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torités constituées et se refusait à lui-même le droit de proposer le rétablissement soit de la famille des Bourbons, soit d'aucun membre de cette famille, même au cas d'extinction de la dynastie impériale. Cet article avait été présenté inopinément dans la séance du 21 avril et avait causé un tel étonnement qu'on ne l'avait pas même discuté. On pensait que l'impression si visiblement désapprobative du comité aurait décidé Napoléon à y renoncer. Il n'en sut rien et le Moniteur contenait cette étrange disposition, dont on ne devinait pas clairement les motifs, mais qui attentait si ouvertement à la souveraineté de la nation. Le moindre inconvénient de pareilles prescriptions, c'est d'être toujours inapplicables.

L'Acte additionnel avait sur la Charte plusieurs avantages évidents. L'hérédité de la Chambre des pairs était assurée à tous les membres et ne dépendait plus de l'arbitraire du souverain. L'âge d'éligibilité à la Chambre des députés était abaissé de 40 à 25 ans; la Chambre était plus nombreuse et nommait elle-même son président, sauf ratification de l'empereur. Dans les deux Assemblées, les séances étaient publiques et, en cas de comité de secret, elles délibéraient eť votaient publiquement; la liberté de la presse était garantie et les poursuites ne pouvaient avoir lieu, même en matière correctionnelle, que devant le jury; la responsabilité ministérielle était organisée; la religion d'État disparaissait; enfin, si le célèbre article 75 de la Constitution de l'an VIII, exigeant l'autorisation du conseil d'État pour poursuivre les fonctionnaires, n'était pas aboli, il devait être modifié par une loi. L'interprétation des lois appartenait aux Chambres.

L'acte impérial était inférieur à la Charte royale, d'abord par l'injustifiable rétablissement de la confiscation; puis par le maintien des colléges électoraux organisés selon le mode de l'an X, c'est-à-dire, en réalité, par les préfets. En cas de dissolution, la nouvelle Chambré devait être convoquée dans un délai de six mois au lieu de trois, et, durant ce temps, les impositions volées par la Chambre précédente devaient continuer à être perçues.

C'étaient là des imperfections notables qui, cependant, n'eussen!' pas été de nature à contre-balancer les améliorations, si l'acte additionnel n'eût été radicalement vicié par la manière dont il était donné, venant de l'empereur seul. Jamais acte de l'autorité souveraine ne fut l'objet d'une aussi universelle, aussi absolue réprobation.

A Grenoble, le mois précédent, Napoléon avait dit : « J'arrive

pour rendre notre belle France libre, pour me proclamer son premier citoyen. » A Lyon, il disait : « Je reviens pour concourir, avec les représentants de la nation, à la formation d'un pacte de famille qui conserve les droits et les libertés des Français. Je ne viens point, comme Louis XVIII, vous octroyer une Charte révocable, je veux vous donner une Constitution qui vienne du peuple et de moi. » De si solennelles promesses aboutissaient à quoi? A un supplément aux Constitutions de l'Empire, signé uniquement de l'empereur et concédé par lui, ce qui ne différait pas beaucoup de l'octroi fait par Louis XVIII.

Il est vrai qu'un décret portait que l'Acte additionnel serait soumis à l'acceptation du peuple français, au moyen de registres déposés dans les mairies, aux secrétariats des administrations publiques, aux greffes des tribunaux, chez les juges de paix, chez les notaires, et sur lesquels chaque citoyen, en regard de son nom, formulerait son vote par oui ou par non. C'était le procédé des votes pour le Consulat à vie et pour l'Empire; on savait à quelle pression obéissaient ceux qui votaient oui, à quelles rancunes s'exposaient ceux qui voteraient non; aussi ne considérait-on ce vote que comme un piége, une véritable jonglerie.

Le résultat de cette votation devait être proclamé, avec grand appareil, dans une solennité publique, convoquée d'abord pour le 26 mai, puis remise au 1° juin, dans le Champ de Mars, à Paris, et à laquelle Napoléon avait donné le nom de Champ de mai. Louis XVIII avait cherché le nom de sa Constitution dans le moyen âge; Napoléon remontait jusqu'à Charlemagne et au delà.

