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forme à l'Assemblée devant laquelle il avait eu à parler. Du moins, il revendiquait hautement les libertés nécessaires.

Napoléon écouta patiemment la lecture de cette délibération, mais il répondit seulement à la première pensée, disant qu'il devait tout au peuple et devait tout faire pour lui. Il s'abstint de toute parole relative au programme tracé par le conseil d'État.

La Cour de cassation, la Cour des comptes, la Cour d'appel, l'Institut parlaient dans le même sens. Le Conseil municipal de Paris disait : « Sire, les premières paroles qui vous sont échappées en rentrant sur le sol français contiennent la promesse d'une Constitution digne de vous et de vos peuples; cette promesse ajoute à tous les sentiments que nous vous devons, car les Français, qui vous connaissent, savent bien qu'une Constitution garantie par vous, ne sera pas aussitôt violée que promulguée. »

Il y avait dans ces derniers mots une allusion à la Charte, mais peut-être y avait-il aussi l'intention secrète d'avertir l'empereur de la défiance que rencontraient les dispositions libérales de Napoléon. L'empereur le sentit peut-être il ne répondit pas à cette partie de l'adresse municipale.

Quoi qu'il en soit, un tel accord entre des corps officiels, composés d'anciens fonctionnaires impériaux, ne tenant pas leurs titres de l'élection, était un symptôme grave, un avertissement qu'il ne fallait pas négliger.

Aussi Napoléon en était-il frappé; il disait qu'il ne reconnaissait pas la France, que les Bourbons la lui avaient gâtée. « Il était effrayé, dit M. de Lavalette, de l'énergie de tout ce qui l'entourait. Les onze mois du roi nous avaient rejetés en 1792 et l'empereur s'en aperçut promptement, car il ne retrouva plus ni la soumission, ni le profond respect, ni l'étiquette impériale.

Peut-être cependant, si l'habitude du despotisme, si l'infatuation du pouvoir, n'avaient pas effacé chez Napoléon tous les souvenirs du jeune Bonaparte, eût-il reconnu le grand souffle de la Révolution, abattu mais non pas anéanti au 18 Brumaire et qui avait repris son essor depuis un an. Si quelques voix redemandaient avec Carnot la République, la très-grande majorité de la nation, celle qui, en juin 1814, s'était ralliée à la Charte, même « octroyée », même défectueuse, maintenant que la Charte était emportée avec les Bourbons, exigeait une Constitution plus complétement libérale et surtout n'émanant pas du bon vouloir gracieux d'un souverain, mais discutée publiquement et adoptée par une Assemblée de re

présentants, élue pour ce grand travail. A cette condition, Napoléon était accepté comme empereur constitutionnel, mais en répudiant toutes les traditions despotiques et arbitraires de l'Empire tombé sans retour en 1814.

Il n'y avait pas moyen de se faire illusion sur le mouvement d l'opinion publique. A défaut de la presse quotidienne, que Fouché tenait à un régime de silence à peu près absolu, quantité de brochures, anonymes ou signées de noms encore obscurs mais destinés à la célébrité, disaient nettement, et quelquefois durement, ce que voulait la nation. « Le cri de Constitution, dit M. de Rovigo, était partout. On ne prétendait recevoir l'empereur que comme le levier qui avait déplacé la maison de Bourbon. On voulait bien se servir de lui en cas de guerre, mais on prétendait le brider pour le reste. » § II. L'ACTE ADDITIONNEL. En présence d'une opinion publique aussi unanime, aussi pressante, Napoléon, alors même qu'il n'eût pas été sincère en promettant la liberté dans ses proclamations, dans ses discours officiels, depuis le golfe Juan jusqu'à Paris, Napoléon n'aurait pu ajouter les difficultés d'une lutte contre le sentiment public à l'intérieur, quand il allait avoir à soutenir une lutte inégale et désespérée à l'extérieur. Le plus sage était de chercher à se faire du mouvement libéral même une force et un appui.

