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des femmes en grande toilette dansèrent des rondes dans le jardin des Tuileries, en chantant « Rendez-nous notre père de Gand. » Ce chant venait-il du ministère de la police?

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§ II. LES ALLIES EN FRANCE. En 1814, la France avait été traitée avec les égards que mérite une nation qui a glorieusement succombé ; elle n'en était pas moins digne en 1815. Cette fois cependant on la traita, non pas même en pays conquis, mais comme un malfaiteur en état de récidive.

Les Prussiens, d'abord, toujours les plus rapaces, puis les Hollando-Belges, les Anglais et tous les autres à la suite, se mirent à piller le Musée et la Bibliothèque nationale, sous prétexte d'y reprendre les objets d'art que la France leur avait enlevés depuis vingt ans. Quel peuple n'avait ainsi usé de la victoire et plus brutalement? Ces tableaux, ces statues, ces livres, la France les avait demandés, exigés, si l'on veut, en remplacement de contributions de guerre, la propriété lui en avait été cédée par des traités, par le traité même de 1814: Louis XVIII s'en était fait un mérite dans son discours d'ouverture des Chambres. Nul autre traité n'en stipulait la restitution. L'enlèvement en constitue donc un acte violent de spoliation. M. de Talleyrand avait été invité par le duc de Wellington à en ordonner la remise et s'y était refusé; le directeur du Musée du Louvre, M. Denon, s'opposa de tout son pouvoir à la spoliation et en référa à Talleyrand, qui lui répondit que quelques tableaux de plus ou de moins n'étaient pas une affaire. Denon donna sa démission et le pillage se fit sans obstacle, mais non sans préjudice pour les objets enlevés, dont l'emballage était laissé à des soldats ignares. Dans telle bibliothèque publique, les soldats ne parvenant pas à faire entrer des in-folios dans les caisses apportées pour cette destination, scièrent les volumes par le travers. Le sculpteur Canova se fit remarquer à la dévastation du musée; il était, à la vérité Italien, mais Napoléon l'avait comblé d'honneurs et enrichi par des commandes que le Trésor public de France avait payées : il eût dû montrer plus de pudeur et ne pas se faire lui-même le Mummius du Louvre.

Blucher, dans son patriotisme sauvage, voulait faire sauter le pont d'Iéna et le pont d'Austerlitz et renverser la colonne de la place Vendôme, monuments, selon lui, de l'humiliation de l'Allemagne. Les travaux de mine étaient déjà pratiqués au pont d'léna lorsque l'intervention énergique de Louis XVIII, appuyée par Wellington, empêcha cet acte de vandalisme. On changea les noms des

deux ponts: l'un devint Pont des Invalides, l'autre Pont du Jardin du roi, dénominations que n'a jamais acceptées la population parisienne.

Si les propriétés publiques, si le palais même du roi (car le pillage n'épargna pas les Tuileries) étaient ainsi traités, que devaient on faire des propriétés particulières? Les Anglais campaient au bois de Boulogne et en abattaient les arbres pour se chauffer, bien que la ville leur fournît du bois pour cet usage. Mais Blucher logeait ses soldats chez les habitants, exigeant une literie complète et une nourriture que bien des gens n'avaient pas pour eux-mêmes. Un général prussien, installé dans l'hôtel du maréchal Ney, s'empara des voitures, des chevaux, des harnais. Blucher voulait faire payer par la ville une contribution de cent millions. Comme Wellington lui représentait qu'un seul ne devait pas avoir tous les profits, il menaça d'enlever les fonds du Trésor et de la Banque. Quand les souverains furent arrivés à Paris, Blucher reduisit la contribution à dix millions, payables quatre millions dans les quarante heures et le reste sous huit jours. Pour garantir le payement, il mit dans l'Hôtel de Ville un officier et cent soldats, et, tous les jours, l'officier, suivi de quelques-uns de ses hommes, allait trouver le préfet, M. de Chabrol, dans son cabinet pour lui rappeler la dette. Puis, tous envahissaient la salle du Conseil municipal, apostrophant et menaçant les conseillers.

Des rixes fréquentes avaient lieu entre soldats et habitants; plus d'un des premiers disparut dans la Seine, dans le canal Saint-Martin ou sous la terre des caves, des jardins. Pour mettre fin à ces meurtres, dont on ne découvrait pas les auteurs, les chefs alliés exigèrent que le jardin du Luxembourg fût converti pour leurs troupes en un vaste campement baraqué, que défendaient des canons chargés à mitraille.

