se lance au galop avec ses cavaliers, tombe à l'improviste sur le campement, met en déroute les réguliers qui le gardent et s'empare de tout ce qui est là, hommes, femmes, tentes, bestiaux. Dans la smala se trouvaient plusieurs des principaux officiers d'Abd-el-Kader, avec leur famille et leurs serviteurs. Abd-elKader n'échappa qu'avec peine; il avait fait partir en avant sa mère et sa femme.

Le duc d'Aumale ramena ses prisonners à Alger. Les principaux furent logės à la Casbah, les autres à la Maison-Carrée, d'où, quelques jours après, le gouverneur général les renvoya presque tous dans la province d'Oran, dont ils étaient originaires.

Ce brillant succès amena la soumission de toutes les tribus encore hostiles. Le général Bugeaud fut nommé maréchal. Le duc d'Aumale, les généraux de brigade Lamoricière et Changarnier furent promus généraux de division.

§ VI. LETTRES. Le 11 décembre 1843, Casimir Delavigne, se rendant en Italie pour y chercher un climat plus doux, mourut à Lyon. Son corps fut rapporté a Paris. Une nombreuse assistance suivit les funérailles de cet écrivain, qui eut ses heures de grande popularité et qui est injustement délaissé.

Au mois d'avril, est jouée à l'Odéon la Lucrèce de Ponsard, qui est alors regardée comme le chef-d'œuvre d'une école dite du bon sens, opposée à l'école romantique.

A l'Opéra, Halévy fait jouer Charles VI, qui dut une partie de son succès à des allusions contre l'Angleterre.

§ VII. INDUSTRIE.-Les 2 et 3 mai 1843, eurent lieu, avec grande solennité, l'inauguration du chemin de fer de Paris à Rouen et de Paris à Orléans. C'étaient les deux plus longs parcours qui existassent encore sur le sol de France.

§ VIII. EXTÉRIEur. L'Irlande s'agite toujours à la voix d'O'Connell; l'orateur populaire est décrété d'accusation et cité en justice pour le 6 janvier 1844. Cobden organise une ligue pour le libreéchange. L'Angleterre ouvre la Chine à toutes les nations.

Espartero, attaqué par des soulèvements qu'il ne peut réprimer, quitte l'Espagne et se retire en Angleterre (fin de juillet). Isabelle, âgée seulement de treize ans, est déclarée majeure par les Cortès (10 novembre). Olozaga, chef du cabinet, est bientôt renversé par Narvaez et obligé de fuir en Portugal (17 décembre).

En Grèce, révolution du 3 septembre, qui oblige le roi à promettre une constitution.

Une tentative d'insurrection est faite, sans succès, à Bologne (Italie), au mois d'août. Une misère extrême est produite dans les États romains par les abus de l'administration pontificale.

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Affaire de Taïti. AfEnseignement. Lettres. Sciences.

La session de 1844 s'était

§ I. SESSION DE 1844. LES FLÉTRIS. ouverte le 27 décembre 1843. On savait que les visites faites à M. de Chambord par des députés légitimistes avaient blessé LouisPhilippe et l'on s'attendait à trouver dans le discours du trône la trace du mécontentement royal; il n'en fut rien. Le discours ne contenait pas un mot à ce sujet. Le gouvernement avait trouvé plus digne et plus habile de laisser ce soin à l'initiative parlementaire. Les Chambres, en effet, s'étaient fort émues aussi de cet incident. On n'admettait pas, en ce temps-là, dans les assemblées législatives que des membres d'un des corps de l'État pussent aller convenablement faire hommage et acte d'adhésion au prétendant d'une autre forme de gouvernement.

La Chambre des pairs, qui répondit la première à l'adresse, disait: « Le roi, en montant sur le trône a promis de vous consacrer son existence tout entière, de ne rien faire que pour la gloire et le bonheur de la France : la France lui a promis fidélité. Le roi a tenu ses serments, quel Français pourrait oublier ou trahir les siens?... Les factions sont vaincues, et les pouvoirs de l'État, dédaignant leurs vaines démonstrations, auront l'œil ouvert sur leurs manœuvres criminelles. »

M. Guizot déclara que les faits dont il s'agissait ne présentaient aucun danger au gouvernement, et, prévoyant qu'on demanderait pourquoi dès lors s'en occuper, il dit :

« Pourquoi? Parce qu'il y a dans ce monde, pour les gouvernements et pour les pays qui se respectent, autre chose que le danger; parce que ce ne sont pas seulement des questions d'existence qu'ils ont à traiter. Le scandale est une grande affaire pour les gou. vernements et les pays qui se respectent. Eh bien, il y a eu un scandale immense; il y a eu un scandale politique et moral; il y a eu un oubli coupable et quelquefois honteux des premiers devoirs du citoyen. Oui, des premiers devoirs du citoyen. On n'a pas besoin d'occuper telle ou telle situation particulière, on n'a pas be

scin d'avoir prêté tel ou tel serment pour devoir obéissance aux tois et au gouvernement de son pays. Cette obéissance, cette soumission, c'est la première base de la société, c'est le premier lien de l'ordre social, et quand on voit ce devoir aussi arrogamment, aussi frivolement méconnu, il y a, je le répète, pour tout le monde, sous toutes les formes de gouvernement, un scandale immense, un profond désordre social. »

L'homme qui parlait ainsi avait fait le voyage de Gand et devait faire, dans quelques années, le voyage de Claremont.

