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glaises, se met encore une fois à la tête de ses escadrons et remonte la pente de Mont-Saint-Jean. Napoléon le fait soutenir par la cavalerie de Kellermann, à laquelle se joignent spontanément les gre nadiers à cheval et les dragons de la garde; c'est une masse de 10,000 chevaux. Pendant deux heures, une lutte effroyable est engagée sur le plateau; des carrés entiers sont renversés, écrasés, détruits par l'artillerie légère des Français, qui est venue prendre part au combat. La cavalerie anglaise, accourue au secours de son infanterie, est sabrée, balayée. Mais, après cette horrible boucherie, les escadrons français, harassés, las de frapper, désorganisés par tant de mouvements, les chevaux éreintés, sont obligés de quitter ce funeste plateau où n'a pas cessé de flotter le drapeau d'Angle

terre.

Des deux côtés, les pertes étaient immenses. Les Anglais ne furent pas en état d'inquiéter la retraite des Français. Le chemin creux d'Ohain était comblé de cadavres.

Hougoumont était toujours à l'ennemi; à notre droite, le village. de Pupelotte avait été enlevé aux Anglais, mais le succès n'était pas allé plus loin.

Lobau avait pu se maintenir tant qu'il n'avait eu affaire qu'à une partie du corps de Bulow; mais, une fois ce corps entré tout entier en ligne, Lobau avait dû reculer len'ement. Les Prussiens tendaient à le déborder pour atteindre la base d'opération de l'armée française, la chaussée de Bruxelles.

Napoléon envoya du secours à deux reprises; de ce côté aussi s'engage une lutte acharnée. A sept heures du soir, les Prussiens reculaient.

Napoléon veut alors tenter un dernier effort sur le centre de l'armée anglaise. Il appelle à lui la vieille garde et toutes les troupes encore disponibles, en forme une masse serrée, et, toujours sous les ordres de Ney, la lance de nouveau à l'assaut du Mont-SaintJean.

Wellington, comptant toujours sur Blucher, se dispose à une résistance suprême. Il adresse quelques brèves paroles à ses soldats; à lord Hell, qui lui demande ce qu'il faudra faire dans le cas ù le duc serait tué, il répond: « Tenir ici jusqu'au dernier homme. >>

A ce moment, une vive fusillade éclate sur la gauche anglaise et y met du désordre. « C'est Grouchy ! » s'écrie Napoléon, et il fait partout répandre la bonne nouvelle.

Ce n'était pas Grouchy, mais le corps de Blucher qui entrait en ligne, et, par erreur, tirait sur les Wurtembergeois portant encore l'uniforme français.

Cependant Ney aborde le plateau, culbute la première ligne et les batteries anglaises. Mais, tout à coup, quand il se croit victorieux, les gardes anglaises, couchées derrière un pli de terrain, se dressent devant lui et fusillent à bout portant la colonne française, qui recule, sans se rompre, attendant les renforts laissés à la HaieSainte.

Blucher avait fait promptement cesser la méprise de ses troupes, et, les réunissant aux Wurtembergeois, accablait Lobau, qui cédait le terrain devant des forces supérieures et la menace d'être tourné. L'artillerie ennemie met le désordre dans ses rangs, qu'une masse de cavalerie se prépare à charger.

Pour arrêter le mal de ce côté, Napoléon y dirige les bataillons de la garde restés à la Haie-Sainte et sur lesquels comptait Ney pour être soutenu.

Alors, il est huit heures du soir, Wellington quitte sa position défensive et descend, à son tour, la pente du Mont-Saint-Jeau, refoulant la colonne de Ney, qui se replie sur la Belle-Alliance. « C'est ici, s'écrie le maréchal, la clef de l'indépendance nationale; il faut tenir jusqu'au dernier. » Mais les efforts les plus héroïques se brisent contre des forces supérieures. Pour la cinquième fois de la journée, le maréchal tombe sous son cheval tué, sans trouver lui-même, sur le champ de bataille, la mort qu'il y cherchait.