Il avait confié le soin de préparer une Constitution à Benjamin Constant, un des publicistes les plus éminents de cette époque, un des hommes qui, alors et depuis, ont le plus habitué la France à la discussion et à la pratique des théories constitutionnelles. Benjamin Constant avait été mal traité, sous le premier Empire, par Napoléon qui, en lui, redoutait l'écrivain et n'aimait pas l'ami de MTM de Staël. Pendant la première restauration, Benjamin Constant avait exprimé, sur Napoléon, des jugements sévères, où il y avait plus de justice. encore que de ressentiment. Il était donc un peu étrange de voir ces deux hommes réunis aujourd'hui dans une œuvre commune. Toutefois, ce n'était pas le polémiste libéral qui faisait des concessions et des sacrifices, et, si un peu d'amour-propre l'entraînait en cette circonstance, il pouvait aussi, de très-bonne foi et non sans raison, croire donner une preuve de patriotisme.

Benjamin Constant s'était mis au travail, aidé de quelques collaborateurs que Napoléon lui avait adjoints. En outre, de tous côtés, des collaborateurs de bonne volonté envoyaient des projets de Constitution qui, presque tous, prouvaient le désir de la liberté plus que que l'intelligence des moyens de l'établir solidement

Après une élaboration préparatoire, une sorte de comité se réunit, sous la présidence de Napoléon, pour examiner un projet de Constitution.

Le projet sénatorial d'avril 1814, que Louis XVIII n'avait pas voulu se laisser imposer, était inspiré par les réminiscences de la Constitution de 1791. Les rédacteurs de la Charte y avaient puisé le meilleur de leur besogne. A son tour, le comité de 1815 allait puiser à ces deux sources antérieures, en tenant compte des reproches faits à la Charte et des réclamations de l'opinion publique.

Napoléon se montra de facile composition sur ce qui constituait l'essence même du gouvernement parlementaire : pouvoir des Assemblées, liberté de discussion, responsabilité des ministres, libertė individuelle, liberté de la presse, jury. Le premier point sur lequel il résista fut l'hérédité de la pairie; il l'attaqua par des raisons qui ne manquent pas de force. « Où voulez-vous, dit-il, que je prenne les éléments d'aristocratie que la pairie exige? Les anciennes fortunes sont renversées; plusieurs des nouvelles sont honteuses; cinq ou six noms historiques ne suffisent pas. Sans souvenirs, sans éclat historique, sans grandes propriétés, sur quoi ma pairie serat-elle fondée? Celle d'Angleterre est tout autre chose; elle est audessus du peuple, mais elle n'a pas été contre le peuple. Ce sont les nobles qui ont donné la liberté à l'Angleterre; la Grande Charte vient d'eux; ils ont grandi avec la Constitution et font un avec elleMais, d'ici à trente ans, mes champignons de pairs ne seront que des soldats ou des chambellans; l'on ne verra en eux qu'un camp ou une antichambre. »

Le même homme qui montrait si vivement l'impuissance prochaine d'une pairie héréditaire avait pourtant, lui aussi, tenté la création d'une aristocratie nouvelle à laquelle ne manquaient ni les souvenirs glorieux, ni l'éclat historique, ni les grandes fortunes, ni même les talents législatifs et oratoires. La vraie raison qui devait faire rejeter l'hérédité de la pairie, Napoléon ne la donnait pas parce qu'elie eût frappé, en même temps, l'hérédité de la dynastie : c'est qu'il n'y avait plus de racines en France pour l'hérédité aristocratique ni souveraine. Le fils de Napoléon n'était pas destiné à régner. L'éclat de la noblesse impériale ne s'est pas même transmis à une seconde génération.

Cependant, cédant aux raisonnements théoriques de Benjamin Constant, et aux instances, peut-être intéressées, de quelques autres, Napoléon se décida à admettre la pairie héréditaire.

La confiscation était un des abus les plus odieux de l'ancien régime. L'Assemblée constituante l'avait abolie; les lois révolutionnaires l'avaient reprise comme expédient de guerre; Napoléon l'avait gardée comme moyen de gouvernement. La Charte en avait, de nouveau, consacré l'abolition que le projet actuel proposait de maintenir. Napoléon s'y opposa avec une extrême énergie. Les membres du comité luttèrent avec fermeté, avec persévérance pour soutenir l'article d'abolition. Napoléon, irrité, s'emporta et s'écria violemment : « On me pousse dans une voie qui n'est pas la mienne; on m'affaiblit, on m'enchaîne. La France me cherche et ne me trouve plus. L'opinion de la France était excellente, elle est exécrable. La France se demande ce qu'est devenu le vieux bras de l'empereur, ce bras dont elle a besoin pour dompter l'Europe. Que me parle-t-on de bonté, de justice abstraite, de lois naturelles? La première loi, c'est la nécessité; la première justice, c'est le salut public. »

Tandis qu'il parlait ainsi, sa voix était altérée, sa main se contractait et s'étendait par des mouvements convulsifs. Les auditeurs demeurèrent silencieux et l'article ne figura pas dans le projet définitif.