C'était bien pis encore dans les départements: la France fut littéralement mise au pillage. Entre les mois de juillet et d'octobre, plus de 1,200,000 soldats étrangers s'abattirent, de tous les coins de l'Europe, sur nos malheureuses provinces. Les plus minimes principicules d'Allemagne expédièrent leurs contingents, Ferdinand VII d'Espagne envoya lui-même quelques régiments à la curée. Comme il fallut mettre un certain ordre dans ce débordement de voracités, ne fût-ce que pour empêcher les querelles entre copartageants, on fit une répartition du sol français. Les Anglais, Hollando-Belges, Hanovriens eurent les départements compris entre

la Seine et la frontière belge; à Paris, ils occupaient les quartiers de la rive droite. Ceux de la rive gauche étaient dévolus aux Prussiens, avec la Normandie, le Maine, l'Anjou, la Bretagne. Les Autrichiens, Bavarois, Wurtembergeois, Hessois tenaient la Bourgogne, le Nivernais, partie du Bourbonnais, le Lyonnais, le Dauphiné; les Autrichiens s'étendaient jusqu'en Provence et Languedoc. La Cham-pagne et la Lorraine étaient le lot des Russes. L'Alsace était livrée aux Badois et aux Saxons.

Il fallait pourvoir non-seulement à la subsistance, mais à l'entretien, à l'habillement de cette multitude armée. Les réquisitions les plus exagérées étaient faites aux villes, aux villages, aux particuliers même. Quelques villes, entre autres Versailles et Reims furent livrées au pillage le plus brutal pendant plusieurs heures Des chefs de tout grade, des subalternes, de simples soldats, se faisaient donner de l'argent ou des objets précieux, quand ils ne s'en emparaient pas de vive force. Toutes les armées de l'Europe semblaient s'être abattues sur la France pour s'y refaire et en emporter quelque dépouille. Dans certaines provinces, notamment en Champagne, en Lorraine, en Alsace, les habitants des villages, de quelques petites villes durent s'enfuir et aller vivre, durant des mois, dans les forêts, les montagnes, les cavernes pour échapper aux violences des envahisseurs.

Partout où pénétraient les vainqueurs, ils enlevaient les armes, non pas seulement celles des arsenaux et magasins militaires, mais les armes de luxe et de chasse, même les armes hors de service, qu'ils forçaient les villes à faire remettre en état. Tout cela était expédié à l'étranger.

Il n'était pas permis de se plaindre. Trois préfets osèrent réclamer l'un était cousin de M. Talleyrand, l'autre frère de M. Pasquier, le troisième gendre du chancelier Dambray. Ils furent arrêtés, déportés en Prusse et y subirent deux mois de détention.

La reddition de Paris n'avait pas mis fin à toute résistance en France. Outre des corps francs qui harcelèrent l'ennemi dans les Vosges, en Lorraine, en Champagne, quelques places fortes tinrent plus ou moins longtemps. Longwy subit un véritable siége. Cent trente-cinq hommes enfermés dans Huningue, sous le commandement de Barbanègre, résistèrent jusqu'au 27 août; ils n'étaient plus que cinquante lorsqu'il, sortirent avec les honneurs de la guerre. Auxonne ne capitula aussi que le 27 août.

§ III. L'ARMÉE DE LA Loire.

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convention de Saint-Cloud, l'armée française, à qui il n'avait pas été permis de défendre Paris, avait établi ses cantonnements audelà de la Loire, sous le commandement de Davout. Elle y observait la plus exacte discipline, bien que les journaux royalistes ne désignassent les soldats de cette armée que sous le nom de Brigands de la Loire. Elle gardait encore la cocarde et le drapeau tricolores. Quoique réduite à l'inertie et enveloppée par les forces ennemies, cette armée inquiétait les souverains; ils adressaient au gouvernement royal des notes impératives pour en exiger le licenciement. Louis XVIII n'y était personnellement que trop disposé, car il la considérait comme le principal instrument du retour de Napoléon. S'appuyant sur une ordonnance qu'il avait rendue à Lille, au mois de mars, et qui dissolvait tout corps militaire rallié à l'usurpateur, le roi signa, le 16 juillet, une ordonnance de licenciement de l'armée de la Loire. La même ordonnance prescrivait la réorganisation d'une armée composée de légions départementales.