Lobau, reculant toujours, tenait encore tête aux Prussiens et leur disputait le terrain pied à pied.

La fausse nouvelle de l'arrivée de Grouchy avait réveillé partout les soupçons de trahison. Les soldats se débandaient, fuyaient dans toutes les directions.

Napoléon lui-même dut se retirer vers Genappe. Seuls, quelques carrés de la garde, commandés par Cambronne, luttaient encore, enveloppés d'ennemis, et refusaient de mettre bas les armes. Les dernières troupes du corps de Lobau, écrasées, se dispersaient à leur tour.

Il était neuf heures du soir, la nuit venait. Toute cette armée, si vaillante le matin, rompue maintenant, affolée par la panique, emportée par la déroute, fuyait, fuyait au loin, jetant ses armes, méconnaissant ses chefs. L'armée anglaise, épuisée des efforts de la journée, s'était arrêtés sur les positions françaises. Mais Blucher,

infatigable, impitoyable, lançait sa cavalerie, qui sabrait, hachait furieusement, écrasait sous les chevaux cette masse de vaincus, où il n'y avait plus nulle pensée de résistance, de défense même individuelle. La poursuite ne s'arrêta qu'au jour; la cavalerie prussienne ne pouvait plus marcher.

Napoléon fit halte à Charleroi, d'où il envoya à Grouchy l'ordre de battre en retraite, sans lui indiquer aucune direction.

Dans la matinée du 19, Blucher porta son quartier général à Genappe. Wellington garda le sien à Waterloo, d'où il data le bulletin de la bataille qui en a retenu le nom.

La journée du 18 juin coûta aux Français 32,000 hommes; les Anglais y perdirent 15,000 hommes, et les Prussiens 7,000, ensemble 22,000.

Dans l'effarement d'un épouvantable désastre, les soldats qui avaient combattu à Waterloo, et combattu de manière à mériter la victoire, ont accusé Grouchy de trahison; l'opinion publique a lontemps partagé la mênie opinion; les plus indulgents l'ont accusé d'incapacité; Napoléon, à Sainte-Hélène, a essayé de rejeter sur ce maréchal la perte de la bataille de Waterloo.

Grouchy ne fut pas un traître, la chose n'est plus douteuse. Il ne ful pas un général incapable; il reçut de Napoléon des ordres formels, et il les exécuta ponctuellement, trop ponctuellement peut-être, mais Napoléon n'avait pas habitué ses lieutenants à substituer leurs inspirations à ses ordres. Grouchy fit des faules, hélas! tout le monde en fit dans cette courte campagne : Napoléon, en attaquant tardivement les Prussiens à Ligny et ne s'informant pas de la direction de leur retraite après la bataille; Ney, en n'attaquant pas assez tôt les Quatre-Bras, le 16, ce qui l'empêcha de venir détruire l'armée prussienne à Ligny, puis en accumulant, le 18, toute sa cavalerie sur le plateau de Mont-Saint-Jean; Grouchy, enfin, en ne réparant pas la négligence de Napoléon sur la retraite des Prussiens, en manquant d'activité et en n'arrivant pas assez tôt à Wawre pour y arrêter Bulow.

Les soldats seuls ne manquèrent pas à leur vieille renommée d'héroïsme. Eux aussi, cependant, travaillés par d'injustes soupçons, ils ne conservèrent pas, dans la défaite, la solidité qu'ils avaient eue pendant le combat, et la perte d'une seule bataille entraîna la perte définitive de l'Empire.

Dans l'après-midi du 18, Grouchy avait rencontré, à Wawre, l'arrière-garde des Prussiens; il attaqua le village, la nuit suspendit

le combat, qui reprit le lendemain, et que Grouchy abandonna en recevant la nouvelle de la bataille de Waterloo.

Sur un ordre de Napoléon, il marcha vers la Sambre, puis rentra en France. A Rethel, une dépêche du maréchal Soult lui prescrivit de se diriger sur Soissons. Là, il laissa son corps d'armée à peu près intact, et revint de sa personne à Paris.

