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Mais, son arrivée, bientôt connue, fit éclater un de ces mouvements sympathiques que provoquent souvent les grandes catastrophes. Une multitude d'embarcations, chargées de curieux de toute classe et de tout sexe, ne cessa d'entourer le navire qui portait l'ancien ennemi de l'Angleterre; la haine des Anglais était devenue un véritable enthousiasme.

En reprenant les armes contre l'évadé de l'île d'Elbe, les souve rains avaient décidé que Napoléon serait confiné désormais dans l'île de Sainte-Hélène, colonie anglaise voisine de la côte occidentale d'Afrique, et mis sous la garde de l'Angleterre. Cette décision impliquait que la personne de l'empereur tombât entre les mains des coalisés. Était-elle équitablement applicable à Napoléon demandant asile à l'Angleterre? C'est la question qu'eut à examiner le cabinet britannique. Il la résolut contre Napoléon, écoutant plutôt la voix de la politique que celle de la générosité. En conséquence, le 30 juillet, ordre fut donné au capitaine Maitland de conduire Napoléon à Sainte-Hélène.

Cette résolution fut accueillie avec indignation par le public anglais. Napoléon y répondit par cette énergique protestation :

« Je proteste solennellement ici, à la face du ciel et des hommes, contre la violence qui m'est faite, contre la violation qu'on a faite de mes droits les plus sacrés, en disposant, par la force, de ma personne et de ma liberté. Je suis venu librement à bord du Bellerophon; je ne suis pas prisonnier, je suis hôte de l'Angleterre. J'y suis venu à l'instigation même du capitaine, qui a dit avoir des ordres du gouvernement pour me recevoir et me conduire en Angleterre, avec ma suite, si cela m'était agréable. Je me suis présenté de bonne foi pour me mettre sous la protection des lois de l'Angleterre. Aussitôt assis sur le Bellerophon, je fus sur le foyer du peuple britannique. Si le gouvernement, en donnant ordre au capitaine du Bellerophon de me recevoir ainsi que ma suite, n'a voulu que me tendre une embûche, il a forfait à l'honneur et flétri son pavillon. Si cet acte se consommait, ce serait en vain que les Anglais voudraient désormais parler de leur loyauté, de leurs lois : la foi britannique se trouvera perdue dans l'hospitalité du Bellerophon.

« J'en appelle à l'histoire : elle dira qu'un ennemi qui fitlongtemps la guerre au peuple anglais vint librement dans son infortune, chercher un asile sous ses lois. Quelle plus éclatante preuve pouvait-il lui donner de son estime et de sa confiance? Mais com

ment répondit-on en Angleterre à une pareille magnanimité? On feignit de tendre une main hospitalière à cet ennemi, et, quand il se fut livré de bonne foi, on l'immola. »

Le gouvernement anglais eût pu, sans manquer aux engagements pris, faire conduire aux États-Unis l'empereur vaincu et déchu, qui était, en effet, un réfugié et non un prisonnier, mais Napoléon fut victime de la raison d'État; de cette raison inique au nom de laquelle il avait fait déporter, comme coupables, des républicains qu'il savait innocents, et fusiller le duc d'Enghien, enlevé sur territoire neutre. L'arme dont il avait abusé se retournait contre lui. C'est là trop souvent la seule punition des grands crimes d'État.

Napoléon fut transféré du Bellerophon sur le Northumberland, commandé par l'amiral Cockburn. L'ex-empereur était accompagné du général Bertrand, avec sa femme et ses trois enfants, du général Gourgaud, du général Montholon, sa femme et un enfant, du comte de Las Cases et son fils. D'autres personnes avaient demandé, mais n'obtinrent pas la faveur de suivre leur ancien maître dans l'exil. Napoléon n'eut avec lui aucun membre de sa famille.

Après soixante-dix jours de traversée, le Northumberland arriva, le 17 octobre 1815, à Sainte-Hélène, où Napoléon devait subir une captivité de six années et mourir. De cette île lointaine, il regardait toujours l'Europe, posait devant la postérité et travaillait à former cette légende napoléonienne que la Restauration allait, de son côté, seconder, avec tant de maladresse,

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Retour de Louis XVIII. Les alliés en France. L'armée de la Lo re. Massacres à Marseille. - Assassinat de Brune. - Jugement et exécution de Labédoyère. - Massacres dans le Midi.

§ I. RETOUR DE Louis XVIII. Pendant la courte durée du second règne de Napoléon, Louis XVIII, réfugié à Gand, y conservait un simulacre de royauté; il avait sa maison militaire, des ministres qui se jalousaient, une petite cour, où ne manquaient ni les rivalités ni les intrigues. On y faisait un Moniteur. On s'y tenait également prêt ou à passer en Angleterre si le second Empire se consolidait, ou à revenir à Paris si les événements tournaient bien pour la cause royale.

La victoire de Ligny jeta la consternation dans ce petit monde. Le soir du 18 juin, les premières nouvelles annonçant la défaite de Wellington, on hâta les préparatifs de fuite vers Ostende. Un peu plus tard, la nouvelle du triomphe des Anglo-Prussiens ramena la joie et l'espérance. « La journée du 18, disait le Moniteur gantois du 19, a terminé de la manière la plus heureuse pour les alliés la lutte sanglante et opiniâtre qui durait depuis le 15... L'armée de Bonaparte, cette armée qui n'est plus française que de nom depuis qu'elle est la terreur et le fléau de la patrie, a été vaincue et presque entièrement détruite. » C'est ainsi qu'on parlait å Gand du plus terrible désastre militaire que la France eût subi depuis la guerre de Cent ans.