§ III. LE CHAMP DE MAI. Cinq millions de Français environ étaient, d'après la législation d'alors, appelés à donner leur suffrage sur l'acceptation de l'Acte additionnel. Treize cent mille votèrent Oui, quatre mille deux cents votèrent Non. L'empereur ne voulut voir que la différence entre ces deux chiffres, sans prendre en considération l'énorme proportion de ceux qui avaient refusé de voter. Le dépouillement des votes avait été opéré par les colléges électoraux qui étaient convoqués au Champ de mai, avec les députations des gardes nationales, celles de l'armée et les grands corps de l'État.

Le Champ de Mars avait été disposé d'une façon un peu théâtrale pour cette cérémonie, qui attira la foule, toujours avide de spectacles et d'apparat.

Là aussi, du moins au début, se manifesta la disposition défavorable du public. On fut choqué de voir, en de telles circonstances, Napoléon arriver avec la pompe luxueuse d'autrefois : voiture toute dorée, attelée de huit chevaux, suivie d'une foule d'autres voitures, non moins somptueuses, contenant les gens de cour. L'empereur Dortait une tunique en taffetas cramoisi, chamarrée d'or, et, pardessus, un manteau en velours violet; ses frères étaient entièrement vêtus de taffetas blanc. Cet accoutrement d'opéra-comique prêta aux railleries et au rire, dans un moment où tout aurait dû être grave et sévère. Pages, écuyers, hérauts d'armes, chambellans, caracolaient autour des voitures. C'était tout l'appareil du couronnement; mais il y avait un siècle entre 1804 et 1815, et ce qui avait semblé imposant sous les voûtes assombries de NotreDame paraissait bizarre et était, pour le moins, déplacé au Champ de Mars.

La cérémonie officielle commença par une messe, après laquelle un des membres des colléges électoraux lut une adresse à l'empereur, puis le résultat des votes fut proclamé, et l'acceptation de l'Acte additionnel promulguée par un héraut d'armes.

Napoléon prit alors la parole. Il protesta que la France avait toujours été l'objet unique et constant de ses pensées et de ses actions, qu'à son retour de l'île d'Elbe, il avait compté sur une longue paix, mais que les souverains étrangers voulaient faire la guerre pour enlever à la France ses frontières du Nord ainsi que l'Alsace et la Lorraine. Il fallait donc se préparer à combattre, mais auparavant il avait voulu constituer la nation.

Puis, Napoléon faisait appel au patriotisme, à l'union, à l'énergie de tous les citoyens, et signalait à l'indignation publique les rois qu'il avait faits, qui l'adulaient dans sa prospérité et voulaient maintenant le frapper.

«

Français, dit-il en terminant, ma volonté est celle du peuple; mes droits sont les siens; mon honneur, ma gloire, mon bonheur, ne peuvent être que l'honneur, la gloire, le bonheur de la France! >>

Cet appel à des sentiments toujours vivants dans l'âme des foules fut longuement applaudi.

L'impression fut autre quand on vit l'archevêque de Bourges s'agenouiller devant l'empereur et lui présenter l'Évangile. Napoléon, étendant la main sur le livre ouvert, dit : « Je jure d'observer et de faire observer les Constitutions de l'Empire. »

Cela fait, commença la distribution des aigles. Napoléon prononça cette brève allocution: « Soldats de la garde nationale de l'Empire, soldats des troupes de terre et de mer, je vous confie l'aigle impériale aux couleurs nationales ! Vous jurez de la défendre, au prix de votre sang, contre les ennemis de la patrie! Vous jurez qu'elle sera toujours votre signe de ralliement! Vous le jurez!... »

Une immense acclamation: Nous le jurons! répondit à cette harangue.

Chacune des députations vint recevoir son aigle des mains de Napoléon, qui leur adressait quelques paroles d'encouragement ou de souvenir. Il dit à celle de la garde nationale de Paris : « Vous jurez de ne jamais souffrir que l'étranger souille de nouveau la capitale de la grande nation! C'est à votre bravoure que je la confierai!» Hélas! l'Empire allait, dans un avenir bien prochain, ramener l'étranger à Paris pour la seconde fois, et ce ne devait pas être la dernière.