Napoléon y était arrivé dans la soirée du 20 juin; il en était parti le 12 entre ces deux dates, l'Empire s'était écroulé pour la seconde fois.

CHAPITRE III

L'Abdication.

En délaissant son armée fugitive pour accourir à Paris, Napoléon comptait évidemment ou être investi par les Chambres de pouvoirs extraordinaires, ou s'en investir lui-même. « Que les députés me secondent, dit-il en arrivant à l'Élysée, et rien n'est perdu. » Son frère Lucien lui conseilla de prendre résolûment la dictature.

A la Chambre des représentants, on se montra indigné que l'empereur eût déserté l'armée. Les dispositions hostiles s'accrurent lorsque Lucien, l'homme du 18 brumaire, vint pour rassurer l'Assemblée sur les bruits de dictature qui circulaient

Sur la proposition de Lafayette, la Chambre se déclara en permanence, ajoutant que toute tentative de dissolution serait considérée comme un acte de haute trahison et punie comme tel. Elle mandait, en outre, devant elle, les ministres de la guerre, des relations extérieures et de la police.

Les souverains alliés avaient proclamé, en 1815 comme en 1814, qu'ils ne faisaient pas la guerre à la France, mais seulement à la personne de Napoléon et que la nation française restait maîtresse de se donner le gouvernement qui lui plairait. Ces déclarations pouvaient n'être pas sincères, mais il eût été difficile aux souverains d'y manquer ouvertement.

La défaite de Napoléon faisait penser à presque tout le monde en France que la personne de l'empereur devenait le seul obstacle au rétablissement immédiat de la paix. Aussi, le mot d'abdication était-il dans toutes les bouches. On le disait bien haut au palais Bourbon, on le répétait plus bas à l'Élysée, non assez bas cependant

pour que Napoléon ne l'entendit point. Il eut le tort de ne pas abdiquer spontanément et d'attendre une sommation formelle de la Chambre des représentants. Il y répondit en termes d'une dignité triste :

• Français, disait-il, en commençant la guerre pour soutenir l'indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés et sur le concours de toutes les autorités nationales; j'étais fondé à en espérer le succès et j'avais bravé les déclarations de toutes les puissances contre moi; les circonstances paraissant changées, je m'offre en sacrifice aux ennemis de la France. Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations et n'en avoir jamais voulu qu'à ma personne! Ma vie politique est terminée et je proclame mon fils, sous le titre de Napoléon II, empereur des Français. Les ministres actuels formeront provisoirement le conseil du gouvernement. L'intérêt que je porte à mon fils m'engage à inviter les Chambres à organiser sans délai la régence par une loi. Unissez-vous tous pour le salut public et pour rester une nation indépendante. »

Cette union, que recommandait si justement Napoléon, n'existait pas. Ceux qui, malgré sa mauvaise fortune, restaient attachés à la dynastie napoléonienne, et ils étaient peu nombreux, voulaient faire proclamer Napoléon II. Ils eussent réussi peut-être si l'enfant qui portait ce nom eût été à Paris au lieu d'être à Vienne, d'où l'on était certain que l'empereur d'Autriche ne le laisserait pas revenir.

Les représentants qui ne voulaient pas laisser la liberté périr avec l'Empire redoutaient une régence où Napoléon aurait pu exercer une action trop grande; ils ne voulaient pas davantage des Bourbons. Il fallait alors prendre un parti décisif et proclamer la République.

Mais il y avait aussi dans l'assemblée des hommes qui, sans oser le dire, songeaient à préparer le retour des Bourbons. Il y en avait d'autres encore qui ne voulaient plus de Louis XVIII, mais étaient disposés à substituer la branche cadette à la branche aînée, en donnant le trône au duc d'Orléans.

Il y avait surtout un homme, doué du génie de l'intrigue, cynique, ancien religieux, ancien terroriste, devenu serviteur de Louis XVIII en 1814, redevenu ministre de Napoléon, en 1815, Fouché, fait duc d'Otrante par l'Empire, qui, dans ces tristes conjonctures, indifférent à tous et à tout, sauf à son propre intérêt,

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