On se prépara dès lors à rentrer en France. Toutefois, il fallut attendre trois jours pour connaître l'itinéraire suivi par les vainqueurs afin de régler la marche du cortége royal sur les étapes des armées étrangères.*

Le 23 juin, Louis XVIII était à Mons. Il eut à faire là un sacrifice

qui lui coûta beaucoup, celui de M. de Blacas, son ministre d'État, son confident intime. Tout le monde le détestait dans l'entourage royal; cependant le roi le maintenait contre sa cour, contre sa famille même. Il fallut que M. de Talleyrand, froissé dans une prétention personnelle par M. de Blacas, fit imposer au roi, par les diplomates étrangers et par Wellington, comme une nécessité de salut, le renvoi du favori. Les deux amis pleurèrent en se séparant. Toutefois, le ministre congédié recevait, comme fiche de consolation, une somme d'environ 7 millions, restant des douze ou treize que le roi avait emportés des Tuileries.

Le 25, à Cateau-Cambrésis, Louis XVIII publia une proclamation où il ne faisait guère que donner des éloges aux alliés et menacer de sa vengeance ceux qui avaient contribué à rétablir l'Empire.

Le 23, l'ennemi avait sommé Cambrai de se rendre; sur le refus du commandant de place, l'assaut fut donné le 24 et l'ennemi pénétra dans la ville avec l'aide de la population, que ne pouvait comprimer une faible garnison; le 25, la citadelle fut remise. Le 26, Louis XVIII entra dans Cambrai, sous des arcs de triomphe, avec accompagnement de cris de joie, de vierges en blanc et de fleurs. Talleyrand et les ministres étrangers l'y attendaient.

Louis XVIII trouva aussi à Cambrai une dépêche de Wellington qui lui disait : « Il est essentiel que Sa Majesté se fasse précédér par quelque document qui annonce ses intentions de pardon et d'oubli et qui promette de marcher dans les voies de la Charte. » Louis XVIII, heureux d'avoir prévenu ce désir, montra sa proclamation du 25. On la jugea unanimement insuffisante et surtout dangereuse.

Louis XVIII ne fit pas difficulté de la remplacer par une autre, portant la date du 28, où, après avoir annoncé qu'il venait se mettre entre la France et l'étranger et rappelé qu'il n'avait permis à aucun des siens de prendre part à la dernière guerre contre la France, il disait, en parlant de l'année 1814: « Mon gouvernement devait faire des fautes. Peut-être en a-t-il fait. Il est des temps où les intentions les plus pures ne suffisent pas pour diriger, où elles égarent. L'expérience seule pouvait avertir; elle ne sera pas perdue. Je veux tout ce qui sauvera la France..... On a parlé, dans les derniers temps, du rétablissement de la dime et des droits féodaux. Cette fable, inventée par l'ennemi commun, n'a plus besoin, d'être réfutée... Si les acquéreurs de domaines nationaux ont conçu des inquiétudes, la Charte aurait dû suffire pour les rassurer... »

A

Puis, le roi remerciait les Français des témoignages d'amour qu'il en avait reçus et promettait de pardonner aux Français « égarés » tout ce qui s'était passé depuis son départ de Lille. Malheureusement, il ajoutait :

«Mais le sang de mes enfants a coulé par une trahison dont les annales du monde n'offrent pas d'exemple. Cette trahison a appelé l'étranger au cœur de la France... Je dois, pour la dignité de mon trône, pour l'intérêt de mes peuples, pour le repos de l'Europe, exempter du pardon les instigateurs et les auteurs de cette trame horrible. Ils seront désignés à la vengeance des lois par les deux Chambres...»

Ce document était contre-signé par Talleyrand.

Les princes croient toujours que les révolutions qui les frappent sont des œuvres de trahison. Si Louis XVIII eût voulu se donner la peine d'étudier les événements survenus de mai 1814 à mars 1815, il aurait découvert, non sans quelque surprise, que le premier traître à la royauté c'était le roi Louis XVIII. Le retour de l'ile d'Elbe ne fut pas l'effet d'une « trame horrible. » Si Napoléon avait eu des complices, ils auraient proclamé bien haut leur participation au rétablissement de l'Empire. Tous les hommes que Louis XVIII avait en vue, tous ceux qui furent atteints bientôt après par la « vengeance » des lois, ce qui ne veut pas dire la justice, furent tous, à des degrés divers, des « égarés » et il eût été plus habile de les couvrir du pardon général que d'en faire des victimes dont le sang pesa si lourdement sur la Restauration.

Réglant son itinéraire sur celui de l'armée anglaise, Louis XVIII arriva, le 30 juin, à Roye, puis à Gonesse et à Saint-Denis. Dans cette ville, le roi constitua son ministère, qui fut ainsi composé : Talleyrand aux affaires étrangères; le baron Louis aux finances; le maréchal Gouvion-Saint-Cyr à la guerre; le comte de Jaucourt à la marine; M. Pasquier à la justice, avec l'intérim de l'intérieur. Fouché à la police; M. Beugnot à la direction des postes. Le gé néral Dessolles devint commandant supérieur de la garde nationals de Paris, à laquelle un ordre du jour prescrivit de reprendre la cocarde blanche. Une ordonnance royale réintégra tous les fonctionnaires civils et tous les officiers dans les emplois et grades qu'ils occupaient au 1er mars 1815. Ces diverses mesures, signées le 7, parurent au Moniteur du 8.

Ce même jour, Louis XVIII fit sa rentrée personnelle dans Paris. Fouché lui avait préparé une réception enthousiaste. Toute la soirée.

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