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Lorsque la guerre étrangère devint certaine, les royalistes songèrent à y concourir par une diversion en Vendée. Un soulèvement fut préparé et s'exécuta du 15 au 22 mai. On parvint à entraîner un assez grand nombre de paysans. Mais les révoltés étaient mal armės, mal pourvus de munitions, les chefs se disputaient le commandement général et ne voulaient pas se subordonner le uns aux autres.

A la nouvelle des premiers mouvements, Napoléon prit des mesures énergiques pour en finir au plus vite. Un corps d'armée de trente mille hommes, sous les ordres des généraux Lamarque et Travot, fut dirigé sur les départements menacés. En moins d'un mois, l'insurrection fut comprimée, dispersée, vaincue. Un des chefs vendéens, Louis de la Rochejacquelein, périt dans un engagement. L'affaire de Vendée n'eut d'importance ni au point de vue militaire ni au point de vue politique; elle ne servit qu'indirectement, non pas la France, mais la cause royale, en retenant à l'intérieur trente mille soldats qui n'eussent pas été inutiles sur le champ de bataille de Waterloo.

§ VI. SESSION DES CHAMBRES. Conformément à l'Acte additionnel, les élections pour la Chambre des représentants avaient eu lieu d'après le système de l'an VIII, légèrement modifié. Elles ne répondirent pas à l'attente des uns, à la crainte des autres. L'élément purement bonapartiste y était peu nombreux, sans que la majorité fût, de parti pris, hostile à Napoléon. La plupart des députés l'acceptaient comme chef du gouvernement, à la condition qu'il entrat franchement dans la voie constitutionnelle, mais ils étaient résolus à ne pas plus revenir à l'ancien empire qu'à l'ancien régime.

Cette disposition se manifesta dès la première séance tenue, le 3 juin, à propos de la nomination du président, qui devait être approuvée par l'empereur. On savait que Napoléon désirait la nomination de son frère Lucien. Une répugnance générale repoussait l'homme qui, président du conseil des Cinq-Cents, s'était fait, contre cette asssemblée le complice du 18 brumaire. Informé de ce fait, Napoléon renonça à Lucien et porta sa préférence sur Merlin (de Douai). Mais la Chambre entendait ne consulter qu'elle-même; elle composa son bureau de Lanjuinais, président, MM. Flaugergues, Dupont (de l'Eure), Lafayette et le général Grenier, vice-présidents,. Bédoch, Dumolard, le général Carnot et Clément (du Doubs), secrétaires.

Lanjuinais, intraitable ennemi du despotisme impérial, était un

choix désagréable à Napoléon et l'on n'était pas sans inquiétude sur la façon dont l'empereur l'accueillerait. Napoléon voulut avoir préalablement une entrevue avec l'élu de la Chambre, puis il approuva la nomination. En prenant possession du fauteuil, le nouveau président prononça les paroles suivantes : « Je n'ai à changer ni de principes ni de conduite. Vous me verrez uni à l'empereur et tout dévoué à la patrie, à la justice, à la liberté, à la prospéritė de la France, à son indépendance, à la paix du monde et au bonheur de l'humanité. »

Dans la séance du 5 juin, la Chambre reçut communication de la liste des pairs, qui étaient tous à la nomination de l'empereur. Cette liste excita un mécontentement causé non par les noms des pairs, mais par cette circonstance que la moitié d'entre eux appartenait à l'armée, ce qui semblait indiquer la pensée de faire prédominer dans cette Chambre l'influence militaire.

La séance solennelle d'ouverture, fixée d'abord au 4 juin, avait été reculée au 7. L'empereur y parut dans le costume théâtral du Champ de mai et reçut d'abord le serment des députés et des pairs, puis il dit :

«

Depuis trois mois, les circonstances et la confiance du peuple m'ont revêtu d'un pouvoir illimité. Aujourd'hui, j'accomplis le désir le plus pressant de mon cœur : je viens commencer la monarchie constitutionnelle.