La distribution achevée, les troupes défilèrent devant Napoléon, le saluant d'énergiques acclamations et de serments réitérés. Ave, Cæsar, morituri te salutant. Ceux-là, du moins, tiendront leur serment.

§ IV. PRÉPARATIFS MILITAIRES. Si, au retour de l'île d'Elbe, Napoléon avait essayé de faire illusion à l'opinion publique, lui-même n'y croyait pas, ou, tout au moins, en doutait. Aussi, s'occupa-t-il tout aussitôt de se préparer à la guerre.

Le gouvernement royal lui laissait un effectif nominal de 200,000 soldats, réduit par les non-valeurs à 175,000. Quelques généraux ardents lui conseillaient de se jeter immédiatement avec cette armée sur la Belgique et les Provinces rhénanes, afin de mettre la barrière du Rhin entre lui et les coalisés. Mais, outre que ceux-ci restaient maîtres des principaux passages du fleuve, les nécessités de l'intérieur l'obligeaient à laisser en France des forces qui ne lui auraient pas permis d'entrer en ligne avec des ressources suffisantes. Il ne voulut donc pas risquer une aventure dangereuse et se borna à faire des préparatifs avec autant d'activité que de secret, afin de ne pas alarmer l'opinion publique et d'inspirer aux souverains étrangers toute confiance dans les assurances de paix qu'il tentait de leur faire parvenir.

Lorsque la convention militaire du 31 mars étant connue en France, il n'y eut plus ni chance de paix ni nécessité de mystère,

Napoléon poussa ses préparatifs avec toute l'activité et toute l'habileté qui lui étaient ordinaires.

Au moyen d'enrôlés volontaires, d'anciens soldats rappelés ou volontairement rentrés sous le drapeau, l'effectif de 175,000 hommes fut bientôt accru de 200,000. Toute la population masculine de France fut divisée en deux catégories; l'une, de vingt ans à quarante, dut fournir 417 bataillons de garde nationale mobile, destinés à garder les grandes places fortes et à servir de réserve pour la défense des frontières; l'autre, de quarante à soixante ans, forma 3,000 bataillons de garde sédentaire pour la protection des villes et des communes. C'était, en tout, plus de 2,300,000 hommes, dont plus de 300,000 mobilisables. A cette époque, un grand nombre des hommes de quarante ans avaient passé par le service militaire.

Une puissante impulsion fut donnée aux arsenaux, qui étaient vides et démunis, aux manufactures d'armes, à la construction du matériel, à la confection des vêtements et du harnachement; les fortifications furent relevées partout où elles avaient souffert, on en construisit là où elles manquaient, notamment pour couvrir Paris et Lyon.

A la fin de mai, 100 batteries d'artillerie étaient attelées, 250,000 fusils fabriqués ou réparés, 150,000 gardes nationaux mobiles étaient organisés, armés, rendus à destination, les places fortes, les côtes de la France étaient en état de défense; les munitions, les approvisionnements garnissaient les magasins; vers le milieu de juillet, et Napoléon calculait que l'ennemi ne serait pas en mesure de l'attaquer avant cette époque, 300,000 Français seraient en état de tenir la campagne.

Si les opérations militaires devaient tarder jusqu'au mois de septembre, ce n'est plus de 300,000 hommes, mais de 900,000 que l'empereur pourrait disposer.

La guerre, puisqu'il fallait s'y résoudre, devait avoir pour objet la défense du territoire et aussi la défense du droit qu'a tout peuplede se donner le gouvernement qui lui convient. Tout en paraissant n'en vouloir qu'à la personne de Napoléon, les souverains alliés attaquaient ce droit national, car, si ce n'était pas la France qui avait rappelé Napoléon de l'île d'Elbe, elle n'avait mis aucun obstacle à son retour et l'avait accepté, au moins par consentement tacite, à la place des Bourbons.

L'empereur annonçait que l'intégrité du territoire était mc

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