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pouvait trouver à Taïti, ni l'étendue superficielle de toutes es îles Marquises et de la Société, ne valaient une effusion quelconque de sang humain. Mais, aux yeux de l'opinion française, il y avait là plus qu'une question d'intérêt, d'amour-propre même, il y avait une question d'honneur national; ceux qui ont vécu à cette époque et dans cette atmosphère, se rappelleront avec quelle passion l'esprit public s'attachait à un incident qui, en soi, ne méritait nulle importance.

C'est ce sentiment général dont M. Thiers se faisait habilement l'organe, avec d'autant plus de force qu'il le partageait lui-même. M. Guizot avait eu le tort de traiter la chose trop philosophiquement, de ne le considérer qu'au point de vue abstrait et dans les étroites limites de son cabinet, sans tenir compte de cet élément humain qu'on ne peut jamais exiler des affaires humaines.

Contre M. Thiers, contre M. Billault, M. Guizot ne se défendit que par des dénégations ou des affirmations, auxquelles il jugea inutile d'ajouter rien de ce qu'il aurait pu trouver de favorable dans sa correspondance diplomatique c'était toujours le même orgueil qui se suffisait à lui-même. Il réussit à faire rejeter les ordres du jour contenant un blâme plus ou moins accentué et à faire passer l'ordre du jour incolore de la commission. Cependant, le scrutin ne donna que 213 voix contre 205 et neuf des ministres avaient voté.

Eût-il fallu risquer la guerre avec l'Angleterre pour éviter de payer quelques millions de francs à Pritchard? Est-il bien sûr que l'Angleterre, après avoir reconnu la justice du traitement infligé à Pritchard, eût fait le guerre pour dédommager Pritchard de ce traitement mérité? Si elle croyait son honneur engagé jusque-là, le gouvernement français avait-il une moins haute idée de l'honneur de la France?

L'indemnité Pritchard devint un des principaux griefs de l'opinion contre le cabinet du 29 octobre, contre le roi lui-même; le souvenir n'eut pas le temps de s'en affaiblir assez pour qu'elle ne pesât pas lourdement dans les causes qui précipitèrent la chute de la monarchie de Juillet.

M. Guizot comprit, du moins, qu'après un vote comme celui qui venait d'avoir lieu, le ministère devait se retirer; il donna sa démission. Mais alors, des conservateurs effrayés vinrent le supplier de rester, le roi refusa d'accepter sa démission et M. Guizot, flatte dans sa vanité, sacrifia sa dignité. Il posa la question de confiance

dans une demande de fonds secrets et obtint vingt-quatre voix de majorité. (22 février.)

Les Chambres votèrent diverses lois, pour l'institution des caisses d'épargnes, pour la construction de chemins de fer, pour la substitution du vote public au vote secret dans la Chambre élective.

§ II. LES JESUITES. Le 2 mai, M. Thiers interpella le gouvernement au sujet de l'existence illégale de maisons dirigées par des jésuites et réclama l'application des lois qui leur interdisent le séjour de la France. Le ministère reconnut que les lois invoquées par M. Thiers étaient toujours en vigueur, mais il revendiqua le soin d'en faire l'application selon les circonstances. La Chambre vota à une grande majorité l'ordre du jour proposé par M. Thiers à l'appui de son interpellation.

Le gouvernement ne pouvait se dispenser d'agir, mais n'osant user de son droit, il imagina d'envoyer M. Rossi auprès du pape pour obtenir de lui que les jésuites reçussent l'ordre de sortir de France. Cet expédient réussit, et ce fut grâce au bon plaisir d'un souverain étranger que la loi française fut obéie.

§ III. GODEFROY CAVAIGNAC. Le 5 mai, un des plus fermes soutiens de la jeune génération républicaine, Godefroy Cavaignac, mourut à Paris, succombant à une affection de poitrine.

Une foule nombreuse l'accompagna jusqu'au cimetière Montmartre, où il fut inhumé provisoirement dans le caveau de la famille Scheffer. Plus tard, il fut transféré dans un autre caveau préparé pour sa famille et aujourd'hui décoré de sa statue en bronze, exécutée par Rude. Godefroy est représenté mort, couché dans un manteau, ayant près de lui une plume et une épée, emblèmes de sa vie doublement militante.