Sur la foi d'assurances que Davout avait reçues de Paris, il avait promis à l'armée qu'elle n'avait à craindre aucune réaction et qu'elle serait traitée honorablement. Ce fut en faisant appel au patriotisme de tous qu'il opéra la substitution de la couleur blanche aux trois couleurs.

Avant que l'ordonnance de licenciement fût rendue publique, parut une autre ordonnance du 24 juillet, provoquée par les souverains étrangers, réclamée par les royalistes, rédigée par Fouché et ainsi conçue :

« Voulant, par la punition d'un attentat sans exemple, mais en • graduant la peine et en limitant le nombre des coupables, conci<< lier l'intérêt de nos peuples, la dignité de notre couronne et la tranquillité de l'Europe avec ce que nous devons à la justice et à « l'entière sécurité de tous les autres citoyens sans distinction;

« Avons déclaré et déclarons, ordonné et ordonnons ce qui suit : « Article 1er Les généraux et officiers qui ont trahi le roi avant « le 23 mars, ou qui ont attaqué la France et le gouvernement à « main armée, et ceux qui, par violence, se sont emparés du pou«voir, seront arrêtés et traduits devant les conseils de guerre com« pétents dans leurs divisions respectives, savoir :

« Ney, Labédoyère, Lallemand aîné, Lallemand jeune, Drouet « d'Erlon, Lefebvre-Desnouettes, Ameil, Brayer, Gilly, Mouton-Du« vernet, Grouchy, Clausel, Laborde, Debelle, Bertrand, Drouot, Cambronne, Lavalette, Rovigo.

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« Article 2. Les individus dont les noms suivent, savoir :

Soult, Alix, Exelmans, Bassano, Marbot, Félix Lepelletier, * Boulay (de la Meurthe), Freissinet, Thibaudeau, Carnot, Van« damme, Lamarque, Lobau, Harel, Piré, Barère, Arnault, Pomme« reul, Regnault (de St-Jean-d'Angely), Arrighi de Padoue, Dejean fils, Garrau, Réal, Bouvier-Dumolard, Merlin (de Douai), Durbach, Dirat, Defermon, Bory de St-Vincent, Félix Desportes, «Garnier(de Saintes), Hulin, Mellinet, Cluys, Courtin, ForbinJanson, Lelorgne-Dideville, sortiront dans trois jours de la ville « de Paris et se retireront dans l'intérieur de la France, dans les << lieux que notre ministre de la police générale leur indiquera, et << où ils resteront sous sa surveillance, en attendant que les Cham«bres statuent sur ceux d'entre eux qui devront ou sortir du « royaume, ou être livrés à la poursuite des tribunaux.

"

« Article 3. Les individus qui seront condamnés à sortir du « royaume auront la faculté de vendre leurs biens et propriétés dans « le délai d'un an, et d'en disposer et d'en transporter le produit << hors de France, et d'en recevoir, pendant ce temps, les revenus « dans les pays étrangers, en fournissant néanmoins la preuve de «< leur obéissance à la présente ordonnance.

« Article 4. Les listes de tous les individus auxquels les articles << 1 et 2 pourraient être applicables sont et demeurent closes par << les désignations contenues dans ces articles et ne pourront jamais « être étendues à d'autres, pour quelque cause et sous quelque « prétexte que ce puisse être, autrement que dans les formes et "suivant les lois constitutionnelles auxquelles il n'est expressément dérogé que pour ce cas seulement. »

Comme Louis XVIII, les souverains étrangers attribuaient le retour de Napoléon à une vaste conspiration, ourdie non-seulement par les bonapartistes, mais par les révolutionnaires, « ennemis de toute société »; ils avaient donc pressé le roi de châtier les coupables, de faire des exemples. Cela s'accordait, d'ailleurs, avec les sentiments personnels exprimés par ce prince dans ses proclamations du Cateau et de Cambrai. Le roi ordonna donc à ses ministres de préparer une liste des gens que sa justice devait frapper. Grand fut l'embarras des membres du cabinet, non-seulement à cause du nombre de personnes à atteindre mais encore à cause de la qualité de ces personnes et des relations que beaucoup d'entre elles avaient eues avec les ministres actuels. Ils chargèrent Fouché de remontrer au roi les difficultés, les périls même de la mesure. Fouché remplit

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