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Ce mot cruel amène un calme relatif, pendant lequel M. Guizot reproduit l'explication déjà donnée par lui, en 1841. Il ajoute qu'aucune attaque ne l'empêchera de défendre avec persévérance la monarchie constitutionnelle fondée en 1830, et termine par ces paroles hautaines : « Quant aux injures, aux calomnies, aux colères extérieures ou intérieures, on peut les multiplier, on peut les entasser tant qu'on voudra, on ne les élèvera jamais au-dessus de mon dédain. »

M. Odilon Barrot ferme le débat par de graves et sévères paroles: « Quand vous aurez, monsieur, à servir la liberté constitutionnelle de votre pays, croyez-moi, ne prenez pas le chemin que vous avez pris, n'allez pas la servir sous le drapeau de l'étranger, ne vous exposez pas à revenir à travers un champ de bataille.

« Vous appelez préjugé, vous traitez du haut de votre dédain les sentiments qui ont fait mourir ces hommes pour leur pays.

On parle de moralité, de liberté, de nationalité. Je le demande, messieurs, si une pareille doctrine pourrait servir d'évangile politique! Quoi! lorsque les armées sont en présence, mais il n'y a qu'un camp, il n'y a plus qu'un parti, et c'est alors qu'on pourrait déserter le drapeau de son pays pour passer à l'étranger!....... »

Le paragraphe de flétrissure fut voté; mais les députés flétris n'acceptèrent pas la sentence parlementaire; ils donnèrent leur démission et se représentèrent devant les électeurs. Tous furent réélus.

Quant à M. Guizot, malgré la médaille que lui décernèrent ses amis en souvenir de cette séance, il sortit du débat politiquement amoindri, plus frappé par la réprobation publique que ceux qu'il avait fait condamner par la Chambre et faisant rejaillir sur la royauté de Louis-Philippe une part de sa propre impopularité.

Sans doute, les scènes de violence dont la Chambre fut le théâtre, ce jour-là, sont un triste spectacle pour l'histoire; mais les crimes contre la conscience publique n'ont guère d'autre châtiment que la révolte de cette conscience publique.

§ II. LE DROIT DE VISITE. Le ministère ne put éviter, dans la discussion de l'adresse, d'avoir à s'expliquer sur ce que devenaient les traités relatifs au droit de visite. La commission reproduisit le vœu déjà formulé l'année précédente. M. Guizot affirma que des négociations étaient entamées pour l'abrogation des traités, mais presque au même instant, le cabinet anglais déclarait au Parlement que la France avait exprimé le vœu que des modifications fussent

apportées aux traités de 1831 et 1833, sans en diminuer l'efficacité. Il y avait là une contradiction au moins apparente.

§ III. AFFAIRE DE TAÏTI. Ces discussions finissaient à peine quand un navire de commerce, venant de Taïti, annonça que l'amiral Dupetit-Thouars avait pris possession de cette île au nom de la France. Cette nouvelle inattendue causa une surprise qui fut mêlée de satisfaction en France et d'irritation en Angleterre..

Le traité du 9 septembre 1842, mettant Taïti sous le protectorat français, maintenait à la reine Pomaré la souveraineté de l'île, et la reine abandonnait au roi des Français ou à son délégué la direction de toutes les affaires avec les gouvernements étrangers et le droit de prendre toute mesure utile à la conservation de la paix. Le traité assurait, en outre, à chacun le libre exercice de sa religion.

Le consul des États-Unis à Taïti et le vice-consul d'Angleterre, en l'absence du consul, donnèrent une adhésion empressée au traité; les missionnaires anglais en résidence dans l'île l'acceptèrent aussi sans mauvaise grâce.

Au mois d'avril 1843, le gouvernement français ratifia le traité et donna au capitaine Bruat, déjà nommé gouverneur des îles Marquises, le titre de gouverneur des établissements français dans l'Océanie et commissaire du roi près la reine Pomaré. L'amiral Roussin demanda aux Chambres un crédit extraordinaire de six millions pour la dépense relative aux établissements nouveaux, crédit qui fut accordé après une sérieuse discussion. L'Angleterre n'avait contesté ni le droit de la reine Pomaré, ni celui de la France, ni la validité du traité de septembre, et elle avait donné à la marine anglaise l'ordre de saluer le pavillon du protectorat et de ne susciter aucune difficulté aux Français.