<<< Les hommes sont trop impuissants pour assurer l'avenir; les institutions seules fixent les destinées des nations. Nos institutions sont éparses; une de nos plus importantes occupations sera de les réunir dans un seul cadre et de les coordonner dans une seule pensée. Ce travail recommande l'époque actuelle aux générations futures.

« J'ambitionne de voir la France jouir de toute la liberté possible je dis possible, parce que l'anarchie aspire toujours au gouvernement absolu.

« Une coalition formidable de rois en veut à notre indépendance, les armées arrivent sur nos frontières.

« La frégale la Melpomène a été attaquée et prise dans la Méditerranée, après un combat sanglant contre un vaisseau anglais de 74. Le sang a coulé en pleine paix.

« Nos ennemis comptent sur nos divisions intestines. Des rassemblements ont lieu; on communique avec Gand, comme en 1792 avec Coblentz. Des mesures législatives sont indispensables; c'est à

votre patriotisme, à vos lumières, à votre attachement à ma personne que je me confie sans réserve.

« La liberté de la presse est inhérente à la Constitution actuelle: on n'y peut rien changer sans altérer tout notre système politique, mais il faut des lois répressives, surtout dans l'état actuel de la nation. Je recommande à vos méditations cet objet important.

• Les ministres vous feront connaître la situation de nos affaires. Les finances seraient dans un état satisfaisant, sans le surcroît de dépenses que les circonstances ont exigées. Cependant on pourrait faire face à tout si les recettes comprises dans le budget étaient toutes réalisables dans l'année, et c'est sur les moyens d'arriver à ce résultat que mon ministre des finances fixera mon attention.

« Il est possible que le premier devoir du prince m'appelle bientôt à la tête des enfants de la nation pour combattre pour la patrie. L'armée et moi nous ferons notre devoir.

« Vous, pairs et représentants, donnez à la nation l'exemple de la confiance, de l'énergie et du patriotisme, et, comme le Sénat du grand peuple de l'antiquité, soyez décidés à mourir plutôt que de survivre au déshonneur et à la dégradation de la France. La cause sainte de la patrie triomphera. »

Ces dernières paroles furent suivies de chaleureuses acclamations qui allaient moins à l'empereur qu'au chef d'armée près de partir pour défendre la patrie.

L'appel que faisait Napoléon à la confiance des Chambres était certainement tout à fait opportun. Mais celui qui adressait cet appel n'avait-il pas fait, par avance, tout ce qu'il fallait pour le rendre inefficace?

Le 11 juin, Napoléon organisa un conseil de gouvernement qui devait, en son absence, gérer les affaires; le lendemain, 12, partit pour prendre le commandement de l'armée.

SI.

CHAPITRE II

Campagne de 1815. Ligny. - Waterloo.

ENTRÉE EN CAMPAGNE.

Du moment que la guerre était devenue inévitable, deux partis s'offraient à Napoléon : attendre l'ennemi dans des positions défensives ou prendre lui-même l'initiative

de l'attaque. Tous les deux furent discutés devant lui par des gé...... néraux qui se prononcèrent en sens divers. Napoléon adopta le se cond, plus conforme à son génie militaire et présentant le double avantage, d'abord de ne pas livrer les départements du Nord et de l'Est aux dévastations de l'ennemi; puis, si, comme il l'espérait bien, il frappait un coup terrible sur la première armée qu'il rencontrerait, il lui serait plus facile de traiter aussitôt de la paix. Sur la frontière des Alpes et du Rhin, où l'ennemi ne pouvait arriver prochainement, il devait échelonner 55,000 hommes, divisés en plusieurs corps d'armée, dont l'effectif, d'abord faible, devait s'accroître progressivement. 30,000 hommes tenaient la Vendée.

Le premier choc devait évidemment venir de Belgique, où était Wellington avec les Anglais et où se dirigeait Blucher avec les Prussiens. Aussi rapidement, mais aussi secrètement que possible, Napoléon avait réuni le long de notre frontière de ce côté une belle armée de 128,000 hommes. Malheureusement, il n'avait plus pour major général l'exact et soigneux Berthier, qui, s'étant rallié à la Restauration, n'avait pas osé revenir à l'empereur. Celui-ci, l'avait remplacé par le maréchal Soult, moins apte à ces fonctions et que son étalage de zèle royaliste avait rendu impopulaire dans l'armée.