§ IV. DROIT DE VISITE. Le 29 mai, fut signé avec l'Angleterre un traité analogue à celui qu'avaient conclu les États-Unis. Il stipulait des mesures pour arriver à l'abolition de la traite des nègres, mais chacune des deux marines était chargée d'en surveiller l'exécution sur les navires appartenant à sa nationalité.

La session législative fut close le 21 juillet.

§ V. COALITIONS D'OUVRIERS. Les questions de salaires amenaient fréquemment les ouvriers à se coaliser pour défendre leurs intérêts; la coalition finissait généralement par une grève, c'est-àdire une cessation de travail. Une des plus importantes, celle des charpentiers, éclata à Paris, en 1845 et dura près de trois mois. Le 29 août, dix-huit ouvriers, prévenus du seul délit de coalition, com

parurent en police correctionnelle. Un d'entre eux fut condamné à 3 ans de prison, un autre à 2 ans, douze à des peines moins fortes. Ces condamnations n'interrompirent pas la grève, qui ne put finir que quand les patrons eurent fait droit aux réclamations des ouvriers.

§ VI. ALGÉRIE. Les événements du Maroc avaient à peine suspendu les attaques d'Abd-el-Kader. Le maréchal Bugeaud lança contre lui et ses alliés plusieurs colonnes; l'une d'elles, commandée par le colonel Pélissier, opérant contre les Ouled-Rhias ; une partie de cette tribu se réfugia dans de vastes grottes, s'y défendit et refusa d'en sortir, bien que le colonel lui offrit des conditions trèsacceptables. Pour les contraindre à se rendre, le colonel fit entasser devant l'entrée un amas de fascines auxquelles on mit le feu. Le résultat dépassa probablement les prévisions du colonel. Tous les fugitifs périrent, asphyxiés par la fumée ou par l'intensité de la chaleur (13, 19 juin).

Au mois de novembre, le lieutenant-colonel Montagnac, commandant à Djemma-Ghazouât, éprouva un sanglant désastre qu'il paya de sa vie. S'étant imprudemment avancé à la rencontre d'Abd-elKader avec trois compagnies de chasseurs et une soixantaine de hussards, il fut soudainement enveloppé par plusieurs milliers d'Arabes. Il fut tué; sa colonne fut en partie détruite. Quatre-vingts survivants s'enfermèrent dans le marabout de Sidi-Brahim, s'y défendirent deux jours, sans vivres et sans eau, puis tentèrent de se frayer passage à la haïonnette. Une quinzaine seulement parvinrent à regagner Djemma-Ghazouât.

Enhardi par ce succès, Abd-el-Kader passe la Tafna et s'avance jusqu'à douze lieues d'Oran; mais menacé par les mouvements combinés de Cavaignac et de Lamoricière, il se retire vers le désert.

§ VII. LETTRES.

M. Thiers commence la publication de l'Histoire du Consulat et de l'Empire, qui dut d'abord avoir dix volumes et qui en a eu vingt.

Dans le roman, Alexandre Dumas et Eugène Sue continuent de tenir le public en haleine, l'un avec Monte-Cristo, l'autre avec le Juif errant. Ce dernier ouvrage puise des éléments d'intérêt dans des circonstances d'actualité : la lutte contre le cléricalisme, d'une part, et, de l'autre, les doctrines que l'on appelle déjà socialistes. § VIII. SCIENCES. Le 2 avril 1845, fut inauguré le service du télégraphe électrique sur la ligne de Paris à Rouen

§ IX. EXTÉRIEUr.

Le général espagnol Zurbano, chef d'une révolte contre Marie-Christine, est pris et fusillé. Réconciliation

ec le saint-siége.

La France rompt ses relations avec le Mexique, à la suite d'une nsulte faite au consul français et pour laquelle le gouvernement mexicain refuse réparation.

A Madagascar, les Hovas prétendent expulser tous les blancs. Des navires anglais et français arrivent devant Tamatave et bombardent cette ville (15 juin).