Après la conclusion du traité, Dupetit-Thouars avait quitté Taïti, y laissant deux officiers de marine chargés des intérêts français. Il ne revint que quatorze mois après, en novembre 1843. Il trouva planté sur l'île un nouveau pavillon avec une couronne, signe de souveraineté, ce qui n'avait rien de bien irrégulier puisque la reine conservait la souveraineté quant à l'intérieur. Mais, outre ce pavillon, l'amiral rencontra des manifestations de mauvais vouloir, même d'hostilité. Tous ces changements étaient l'œuvre d'un certain Pritchard, cumulant les fonctions de consul d'Angleterre, de missionnaire protestant, de pharmacien et d'accoucheur de la reine. Cet individu, absent de Taïti en septembre 1842, y était

revenu depuis. Fort mécontent de la prise de possession, il donna sa démission de consul, reçut une autre destination, mais n'en resta pas moins à Taïti soit pour intriguer, soit pour avoir le temps de vendre son officine.

Après avoir reçu le rapport officiel de Dupetit-Thouars et une lettre de Pomaré au roi pour revendiquer la souveraineté et les droits que lui réservait le traité de 1842, le gouvernement fit insérer au Moniteur une note où il était dit que « le roi, de l'avis de son conseil, ne trouvant pas dans les faits rapportés de motifs suffisants pour déroger au traité du 9 septembre 1842, a ordonné l'exécution pure et simple de ce traité et l'établissement du protectorat français dans l'île de Taïti. »

Le gouvernement de Louis-Philippe, en général, et le ministêre Guizot, en particulier, avaient montré en tout et toujours tant de condescendance vis-à-vis de l'étranger, tant de passion pour la paix partout et toujours, que l'opinion publique voulut voir tout de suite dans la note du Moniteur l'effet d'une pression exercée par l'Angleterre. Il n'en était rien. Le gouvernement français avait agi en pleine indépendance et selon toute justice. L'amiral Dupetit-Thouars n'avait pas eu le droit d'annuler de sa pleine et seule autorité un traité conclu avec une personne souveraine, si faible qu'elle fût, et sans y être autorisé par le roi des Français, qui avait ratifié ce traité. L'acte de l'amiral était illégal et inique. Cet officier n'avait pas d'autre droit que d'exiger la pleine exécution du traité de 1842 et, si la reine s'y refusait, il avait le devoir d'en référer au gouvernement de France. C'était donc avec toute raison que celui-ci avait pris la résolution énoncée dans le Moniteur. Dans la discussion que cette note souleva à la Chambre, le gouvernement ne donna peut-être pas des explications assez nettes, assez précises pour convaincre le public. Il obtint de la majorité le rejet d'un ordre du jour contenant un blâme implicite, mais il ne se justifia pas complétement devant l'opinion publique. Ce fut un tort un gouvernement ne doit même pas se laisser soupçonner d'une humiliation.

L'affaire de Taïti ne devait pas en rester là. Au moment même où la Chambre s'en occupait, les intrigues de Pritchard déterminaient la reine à protester contre le traité de 1842, à se retirer à bord d'un bâtiment anglais et à provoquer dans toute l'île un mouvement insurrectionnel, en annonçant le secours de l'Angleterre. Le gouverneur Bruat prit des mesures énergiques pour prévenir

ou reprimer toute (entative de sédition et se porta, de sa personne, sur tous les points menacés. Tandis qu'il parcourait ainsi Taïti, le capitaine de corvette d'Aubigny, à qui il avait confié le commandement de la ville de Papéiti, mit cette ville en état de siége, le 3 mars 1844, fit arrêter Pritchard et le retint enfermé dans un blockhaus.

Le 9 mars, le gouverneur, rentré à Papéiti, fit sortir Pritchard de sa prison et l'envoya à bord de la frégate française la Meurthe, puis le remit au commandant du vapeur anglais le Cormoran, qui partit aussitôt.

Ce nouvel incident reparaitra dans les débats par mentaires.

