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ments et grâce à sa jeunesse, avait pu échapper au mauvais vouloir de la Restauration, l'Université avait pu se modifier sans recevoir de trop graves atteintes, et continuer à propager et à défendre l'esprit et les intérêts de la société nouvelle, dont elle était, dans la pensée de l'Empereur, une des plus vivaces expressions. Ce caractère, elle l'avait gardé pendant quinze ans de lutte et de progrès; elle l'avait conservé pendant quinze ans encore depuis 1830.

Et aujourd'hui, tout à coup, on déclarait qu'il y avait abus, confusion de pouvoir, faiblesse, irrégularité dans l'état de choses maintenu et amélioré depuis la révolution de Juillet. On s'attaquait ainsi à ce régime qui avait créé dans l'enseignement public l'ordre, l'activité, l'élévation. C'état là, disait-on, un régime incomplet, provisoire: si on le voulait changer, il fallait donc le remplacer par une œuvre plus stable. Mais ce qu'on faisait aujourd'hui, ce n'était ni le régime impérial, ni la liberté, c'était tout simplement la facilité de faire des concessions là où la liberté aurait établi des droits. Il y avait ici, selon M. Villemain, un premier effet fort différent des conséquences prochaines. On affectait de revenir aux décrets impériaux dans une époque où personne ne voudrait, ne pourrait appliquer l'esprit général de ces décrets; mais on n'y revenait que pour s'en éloigner plus que jamais. On affichait la nécessité de la vigueur gouvernementale au moment même où on se sentait devenir si faible, qu'on voyait l'enseignement particulier prêt à s'émanciper en échappant de fait non-seulement à l'autorité, mais à l'inspection. On paraissait rétablir purement et simplement la force concentrée de l'Université impériale; mais, par contradiction des faits avec les mots, cette liberté qu'on n'organisait pas naîtrait d'une simple résistance, d'un bon plaisir, ou plutôt d'une inévitable faiblesse, quand le droit de dispenser la loi ne dépendrait que d'une volonté sans discussion nécessaire et sans contrôle.

M. le comte Beugnot avait fait et M. le comte de Salvandy avait accepté une théorie de la responsabilité ministérielle et de

la liberté absolue du ministre qui doit toujours reproduire la volonté mobile de l'opinion. M. Villemain ne croyait pas cette théorie applicable à l'enseignement. Ce n'était pas sous l'influence des majorités, sous les nécessités du moment qu'il pouvait être dirigé. L'enseignement a besoin d'obéir à une autre force empruntée en partie à lui-même. M. de Salvandy n'avait pas assez conservé, assez ménagé cette force.

Sous le règne de l'Université impériale, on n'avait pas même l'idée de réclamer la liberté d'enseignement: toute discipline, toutes études, toute inspection appartenaient à l'Université. A cela on substituait, par la force seule des choses, une liberté qui naîtrait de la tolérance, qui, jusqu'à ce que la loi intervînt, ne serait maintenue que par l'arbitraire. Derrière tout cela, M. Villemain apercevait l'émancipation de l'enseignement particulier s'opérant d'elle-même et sans bruit. Le nouveau conseil et les conseils académiques, privés de toute adjonction étrangère à l'enseignement universitaire, ne pourraient prétendre à aucune juridiction sur les établissements particuliers. Le ministre seul les autoriserait, seul les réprimerait. Tolérance obligée d'abord, arbitraire impraticable ensuite; émancipation sans bienfait de l'État; charte arrachée, et non donnée.

Selon l'honorable pair, l'Université eût été tout autrement affermie par des actes successifs qui, jusqu'au moment où aurait pu intervenir la loi, auraient introduit dans son sein des éléments nouveaux de représentation impartiale. La restreindre aujourd'hui, tout en multipliant le nombre des membres placés à sa tête, la borner à n'agir que par elle-même, c'était l'affaiblir, c'était éloigner l'époque de la loi promise. Si l'Université n'avait reçu un supplément extérieur d'organisation, un luxe de hiérarchie, que pour retomber sur elle-même et y rester plus étroitement attachée, non plus donnant l'exemple, exerçant l'initiative, mais existant à titre de corporation privée, sous la condition de ne prétendre qu'à être une spécialité administrative, et non pas l'action visible et parmanente de l'État, il serait regrettable, ajoutait en terminant l'illustre orateur, de voir

les influences que l'Université avait autrefois reçues dans son sein, s'isoler d'elle, s'établir en face d'elle, créer une autorité indépendante, une force morale et religieuse à la fois, qui trouverait dans la neutralité élevée du ministre une protection dont elle n'aurait même pas besoin d'être reconnaissante.

Cette importante discussion fut résumée en quelques mots par M. le ministre, qui prit acte de ce qu'il résultait des paroles même de ses adversaires que les ordonnances étaient légales, que quelque chose des ordonnances était nécessaire et utile, que le conseil royal n'était pas assez nombreux et avait besoin d'être complété par des adjonctions. Or, ces adjonctions avaient été calculées de manière à entrer provisoirement dans l'esprit des institutions existantes, puisqu'elles avaient établi dans le conseil la délibération, représentée par vingt hommes les plus éminents que l'Université comptât dans son sein.