Les escadres française et anglaise, réunies pour protéger les résidents et les commerçants de leur pays dans l'Uruguay, livrent, les 20 et 21 novembre, un brillant combat aux troupes de Rosas, à la pointe d'Obligado.

L'iman de Mascate, à Zanzibar, fait un traité de commerce avec la France.

L'empereur de la Chine concède aux Français et aux autres Européens le droit d'élever des églises dans les cinq villes maritimes ouvertes au commerce étranger.

CHAPITRE XXIII

Session de 1846. Attentats. Évasion de Louis Bonaparte. Élections.Crise alimentaire. Mariages espagnols. Algérie. Extérieur.

Session transitoire.

Lettres. Sciences.

§ I. SESSION DE 1816. Contrairement aux habitudes parlementaires, la discussion de l'adresse en 1846 ne donna pas lieu à ces longs débats où toute la politique officielle était passée en revue. Une seule séance y suffit, et à peine M. Lherbette put-il y signaler les abus de l'agiotage effréné qui se pratiquait, au su et avec la tolérance du gouvernement, sur les entreprises de chemins de fer. Vainement M. Grandin essaya d'introduire dans l'adresse un amendement pour appeler sur ces abus l'attention et laR répression de l'autorité, la Chambre n'écouta ni l'un ni l'autre.

Au mois de mars, M. de Rémusat reproduisit sa proposition sur les incompatibilités, que M. Thiers appuya d'un éloquent discours dont voici les derniers mots : « Je me rappelle ici le noble langage d'un écrivain allemand qui, faisant allusion aux opinions qui triomphent tard, dit ces belles paroles que je vous demande la permission de citer : « Je placerai mon vaisseau sur le promontoire

« le plus élevé du rivage et j'attendrai que la mer soit assez haute « pour le faire flotter. »

<< Il est vrai qu'en soutenant cette opinion, je place mon vaisseau bien haut; mais je ne crois pas l'avoir placé dans une position inaccessible. »

En ce même moment, parvenaient à Paris les nouvelles d'un soulèvement en Galicie, que l'Autriche avait comprimé en lançant les paysans contre la noblesse et en provoquant des égorgements, des scènes de dévastation et de carnage qui rappelaient les scènes les plus sauvages de la Jacquerie et de la Saint-Barthélemi. L'empereur d'Autriche avait, par un acte officiel, conféré la médaille du Mérite au plus sanguinaire des Trestaillons polonais. Le 13 mars, M. de la Rochejaquelein interpella le gouvernement sur ces faits. M. Guizot répondit d'une façon assez dégagée que c'étaient là les affaires d'un gouvernement étranger, que si les faits signalés étaient exacts, il fallait les déplorer, les réprouver, mais que les révolutionnaires font de telles choses et que les gouvernements réguliers ne se les permettent jamais. Sur quoi la Chambre trouva que le ministre avait bien raison.

Plus tard, le 2 juillet, interpellé de nouveau par M. de Montalembert, à la Chambre des pairs, sur ces mêmes atrocités et sur la destruction de la république de Cracovie, M. Guizot répondit qu'il n'avait pas à défendre les actes d'un gouvernement étranger, que le procès s'instruisait en Europe, non pas en France et qu'il n'avait pas à s'en occuper. M. Guizot n'osait même pas avoir une opinion dans une question de simple humanité.

Dans cette peu féconde session, les Chambres votèrent un crédit extraordinaire de 94 millions applicables au développement de la marine militaire, et 63 millions pour le canal de la Marne au Rhin, le canal latéral à la Garonne et quelques autres; elles adoptèrent une loi égalisant et abaissant les droits de navigation sur les canaux; enfin, elles votèrent plusieurs nouvelles lignes de che.. mins de fer.

La clôture de la session fut déclarée par une ordonnance royale du 3 juillet, que suivit une autre ordonnance dissolvant la Chambre des députés, fixant les élections au 1er août et convoquant les Chambres pour le 19 du même mois.

§ II. ATTENTATS. ÉVASION. Pendant le cours de la session, le 16 avril, le roi et sa famille, alors en résidence au palais de Fonlainebleau, revenaient, vers cinq heures du soir, d'une promenade

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