Napoléon, a-t-on dit, ne voulait la confiscation que comme une arme de guerre, destinée à servir d'épouvantail plutôt qu'à être réellement employée. Si telle eût été, en effet, son intention, il lui était facile de demander une loi transitoire, au lieu de l'écrire comme un principe permanent dans la Constitution.

Sur deux autres points encore, Napoléon fit une résistance tenace qui montra en lui la même puérilité de prétentions qu'on avait déjà vue en Louis XVIII. Il s'agissait de décider si la Constitution en préparation serait une œuvre entièrement nouvelle, ne se rattachant en rien à l'Empire d'avant 1814, et si elle serait soumise aux délibérations d'une Assemblée ou présentée, sans débat, à l'acceptation du peuple.

Aux premiers mots de Benjamin Constant pour proposer de répudier tout le bagage du premier Empire, Napoléon l'interrompit : « Ce n'est pas là ce que j'entends; vous m'ôtez ainsi mon passé, je veux le conserver; que faites-vous donc de mes onze ans de règne ? J'y ai quelques droits, je pense? L'Europe le sait. Il faut que la nouvelle Constitution se rattache à l'ancienne : elle aura ainsi plusieurs années de gloire et de succès. » Il fit, en outre, valoir l'impossibilité de réformer soudainement les institutions et lois ci

viles, administratives, judiciaires, financières, qui se rattachaient toutes aux constitutions impériales. Benjamin Constant et ses collaborateurs se laissèrent persuader, oubliant que ces mêmes institutions avaient pu, depuis dix mois, vivre côte à côte avec la Charte.

Du moment que la Constitution nouvelle ne devait être qu'une annexe des précédentes, il semblait logique de ne pas la soumettre à un mode différent d'approbation. A cette considération, Napoléon ajouta l'inconvénient de faire des élections, puis de débattre des questions constitutionnelles dans le moment où la guerre imminente allait rendre plus nécessaire que jamais l'union des esprits et l'autorité souveraine de l'empereur.

Entre les considérations de principes et les raisons de fait, Benjamin Constant, l'homme des théories, pencha pour les secondes, tandis que les membres qui, comme Carnot, Decrès, Caulaincourt, avaient pratiqué les affaires, restèrent fidèles au principe et insistèrent pour que la Constitution fût soumise à une Assemblée délibérante. On leur a reproché d'avoir tenu à la forme plus qu'au fond et sacrifié la liberté réelle au dogme abstrait de la souveraineté nationale. Mais, ici la forme emportait le fond et la liberté n'allait pas sans la souveraineté. Que venait-on, il y a quelques mois, de reprocher à Louis XVIII? Non pas certainement d'avoir fait une Constitution peu libérale, mais de ne l'avoir pas fait sanctionner par la Chambre; non pas d'avoir restreint la liberté, mais d'avoir mis de côté la souveraineté nationale pour ne laisser émaner la Charte que du bon plaisir royal, ce qui impliquait que le bon plaisir pourrait retirer ce qu'il avait octroyé. On ne voulait pas qu'il en pût être de même avec Napoléon; voilà pourquoi les hommes de principes insistaient pour que la Constitution fût votée par les représentants de la nation. Napoléon écouta et ne répondit point.

Le 21 avril, une dernière séance fut tenue pour revoir l'ensemble du projet. Les mêmes membres reproduisirent leurs observations avec une insistance plus pressante. Napoléon promit d'y réfléchir. Le résultat de ses réflexions fut que le lendemain, 22, le Moniteur publia le projet, sans modification, c'est-à-dire sans intervention d'une Assemblée délibérante; il était promulgué directement par l'empereur, sous le simple titre d'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire.

D'après le dernier article, le peuple français interdisait aux au

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