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de plus libéral au monde, et aujourd'hui il n'y aurait plus de rapprochements possibles ?

M. le ministre de l'intérieur déclara, en terminant, qu'un ministère exclusif serait pour le pays la perte de sa consistance et de sa considération. Un ministère mixte était seul possible, et les principes libéraux hautement professés par quelques membres de l'administration actuelle n'y seraient en aucune façon hostiles aux principes catholiques.

La question de cabinet était nettement posée. L'amendement introduit par M. Van de Weyer fut adopté par 59 voix contre 25. L'ensemble de l'Adresse fut ensuite voté par 63 voix contre 25 (22 novembre).

Mais, entre les haines du parti catholique et les défiances du parti libéral, la situation de l'administration nouvelle ne devait pas être longtemps tenable. La question de l'enseignement fut la pierre d'achoppement de M. Van de Weyer. Déjà sur ce terrain s'était opérée la coalition de 1841, fatale à M. Nothomb, et comme cet homme d'État, M. Van de Weyer allait se trouver placé dans cette dangereuse alternative, ou de découvrir ses collégues catholiques en se séparant d'eux, ou de leur enlever son appui moral en passant ouvertement dans leur parti.

Voici quelle fut l'occasion de la lutte. Les jésuites avaient obtenu le droit de diriger le college communal de Tournay, droit conféré par le bourgmestre et les échevins de la ville. Le conseil communal protesta, et l'opposition de la Chambre des représentants arracha à M. Van de Weyer la promesse d'un projet de loi tendant à résoudre le débat. La solution en était déjà écrite dans l'article 84 de la loi communale, qui classe les professeurs et les instituteurs attachés aux établissements communaux d'instruction publique dans la catégorie des employés dont la nomination appartient aux conseils. Le même article autorise implicitement, il est vrai, les conseils communaux à abandonner ces nominations au college des bourgmestres et échevins; mais le soin pris par le législateur de spécifier ce cas de

délégation prouve assez qu'il est unique, et que les bourgmestres et échevins ne peuvent pas transmettre, par une seconde délégation, à un tiers, les droits qu'ils ont reçus des conseils communaux. L'interprétation contraire bouleverserait toute l'économie de la loi, les bourgmestres et échevins n'exerçant le droit de nomination qui leur est délégué que sous la surveillance du pouvoir déléguant du conseil, surveillance impossible à l'égard de l'autorité épiscopale. La convention spéciale de Tournay ne pouvait donc être considérée que comme un prétexte, et il y avait dans la législation actuelle des moyens de réprimer de semblables compromis. Une loi nouvelle, présentée sous les auspices d'une majorité évidemment hostile à l'enseignement laïque, ne pouvait, au contraire, aboutir qu'à l'aggravation du mal, à la légalisation de l'abus.

Ce qu'il y avait de vrai, c'était le dessein de réveiller, par une discussion politique, les passions libérales que les élections de 1847 ne devaient pas trouver endormies. Ces débats auraient, en outre, pour résultat de compromettre les deux ministres libéraux MM. Van de Weyer et d'Hoffschmidt et d'enlever leur patronage au parti catholique.

Le projet présenté par M. Van de Weyer fut, en effet, exclusivement libéral. Il se réduisait à poser ce principe : « que les communes ne peuvent déléguer à un tiers l'autorité que les lois leur confèrent sur leurs établissements d'instruction moyenne, et que toute transaction contraire est nulle. »>

Accepté par M. d'Hoffschmidt, le projet de M. Van de Weyer fut repoussé par tous les membres catholiques du cabinet, qui remirent leur démission entre les mains du roi.

Quelle devait être, ou plutôt quelle pouvait être une administration appelée au pouvoir dans de semblables circonstances? Les catholiques avaient, il est vrai, une majorité incontestable dans les Chambres, mais ils étaient en minorité dans le pays. Les élections provinciales de 1844, faites par cette même catégorie de votants qui nomme les députés, et surtout les élections de 1845 pour le renouvellement de la moitié de la Cham

bre des représentants, avaient permis de constater l'opinion. En 1847, lorsque la seconde moitié des représentants et la première moitié des sénateurs seraient soumises à la réélection, et surtout en 1849, époque à laquelle les deux Chambres auraient subi un remaniement intégral, il était hors de doute que la représentation nationale serait composée en majorité dans le sens de la réaction libérale.

Entre une majorité présente acquise aux catholiques et une majorité future assurée aux libéraux, le roi proposait un cabinet mixte, type de la situation actuelle; mais les chefs du parti catholique persistaient dans leurs prétentions sur l'enseignement secondaire, prétentions qui rendaient impossible une fusion, même provisoire, entre les deux opinions, et, de leur côté, les libéraux demandaient l'accession d'un ou de plusieurs représentants du groupe ultra-libéral, dont les idées politiques excitaient de justes préventions.

