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para, pour le Moniteur du lendemain, le récit de l'événement du 12 avril, MM. de Talleyrand et Beugnot, ministre de l'intérieur, se concertèrent afin de rédiger la réponse du prince. M. Beugnot en fit une qui se terminait par cette phrase: « Plus de divisions; la paix et la France. Je la revois, et rien n'y est changé, si ce n'est qu'il y a un Français de plus. » Ces dernières paroles, rendues plus concises encore par la voix publique, qui s'en empara, devinrent le mot légendaire : « Il n'y a rien de changé en France, il n'y a qu'un Français de plus », qui fit à la Restauration une courte popularité.

Il se trouvait en présence l'un de l'autre deux pouvoirs : le pouvoir de fait du comte d'Artois, représentant du frère de Louis XVI, rappelé par le Sénat, sous la condition d'accepter la Constitution votée par ce même Sénat, et le pouvoir, quasi-légal, du gouvernement provisoire institué par ce même Sénat. Lequel disposait de la plus grande autorité? La question eût été difficile à décider.

Ni le gouvernement provisoire ni le Sénat n'avaient pris aucune part à la journée du 12; il fallait pourtant que la situation eût un dénouement. Ce fut l'intervention d'Alexandre qui l'amena. Dans la soirée du 13, le czar se rendit auprès du comte d'Artois. Avec une fermeté courtoise, il lui rappela les services que le Sénat venait de rendre aux Bourbons et ajouta que si les princes exilés étaient disposés à oublier ces services, les souverains alliés n'entendaient pas oublier leur promesse solennelle de faire respecter la Constitution votée par le Sénat.

Il fallait se résigner. Le comte d'Artois reçut, le soir même, le Sénat, qui lui conféra le titre de Lieutenant général du royaume, et auquel il répondit par une déclaration qu'avait préparée Fouché, duc d'Otrante, et dans laquelle le prince disait : « Je n'ai pas reçu de mon frère pouvoir d'accepter la Constitution; mais je connais ses sentiments et ses principes, et je ne crains pas d'être désavoué en affirmant, en son nom, qu'il en admettra les bases. » Au lieu de ces derniers mots, Fouché avait écrit «En jurant d'en observer et d'en faire observer les bases. » Le Sénat ne réclama point contre le changement introduit par le comte d'Artois.

Aussitôt après le Sénat, fut reçu le Corps législatif, dont le président ne parla, dans son compliment, ni de Constitution, ni de garanties quelconques. Aussi, le nouveau Lieutenant général du royaume dit-il avec effusion qu'il éprouvait « un bonheur difficile

à exprimer en se trouvant enfin au milieu des véritables représentants du peuple français. »

Cette cérémonie mettait fin à l'existence du gouvernement provisoire et donnait au frère de Louis XVIII la pleine possession de l'autorité.

Toutefois, avant de disparaître, ce triste gouvernement provisoire substitua, au moyen d'une honteuse supercherie, le drapeau blanc et la cocarde blanche au drapeau et à la cocarde tricolore. Il fit écrire au maréchal Jourdan, commandant la division de Rouen, que le maréchal Marmont avait fait prendre à son corps d'armée les nouvelles couleurs. Puis, lorsque Jourdan eut prescrit à ses troupes d'opérer ce changement, le gouvernement transmit l'ordre de Jourdan à Marmont, qui crut devoir imiter son collègue.

C'était une violence faite aux sentiments de toute l'armée et à ceux de la grande majorité de la nation. Le comte d'Artois en fut satisfait. La Restauration a payé deux fois cette indigne manœuvre : la première fois, en 1815, par un exil temporaire; la seconde, en 1830, par un exil définitif.

En vue d'assurer partout la nouvelle autorité royale, le comte d'Artois envoya dans tous les départements des commissaires extraordinaires, investis de pouvoirs absolus, qui devaient commander à toutes les autorités civiles et militaires, les maintenir, les révoquer, les remplacer. Ces commissaires étaient presque tous des émigrés revenus de la veille, étrangers à la France nouvelle : aussi ne réussirent-ils qu'à provoquer des mécontentements et des haines, dont l'effet devait se produire un peu plus tard.