Arrivé à Avesnes, le 14 juin au matin, Napoléon adressa à ses troupes une de ces proclamations où il savait si bien parler au soldat. Il évoquait le souvenir des batailles de Marengo et de Friedland, dont c'était ce jour-là même l'anniversaire, des victoires d'Austerlitz, de Wagram, d'Iéna. A ceux qui avaient été prisonniers des Anglais, il rappelait les souffrances des pontons. Par une illusion que, peut-être, il n'avait pas lui-même, il montrait les Saxons, les Belges, les Hanovriens et d'autres, prêts à se détacher, de la coalition; il annonçait des marches forcées, des batailles, des périls, mais aussi la victoire, qui devait assurer les droits, l'honneur et le bonheur de la patrie.

Si Napoléon croyait à la défection possible de certains contingents de la coalition, il était bien mal instruit de la ténacité des haines que sa domination avait suscitées au delà du Rhin. Il les supposait oubliées après moins d'une année, et nous les avons vues reparaître aussi ardentes, aussi implacables, aussi sauvages après plus de soixante ans.

C'était précisément l'armée la plus ivre de haine contre la

France, l'armée prussienne, que Napoléon allait rencontrer la première. Forte de 124,074 hommes et 312 canons, elle était divisée ́n quatre corps et commandée par un chef qui partageait ses pasions, entreprenant, impétueux, que les soldats nommaient le général En avant : c'était Blucher, dont les 70 ans n'avaient pas amorti l'ardeur.

Plus éloignée de notre frontière, l'armée de Wellington comptait 105,950 hommes et 196 canons. Les Anglais n'y figuraient que pour 52,000 hommes, le reste se composait de 30,000 HollandoBelges et de contingents germaniques. Tout au contraire du chef prussien, Wellington était un esprit froid, méthodique, tenace, inébranlable. L'un devait déconcerter, à force d'audace, les plans de Napoléon, l'autre user la fougue et l'énergie des Français.

Le général anglais avait établi ses troupes, sur une ligne assez étendue, de Nivelles à Oudenarde, par Mons et Ath, avec un point de concentration à la ferme des Quatre-Bras, en avant de Nivelles. Le quartier général était à Bruxelles, où restait une réserve de 39,000 hommes, infanterie et cavalerie.

La ligne prussienne allait de Charleroi à Liége, en passant par Namur. Blucher ne s'était pas préoccupé d'une réserve.

Les 128,000 Français avaient 346 bouches à feu ; ils étaient divisés en cinq corps; de plus, une première réserve de cavalerie, comptant 12,000 hommes, était commandée par Grouchy. Une autre réserve comprenait 12,000 hommes de la garde, 37,000 cavaliers et 22 pièces d'artillerie. Les troupes étaient pleines d'ardeur, confiantes dans e génie de Napoléon; mais parmi elles circulait un sentiment de défiance à l'égard des généraux.

Le plan défensif de Napoléon consistait à se jeter entre les deux armées ennemies, couper leurs communications et les battre l'une après l'autre.

Dans la nuit du 14 au 15 août, l'armée française passe la Sambre, entre à Charleroi dans la journée. Ici se place un incident qui vint justifier et aggraver les soupçons des soldats. Le général Bourmont ancien royaliste, qui avait combattu en Vendée, qui s'était rallié à l'Empire, était allé aux Bourbons, en 1814, puis revenu, en 1815, vers Napoléon, dont il avait été bien accueilli et avait reçu le commandement d'une division dans l'armée du Nord, le général Bourmont quitte ses troupes, le 15, et, sous leurs yeux, se met en route vers l'ennemi. Si ce général conserva encore assez d'honneur pour ne rien révéler des dispositions de Napoléon, sa seule présence

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