Enfin, après six semaines d'essais infructueux et d'hésitations entre un ministère mixte et un ministère libéral, la crise se résolut par la formation d'un ministère catholique pur. M. le comte de Theux fut appelé au ministère de l'intérieur, en remplacement de M. de Van de Weyer; M. Deschamps, au ministère des affaires étrangères; M. Malou, au ministère des finances; M. le baron d'Anethan, à la justice; M. de Bavay, aux travaux publics, en remplacement de M. d'Hoffschmidt, et M. le général Prisse, à la guerre, en remplacement de M. le général Dupont, qui s'était retiré depuis le 27 février.

Le nouveau ministère, bien que tout provisoire, par la nature même de sa composition, offrait cependant des garanties réelles par l'habileté reconnue de son chef. M. de Theux, personnification officielle de l'ultramontanisme, avait déjà, pendant six ans, de 1834 à 1840, dirigé une administration mixte, et il s'y était fait remarquer par son adresse à soutenir les prétentions de son parti tout en réprimant ses excès. Aujourd'hui encore, mais avec des chances moins favorables, il était appelé à continuer ce rôle difficile.

Son premier soin fut de donner la mesure de ses intentions dans un projet destiné à remplacer celui de M. Van de Weyer. L'article 10 de ce projet énonçait le principe même de M. Van de Weyer; mais l'article suivant ajoutait que les colléges communaux, dont la direction passerait des conseils à l'autorité ecclésiastique, échangeraient leur titre contre celui de colléges adoptés. Sans doute, au début de la session nouvelle, cette transaction deviendrait le prétexte d'une question de cabinet.

En attendant, le ministère de Theux s'occupa, plus activement qu'il n'avait été fait jusqu'alors, des intérêts matériels du pays. Une loi des sucres qui favorisait l'extension des rapports commerciaux, la construction du canal de Schipdonck, réclamée depuis vingt ans, une convention avec la France et un traité avec la Néerlande, tels furent les résultats de ses efforts.

On a vu plus haut (voyez France, p. 305) qu'une convention commerciale avait été signée, le 13 décembre 1845, entre la France et la Belgique. Pour apprécier cet acte diplomatique au point de vue de l'intérêt belge, il peut être utile de résumer rapidement l'histoire de la Belgique depuis quelques années dans ses relations commerciales avec les deux grandes nations qui se disputent son marché, la Prusse et la France.

Le premier pas significatif de la Belgique vers une alliance commerciale avec l'un de ces deux pays avait été la convention du 16 juillet 1842. Par là le zollverein avait craint de voir le marché belge lui échapper, au moment même où les efforts tentés, depuis 1834, par le gouvernement prussien, pour isoler la Belgique de la France, semblaient couronnés de succès. En effet, la Belgique, sollicitée depuis 1834, s'était décidée, au mois d'octobre 1841, à poser elle-même les bases d'un traité de commerce, de navigation et de transit, avec l'union allemande. Les propositions de l'envoyé belge à Berlin embrassaient quatre points:

1o Une réciprocité complète pour ce qui regarde la navigation directe des navires belges et prussiens de l'un des pays vers l'autre ;

20 L'abolition réciproque absolue ou presque absolue des droits de transit, ainsi que l'absence des formalités gênantes ou onéreuses pour les opérations de commerce de transit, de l'un vers l'autre pays;

3° La condition réciproque que, dans aucun cas, les marchandises importées de la Belgique dans les États de l'association, ou exportées de ces États en Belgique, par la frontière qui sépare la Belgique et la Prusse, ainsi que les marchandises importées des États de l'association en Belgique ou exportées de la Belgique vers ces États, par ladite frontière, ne pourraient ètre soumises à des droits autres ou plus élevés que les marchandises importées dans les États de l'association (ou en Belgique), ou qui en sont exportées par toute autre voie;

4o Des concessions réciproques et équivalentes sur les droits de douane existants, relativement à quelques articles à désigner ultérieurement.

La Prusse ayant insisté pour que les objets sur lesquels devraient porter ces concessions réciproques fussent mieux spécifiés, la Belgique s'engagea plus loin encore. Dans une note du 24 mai 1842, l'envoyé belge réclamait du zollverein l'abolition du droit de sortie sur la laine brute, et une réduction notable du droit d'entrée sur les fers et les fils de lin; il offrait en retour une réduction importante sur les droits qui frappent en Belgique les vins et les soieries du zollverein.

Quelle que fut la hauteur de ces prétentions, le gouvernement prussien se préparait à soumettre les propositions de la Belgique à la délibération commune des États de l'union, quand la Belgique conclut brusquement avec la France la convention du 16 juillet 1842.

La Prusse avait en mains de puissants moyens de représailles. Les fontes belges étaient admises en franchise de droits sur les marchés du zollverein. Une prohibition pouvait enlever à la métallurgie belge un de ses plus importants débouchés. Aussi, moins de deux mois après la signature de la convention du 16 juillet, le 28 août suivant, le cabinet de Bruxelles étendait

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