SIV. AFFAIRES DU MAROC.— Abd-el-Kader, acculé à la frontière du Maroc, profitait du voisinage pour faire des recrues parmi les tribus marocaines et aussi pour presser l'empereur Muley-AbderRhaman de faire la guerre aux Français. Celui-ci résistait, car il redoutait à la fois la guerre où l'on voulait l'entraîner et celui qui la conseillait. Lorsque l'autorité militaire fit construire un fort à Lalla Maghrena, près de la frontière, Abd-el-Kader fit courir le bruit qu'il s'agissait de la fondation d'une ville pour entreprendre ensuite la conquête du Maroc. Ce bruit causa un tel emportement dans tout l'empire, que Muley-Abder-Rhiaman ne put hésiter davantage et ordonna de grandes levées de troupes.

Le 30 mai 1844, Sidi-el-Mamoun, parent de l'empereur, à la tête d'un corps de cavaliers berbères, pénétra sur le territoire français et se dirigea sur Lalla Maghrenia, occupé par des troupes que commandait Lamoricière. Il y fut reçu vigoureusement et dut se relirer avec perte de plus de 200 hommes.

Le gouvernement français ne voulut pas voir dans cet acte une déclaration d'hostilités, mais simplement un fait d'insubordination suffisamment châtié.

L'Angleterre était déjà émue de voir les Français si près du Maroc et s'inquiétait des suites qui en pourraient résulter. Une guerre entre la France et le Maroc eût été très-préjudiciable au commerce anglais qui, par le Maroc, approvisionnait Abd-el-Kader d'armes et de munitions. C'est de Tanger que Gibraltar tirait la plus grande partie de ses subsistances et avec Mogador qu'il faisait son principal commerce. Il n'était donc pas étonnant que l'Angleterre suivit avec une certaine anxiété les rapports amicaux ou hostiles qui pouvaient s'établir entre l'Algérie française et le Maroc. Le 15 juin, le général Bedeau eut une entrevue avec le caïd

d'Ouchda, la ville la plus voisine de Lalla Maghrenia, entrevue qui fut sans résultat, le caïd refusant toute concession. Le général fut même l'objet de manifestations hostiles que le maréchal Bugeaud châtia, le jour même, en attaquant et mettant en déroute les troupes qui avaient suivi le caïd.

Le gouvernement, en apprenant l'attaque du 30 mai, décida qu V'empereur du Maroc serait mis en demeure de donner réparation de ce fait et de prendre des mesures pour éloigner Abd-el-Kader de Algérie; on résolut, en même temps, d'envoyer des renforts at maréchal Bugeaud et qu'une escadre, commandée par le prince de Joinville, irait croiser sur les côtes du Maroc pour appuyer les négociations par sa présence et, au besoin, par la force. Une dépêche adressée le 12 juin, au consul général de France à Tanger, lui prescrivit de présenter à l'empereur les réclamations de la France. Ces nouvelles causèrent un grand émoi en Angleterre. L'opinion publique y vit tout de suite en perspective l'extension de notre conquête sur le littoral africain.

Le gouvernement français s'empressa de faire déclarer par son ambassadeur à Londres qu'il n'avait aucun projet d'agrandissement territorial et voulait seulement obtenir réparation des attaques commises et garantie pour l'avenir. Le cabinet anglais reconnut fondées les exigences de la France et chargea son consul à Tanger de les appuyer auprès de l'empereur et de le détourner de la guerre.

L'escadre avait été réunie à Oran; le prince de Joinville partit de ce port, le 7 juillet, ayant mis son pavillon sur le Pluton, arriva le 8 devant Gibraltar, le 9 devant Tanger.

Les négociations ne produisirent aucun résultat, il fallut en venir aux moyens militaires.

Le 6 août, le prince de Joinville attaqua Tanger et en détruisit les fortifications; le 14, le maréchal Bugeaud livrait et gagnait, sur les bords de l'Isly, une bataille qui dispersa l'armée marocaine, dont le camp tout entier, y compris la tente du fils de l'empereur, tomba entre les mains des Français. Le 15, l'escadre bombarda Mogador, s'empara de l'île qui commande l'entrée du port et y mit une garnison.

L'empereur du Maroc n'avait plus qu'à se soumettre. La France n'exigeait pas plus après la victoire qu'avant la guerre; elle ne demandait pas même une contribution de guerre. Un journal dit en France que notre patrie était assez riche pour payer sa gloire. Le

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