L'argent était un autre besoin pressant. Le gouvernement provisoire n'avait vécu que sur une partie d'une quinzaine de millions que Marie-Louise avait emportés de Paris, et qu'un ordre du gou. vernement lui avait fait reprendre à Orléans. Ces fonds avaient été ramenés à Paris dans des fourgons qui se trouvaient encore aux Tuileries quand le comte d'Artois s'y installa. Les affidés du prince y puisèrent sans scrupule et n'en auraient rien laissé si le baron Louis, ministre des finances, n'eût obtenu du comte l'ordre de les faire conduire au Trésor public.

Il fallait d'autres ressources. On y pourvut en ordonnant aux contribuables de verser immédiatement le montant échu des impôts, parmi lesquels il s'en trouvait d'extraordinaires, que Napoléon avait décrétés de sa propre autorité, et qu'on négligea de faire valider par le Sénat et le Corps législatif qui, d'ailleurs, ne récla¬

mèrent point. Cette ordre violait la promesse, faite par le prince sur tout son parcours, d'abolir les droits réunis : on n'y songeait plus.

§ III. CONVENTION DU 23 AVRIL 1814. C'étaient là de véritables contradictions. Le 23 avril, le comte d'Artois commit un acte bien autrement grave: il signa avec les souverains étrangers, pour remplacer l'armistice conclu après la bataille de Paris, des conven ́ions qui, sans préjuger les dispositions de la paix, ramenaient la France aux limites du 1er janvier 1792, et ordonnaient l'évacuation des places situées en dehors de ces limites, abandonnant la dotation entière desdites places, c'est-à-dire non-seulement les dépôts d'artillerie et de munitions, mais toutes autres provisions de tout genre, les archives, plans, cartes, modèles, etc. Ces stipulations étaient applicables aux places maritimes.

Par cet acte, la France perdait non-seulement les territoires conquis sous l'Empire, mais ceux qui s'étaient volontairement donnés à la République, cinquante-trois places fortes, toutes occupées encore par des garnisons françaises dont quelques-unes s'élevaient à 20,000 ou 25,000 hommes, 12,000 pièces de canon, 31 vaisseaux, 12 frégates et quantité d'autres bâtiments de guerre, un immense matériel d'armes, d'équipements et d'approvisionnements, le tout livré sans condition, sans compensation d'aucune sorte, sans rien préjuger des dispositions de la paix. Ces pertes ont été évaluées à plus d'un milliard.

Si l'étranger entendait reprendre les territoires qu'on lui avait pris, les places qu'on lui avait enlevées, au moins faliait-il ne lui rendre celles-ci que dans l'état où elles avaient été trouvées; la chose était facile, car on possédait les inventaires de la remise desdites places. Mais le chef du gouvernement provisoire se refusa à cette combinaison.

Le même acte du 23 avril restituait au roi de Prusse des propriétés publiques mobilieres enlevées à Hambourg et des engagements souscrits par lui au profit de Napoléon, s'élevant à 140 millions.

Absent de France depuis plus de vingt ans, peu au courant des événements accomplis dans cet intervalle, tout heureux de se trouver aux Tuileries, le comte d'Artois ignorait évidemment la portée de l'acte auquel il mettait son nom. Toutefois, son titre de Lieutenant général du royaume l'autorisait-il à signer une telle convention, si peu de jours avant l'arrivée du roi?

Le négociateur de ces conventions fut M. de Talleyrand. Lui, savait très-certainement ce qu'il faisait. En livrant aux souverains alliés des richesses qu'aucun d'eux n'eût pu créer en plusieurs années, voulut-il, comme on l'a dit alors, acheter leur protection contre la disgrâce dont le menaçaient déjà les plus fougueux royalistes? De pareils faits ne sont jamais absolument certains; ici, du moins, l'imputation est vraisemblable.

Toujours est-il que le traité du 23 avril enleva à la France de grands avantages, dont elle eût pu tirer parti pour la conclusion du traité définitif.

