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cre mes répugnances pour l'hymen, et de préparer mon sacrifice.

Je n'avais point rompu avec M. Delorme, mon ancien ami; c'était même de ses mains que j'avais retiré mon portrait pour le donner à M. de N..., c'était un petit chef-d'œuvre d'Isabey. M. Delorme désirait entrer dans le régiment de M. de N***; je fis tout ce que je devais pour lui procurer cet avantage, et m'aidai des bons offices de M. d'Hozier, officier-supérieur de ce corps. Je ne parlais jamais de mon futur hymen que comme de mon prochain esclavage, et je n'étais pas sans inquiétude de ce côté. J'avais plusieurs fois surpris mon prétendu en querelle avec mon fils, ce qui me faisait une peine fort vive. Nous avions ensemble des discussions sur la manière dont je l'élevais, ne lui refusant rien et le gâtant sans cesse. Ces petits différends me faisaient tressaillir; je me reprochais un nouveau mariage comme mauvaise action. J'étais déjà sous le joug; M. de N*** avait exigé de moi, en menaçant de se détruire à mes yeux si je m'y refusais, que je laissasse croire au public que notre mariage était conclu. Il m'avait présenté son père et sa sœur Zéphirine, qu'il avait fait venir exprès. Ces petites formalités préliminaires n'avaient point trouvé d'opposition de ma part. Ma résolution était prise alors;

je comblais le père d'attentions et la sœur de présents. Tout allait donc bien jusque-là. Mon fils même était parti pour être présenté à toute la famille, ainsi qu'à la mère de mon prétendu épouseur. Cette dame vivait dans ses terres en Normandie, car M. de N.... était Normand; elle était séparée de son mari, homme d'une assez mauvaise conduite, qui vivait en concubinage avec une autre femme dont il avait des enfants. Cette famille était loin d'être unie; le père nourrissait une jalousie extrême contre son fils, qui était bien plus avancé en grade que lui-même; ce motif seul l'empêchait de l'aimer. Son caractère se ressentait singulièrement du terroir où il était né, c'est-à-dire du coeur de la Normandie. Je l'ai bien étudié, et voici ce que j'ai recueilli de mes observations. Il savait donner à sa figure l'expression d'un bon cœur, et quoique sans esprit, il était adroit et insinuant. Je ne saurais dire jusqu'à quel point il était intéressé, même vilain; ce qu'il y avait de plus contradictoire en lui, c'est qu'avec ce caractère il s'était livré à l'inconduite, au déréglement, et s'était ruiné, d'abord au jeu, ensuite avec les femmes. On pourrait dire qu'il s'était en quelque sorte ruiné par intérêt. On le voyait presque toujours entortillé dans une multitude de misérables petitesses, et lorsqu'il lais

sait aller son naturel, il devenait exigeant, emporté à l'excès. Sa présomption, compagne ordinaire de la bêtise, était plus forte encore que sa méchanceté, ce qui n'est pas peu dire. Il savait marcher quand il fallait aller à pas de tortue pour arriver plus sûrement à son but. Chicaneur par nature et par goût, curieux et bavard lorsqu'il s'agissait des autres, dissimulé et faux lorsqu'il était question de lui, il avait, bien jeune encore, abandonné sa femme et trois enfants! Tel est l'homme qu'on me destinait pour beaupère, qui a fait à son fils un mal irréparable, et l'a perdu pour toujours dans l'opinion publique, car sans lui les choses auraient pris un tour différent. Les princes devant aller chasser à Compiègne, M. de N*** s'y rendit. Mais avant son départ tout était bien convenu; les paroles données; en un mot, pour le public, j'étais censée mariée; M. de N*** m'avait même engagée à envoyer des billets de faire part, mais je m'y étais fortement opposée; peu de jours avant, j'avais consenti à une promenade sentimentale à Montmartre. Après avoir causé d'affaires sérieuses qui se rapportaient toutes à notre avenir, nous nous assîmes pour prendre quelque repos. Cette époque est bien présente à ma mémoire, et je vais rendre mot-à-mot la conversation que nous eûmes en

semble, car elle a trop influé sur notre sort pour, que j'aie pu jamais l'oublier. Je veux d'ailleurs me rendre justice, et si j'ai raison de ne pas accepter des torts quand je ne les ai point, je dois aussi, quand j'en ai, en faire l'aveu avec franchise, et dire loyalement que dans cette circonstance j'ai usé de dissimulation et péché par légèreté.

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A peine fûmes-nous assis, que me prenant la main, M. de N*** me dit : « Soyez franche avec « moi, ma chère amie; à la veille d'être votre << mari, j'ai le droit de tout savoir. Vous êtes « jolie, et à coup sûr vous avez dû être aimée. « Parmi vos adorateurs, ́n'en avez-vous distingué <«< aucun? Vous êtes libre depuis si long-temps, qu'il serait difficile de le trouver étonnant. Seu<«<lement dites-le avec franchise et j'éviterai de <<< le voir et de le rencontrer, voilà tout. »

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Tandis qu'il me parlait, mon imagination travaillait fortement, et voici les réflexions que je faisais Si avec le caractère jaloux que je connais à mon prétendu, je vais lui faire l'aveu que M. Delorme, qu'il voit tous les jours, a été mon ami pendant cinq ans, jamais il ne me pardonnera de les avoir mis l'un et l'autre en présence et de continuer à voir son rival malgré les souvenirs du passé. D'ailleurs, prête à l'épouser, je ne voyais pas la nécessité d'un aveu qui ne pouvait man

quer de troubler son avenir, et ma conscience ne m'obligeait pas à parler, puisqu'à l'époque où ces choses s'étaient passées, je ne lui devais rien; j'étais d'ailleurs bien résolue de contribuer à son bonheur de tout mon pouvoir et par une conduite à l'abri de tout reproche; je pris donc le ton affirmatif; je lui assurai que jamais je n'avais aimé personne, ce qui était à peu près vrai; que jamais qui que ce soit n'avait eu de droits sur moi.

Alors tous les traits de sa figure devinrent rayonnants de bonheur; il me témoigna combien ces paroles le rendaient heureux, et j'aurais voulu être franche, que je ne l'aurais osé après de pareils transports : j'avais bien quelques petits remords, mais je les étouffais, persuadée que je n'avais fait que ce que j'avais dû.

Après cet entretien, M. de N*** repartit pour Compiègne, se promettant de revenir le plus tôt possible. Mais à peine y était-il arrivé que je reçus une lettre de lui, par laquelle il me pressait de venir voir une chasse des princes. Son style était de feu, il voulait absolument que je lui donnasse cette preuve de dévoûment. Il se disait même capable d'un mauvais coup si je m'y refusais; il ajoutait qu'au point où en étaient les choses, il n'y avait plus qu'à terminer de suite,

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