La discussion générale continua, le 10, par un discours de M. le comte de Boissy d'Anglas. L'honorable pair s'attacha à démontrer que le gouvernement de Juillet avait été jusqu'à ce jour inhabile à défendre les intérêts extérieurs de la France.

Après lui, M. le baron Charles Dupin vint traiter la question financière.

Le savant économiste se demandait comment la France avait profité d'une paix de trente ans pour assurer l'état prospère de ses finances, de son industrie et de son commerce. Certes, la situation générale était satisfaisante; mais, en y regardant de plus près, on voyait d'abord un déficit de 400 et quelques millions. Cela s'appelait découvert, il est vrai; mais ce mot n'empêchait pas que, depuis huit ans, nos finances ne fussent en état croissant de déficit, malgré l'augmentation des recettes. L'orateur proposait au ministre l'exemple de l'Angleterre, qui tous les ans, depuis 1815, a diminué ses dépenses sans augmenter sa dette, et cela malgré l'Inde soumise, le Canada comprimé, la Chine vaincue.

M. le baron Dupin terminait en engageant le ministère à Ann. hist. pour 1846.

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diminuer progressivement nos dépenses pendant la paix : c'était là le seul moyen d'être préparé à la guerre.

M. le vicomte Dubouchage cherchait en vain dans le discours d'ouverture de la session toutes les questions dont devait se préoccuper le plus l'attention publique. Pas un mot du rôle qu'on avait fait jouer à la France dans les questions qui se débattaient entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, concernant le Texas et l'Orégon; rien sur la querelle de notre ambassadeur avec le gouvernement du Mexique; rien sur la situation de nos affaires dans l'Océanie; rien sur les horribles massacres de Syrie; rien sur l'insulte faite à notre droit de souveraineté à Madagascar. Garder ainsi le silence sur les affaires les plus sérieuses était-ce bien donner à la France la réalité du gouvernement représentatif? Au lieu de cela, le ministère parlait de la prospérité croissante et de la situation prospère des finances, toutes choses que l'honorable pair cherchait en vain autour de lui.

M. le vicomte Dubouchage terminait en réclamant une loi sur l'organisation du travail.

La discussion générale fut fermée après ce discours, et la Chambre passa à la discussion des articles.

Le premier paragraphe du projet était ainsi conçu :

«Sire, la session qui commence s'ouvre sous d'heureux auspices. La France, calme et florissante, recueille les fruits de cette infatigable activité, si ingénieuse à féconder tous les germes de prospérité. Le libre exercice de tous les droits garantis par nos lois assure le développement régulier de nos institutions.

Après quelques observations de M. le marquis de Boissy, ce paragraphe fut adopté, ainsi que le suivant, ainsi rédigé ;

« Avec vous, sire, nous nous félicitons de l'état de notre patrie. Nous en attribuons le bienfait à l'accord des pouvoirs publics, et au maintien de cette politique d'ordre et de conservation qui, tempérant la fermeté par la modération, triomphe des passions, concilie les esprits, fait régner au dedans la tranquillité, au debors la paix générale politique à la fois salutaire et glorieuse, qui, après avoir acquis à Votre Majesté la reconnaissance des contemporains, honorera à jamais la mémoire de son règne. »

Le troisième paragraphe donna lieu à des discussions sérieuses; en voici le contenu :

Sire, Votre Majesté continue à recevoir de toutes les puissances étrangères l'assurance de leurs dispositions pacifiques et amicales. Il est doux de penser que rien ne viendra troubler cette sécurité, condition nécessaire des progrès du travail et du bien-être qui se répand dans toutes les classes de la population. C'est aux nations qui ne redoutent pas la guerre qu'il appartient de professer ouvertement l'amour de la paix..

A la fin de la dernière session, M. le comte de Montalembert avait, le premier, appelé l'attention de la Chambre sur les déplorables événements du Liban; cette année encore, l'éloquent orateur venait, avec une noble persistance, demander compte à M. le ministre des affaires étrangères de ce qu'il avait tenté pour faire respecter les droits de l'humanité et l'honneur de la France, si profondément intéressés au sort des populations du Liban (voyez l'Annuaire précédent, p. 88).

Depuis l'engagement pris l'année dernière de faire respecter ces droits, l'état du pays avait empiré; aujourd'hui il ne s'agissait plus d'une lutte entre deux populations rivales armées l'une contre l'autre, mais des mesures prises par la Porte. Or, l'intervention de cette autorité avait produit des malheurs plus grands, des attentats plus odieux, des violations plus flagrantes de tous les sentiments d'humanité et en même temps de l'honneur et des intérêts de la France, que ne l'avait pu faire la guerre civile entre les Druses et les Maronites. Ces attentats avaient été commis, au vu et au su de tout le monde, par les troupes turques.

Tous ces malheurs, selon M. de Montalembert, pouvaient être principalement attribués à la mission d'un fonctionnaire turc, Chekib-Effendi. Or, cette mission avait été offerte aux représentants des puissances à Constantinople comme un gage de sécurité, de progrès, de paix, dans le Liban. Le désarme ment opéré par les soins de ce fonctionnaire n'avait fait que livrer mieux encore les victimes à leurs ennemis, et encore cette mesure avait-elle été exécutée de telle sorte que les populations chrétiennes y fussent seules soumises et que les

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