§ IV. ARRIVÉE DE LOUIS XVIII. Pendant que le comte d'Artois agissait ainsi à Paris, l'autre frère de Louis XVI, à qui tout le monde commençait à donner le nom de Louis XVII, qu'il avait pris dès 1795, et que des flatteurs à outrance appelaient déjà Louis le Désiré, quittait sa résidence d'Hartwell pour rentrer en France. Reçu et complimenté à Londres, le 20 avril, par le prince régent d'Angleterre, il répondit par un discours où l'on remarqua aussitôt la phrase suivante: « C'est aux conseils du prince, à ce glorieux pays, et à la confiance de ses habitants que j'attribuerai toujours, après la divine Providence, le rétablissement de ma maison sur le trône de mes ancêtres. >>

Cette phrase visait évidemment la prétention qu'avait eue le Sénat de disposer du trône en faveur du frère de Louis XVI, et celle qu'il avait encore de lui imposer une Constitution. Mais, pour la masse du public, étrangère aux intrigues sénatoriales, la phrase présentait un sens désobligeant et même méprisant pour la France entière. Aussi, l'effet en fut-il des plus déplorables, et ce mot a pesé non-seulement sur tout le règne de Louis XVIII, mais sur toute la durée de la Restauration.

A Londres, Louis XVIII trouva aussi M. Pozzo di Borgo, qu'Alexandre y avait envoyé pour conseiller au nouveau roi des mesures de conciliation et des promesses libérales, et d'autres émissaires venus, les uns de la part de Talleyrand et du gouvernement provisoire, pour plaider la cause de la Constitution sénatoriale, les autres expé liés par le comte d'Artois ou les ultra-royalistes, pour engager le roi à ne faire aucune concession. Louis XVIII évita de s'engager ni avec ceux-ci ni avec ceux-là, et arriva, le 29 avril, à Compiègne, sans que la question eût été résolue.

Dans cette résidence, hier encore impériale, Louis XVIII reçut une foule de députations civiles et militaires. On y vit les grands

dignitaires de l'armée, qui, gorgés d'honneurs et de richesses par Napoléon, s'étaient détachés de lui avec une facilité où il n'y avait rien de chevaleresque, et les plus hauts chefs de la magistrature venant humilier la justice aux pieds de la puissance politique.

Là, pour gagner de vitesse le Sénat et reprendre une sorte d'importance, accourut une députation du Corps législatif qui, dans un discours où il y avait plus d'habileté que de franchise, tout en paraissant réclamer certaines concessions aux faits accomplis depuis 1789, passait sous silence toute Constitution que le roi eût dû accepter et lui abandonnait le soin de prendre l'initiative des libertés à accorder.

Lorsque, le lendemain, Alexandre se présenta à Compiègne pour insister sur une transaction nécessaire, il apprit la démarche faite par le Corps législatif, et le discours adressé au roi au nom de cette Assemblée. Que pouvait un prince étranger quand la représentation nationale s'en remettait purement et simplement au bon plaisir du roi?

Vingt années de despotisme avaient si bien amorti les ardeurs généreuses de la Révolution, que le culte des intérêts personnels prédominait partout sur l'intérêt de la patrie, et que les ambitions ne rivalisaient plus que de servilité.

Le Sénat avait essayé vainement de jouer le rôle constituant. Il ne voulut pas rester en arrière du Corps légistif et se résigna au rôle de conservateur (c'était son titre), conservateur de ses intérêts personnels des assurances en ce sens avaient été officieusement et individuellement données. Le Sénat se rendit donc, le 2 mai, à Compiègne, et fut présenté au roi par M. de Talleyrand qui, faisant allusion à l'Angleterre, dont les institutions « donnent des appuis et non des embarras aux monarques amis des lois et pères du peuple », il ajouta : « Sire, la nation et le Sénat, pleins de con fiance dans les hautes lumières et dans les sentiments magnanimes de Votre Majesté, désirent avec elle que la France soit libre, pour que le roi soit puissant. »

Dans la situation embarrassée du Sénat, c'était reconnaître, aussi explicitement que possible, que des institutions libérales devaient émaner de la volonté spontanée, c'est-à-dire du bon plaisir du roi.

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§ V. DÉCLARATION DE SAINT-OUEN. C'est à quoi tenait essentiellement Louis XVIII, qui ne voulait avoir d'autre titre au trône que son droit héréditaire de successeur légitime du fils de

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