La Chambre des pairs vota le projet d'adresse.

Au palais Bourbon, la commission de l'adresse ne disait qu'une phrase, brève mais dure : « La conscience publique flétrit de coupables manifestations. » On ne doutait pas que la « flétrissure » ne fût vertement relevée par Berryer; mais le grand orateur légitimiste se borna à une défense embarrassée de la légitimité et plaida les circonstances atténuantes.

M. Guizot profita de cette faiblesse. « On a parlé, dit-il, au nom d'un droit qui se prétend supérieur à tous les droits, au nom d'un droit qui prétend demeurer entier, imprescriptible, inviolable quand tous les autres droits sont violés, au nom d'un pouvoir qui n'accepte aucune limite, aucun contrôle complet et définitif, au nom d'un pouvoir qui ne peut pas se perdre lui-même, quelque insensé et quelqué coupable qu'il soit, de qui les peuples, quoi qu'il fasse, doivent tout supporter.

« C'est là ce qu'on appelle la légitimité. Voilà le principe de Belgrave square, voilà le drapeau qu'il a opposé à notre drapeau de 1830.

«Messieurs, on le sait, je suis profondément monarchique; je suis convaincu que la monarchie est le salut de ce pays, et qu'en soi c'est un excellent gouvernement; et la monarchie, je le sais, c'est l'hérédité du trône consacrée par le temps; cette légitimitélà, je l'approuve, je la veux, nous la voulons tous, nous entendons bien la fonder. Mais toutes ces hérédités de races royales ont commencé, elles ont commencé un certain jour, et il y en a qui ont fini. La nôtre commence, la vôtre finit. Quant à la légitimité dont vous vous prévalez, que vous invoquez, ce droit supérieur à tous les droits, ce pouvoir qui ne peut pas se perdre lui-même, de qui les peuples doivent tout supporter... ah! je tiens ces maximes-¦à pour absurdes, honteuses, dégradantes pour l'humanité.

« Et quand on prétend les mettre en pratique, quand on prétend

les tendre dans toute leur portée et les pousser jusqu'à leurs der nières extrémités, une nation fait bien de se revendiquer elle-même et de rétablir à ses risques et périls, par un acte héroïque et puissant, ses droits méconnus et son honneur offensé... »

Ainsi, M. Guizot, lui aussi, reconnaissait le droit à la révolution. Avant d'arriver à la discussion particulière du paragraphe « flétrissant », des efforts furent tentés pour atténuer une expression peu parlementaire. Commission et ministres y consentaient sans difficulté; ce fut le roi qui exigea le maintien du texte primitif.

M. Guizot engagea résolûment le combat. Il reprocha aux légitimistes d'être allés à Londres dans un intérêt de parti, et soutint que leur conduite avait été mauvaise au point de vue de la moralité publique, dont il importait de rétablir les droits.

dit-il,

Berryer monte aussitôt à la tribune: « Je ne veux pas, évoquer le souvenir d'un autre temps, je ne veux pas demander ce qu'ont fait, à une autre époque les hommes qui nous accusent aujourd'hui.

« On nous accuse d'avoir perdu notre moralité politique. Ah! si nous avions été aux portes de la France en armes pour donner, au sein d'une armée ennemie, des conseils politiques à un roi!... Nous, nous avons été saluer le malheur. >>

M. de la Rochejaquelein s'écrie : « Nous ne pouvons pas être flétris par le ministre qui a pris une si grande part à la sanglante réaction de 1815 et encouragé les atrocités du Midi. »

A son tour, M. Guizot monte lentement à la tribune et prend la parole au milieu d'un profond silence:

Je viens à la tribune vider un incident personnel. Ce n'est ni le gouvernement du roi, ni le cabinet actuel, ni le ministre des affaires étrangères qui est devant vous, c'est M. Guizot personnellement...

« J'ai dit à la Chambre quels motifs m'ont fait aller à Gand... » Ce mot est le signal d'un des plus terribles tumultes parlementaires. De la droite, de la gauche, partent les plus véhémentes, les plus violentes apostrophes. M. Guizot tient tête intrépidement à l'orage. Six fois, il recommence sa phrase, six fois il est interrompu au même mot. « On veut épuiser mes forces, dit-il, on n'épuisera pas mon courage; » et il se plaint de la violence qui veut étouffer sa parole, de l'atteinte portée à la liberté de la tribune. « Eh bien, s'écrie M. Odilon Barrot, laissons-le donc étaler sa honte et ayons le courage de l'écouter jusqu'au bout. »

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