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blamables en aucune façon; partout et toujours ils représentent l'essence même du commerce.

Mais, à côté de cette spéculation légitime, nécessaire, vient s'en placer une autre qui n'a aucun de ces caractères. Il y a des hommes qui, exploitant et créant quelquefois de fausses rumeurs, cherchent à amener des variations subites dans les valeurs de ce genre, cherchent à faire des victimes, rencontrent des dupes; ce sont ceux-là qu'il faut flétrir, disait M. le ministre. Mais ces bénéfices immenses dont on avait parlé avaient-ils été réalisés par de semblables manœuvres? Non; car, pour régulariser des bénéfices de plusieurs centaines de millions, if faudrait jeter à la fois sur la place une trop grande quantité d'actions, ce qui n'amènerait que des pertes. Comment done ées affaires d'actions se réalisent-elles? La plupart du temps par des marchés qui n'ont rien de sérieux, dans lesquels il n'y a pas d'achats réels, et auxquels, par conséquent, les véritables preneurs d'actions restent étrangers.

Si des hommes haut placés étaient entrés dans cés entreprises pour s'y livrer à des spéculations scandaleuses, ils ne sauraient être trop blàmés, mais s'ils y étaient entrés pour donner à ceux qui viendraient s'associer à eux la garantie qu'ils y consacreraient leur intelligence, leur temps, qu'ils y attacheraient la considération acquise par de longs services rendus au pays, alors il ne fallait que se féliciter de cette participation. C'était là l'essence même du principe d'association, la seule puissancé des États démocratiques. Mais il ne fallait pas décourager ceux qui peuvent donner la vie à ce principe d'association, et lorsque des hommes éminents se plaçaient à la tète des grandes entreprises, leur reprocher lear position, leurs richesses. «Quoi! s'écriait M. Lacave-Laplagne, vous sentez le besoin de l'esprit d'association, et vous voulez exclure de l'association tout ce qui présente soivabilité, intelligence et considération! C'est là une monstrueuse inconséquence. »

M. le ministre venait ensuite aux reproches particuliers adressés à sa conduite par M. Lherbette et par M. Grandin. Et

d'abord, il n'était pas exact qu'il eût engagé en rien les receveurs généraux à se former en compagnie; non-seulement il n'avait pris sur ce point aucune initiative, mais il n'avait pas même pénsé à l'éventualité de cette compagnie. C'est un receveur général, celui-là même qui avait été révoqué de ses fonctions, qui était venu lui proposer la formation de cette compagnie. Le désir des receveurs généraux avait été de donner par là à leur corps une situation analogue au crédit réel qu'il a dans' le pays, à la position qu'il y occupe. A ce motif très-sérieux s'en joignaient d'autres encore plus graves qui militaient en faveur de la demande. L'adjudication du chemin de fer du Nord venait d'avoir lieu, à la suite d'une fusion; cette fusion, M. le ministre l'avait considérée comme légale en soi, même comme avantageuse pour l'État, qui, ayant à livrer un travail qui devait lui coûter près de 100 millions, trouvait à placer un capital aussi considérable dans des mains aussi solvables que celles qu'offrait la compagnie du chemin de fer du Nord. Toutefois, il y avait, pour l'avenir, deux espèces de dangers dans l'exemple de cette fusion; le gouvernement, par suite de ces combinaisons, n'ayant contre les compagnies qui se présenteraient d'autre défense que celle du minimum, pouvait se trouver, à un jour donné, dans une situation telle qu'il eût à craindre, soit de ne pas fixer un minimum assez bas, et d'être ainsi entraîné à un sacrifice au profit de la compagnie et aux dépens du pays, soit de fixer un minimum que la compagnie jugerait trop bas, et d'arriver par suite à ne pas adjuger le chemin. L'autre danger existait déjà; c'était qu'alléchées par l'exemple de cette premiere fusion, d'autres compagnies se formassent en grand nombre, incapables d'arriver par elles-mêmes à l'exécution d'un travail de ce genre, mais créées uniquement pour traiter au dernier moment, on pour extorquer, par la menace d'une concurrence, des conditions avantageuses. Avoir seulement en présence deux compagnies sérieuses, solvables, prudentes, c'était pour le ministre des travaux publics une garantie suffisante pour engager sans crainte sa responsabilité, à l'effet d'éloigner toutes les

compagnies qui n'offriraient pas les mêmes avantages; c'était rendre hommage au principe de la loi, qui réclame la publicité et la concurrence; c'était organiser une lutte sérieuse, pleine de profit pour l'État. Telles avaient été les raisons de M. le mininistre des finances pour autoriser la compagnie des receveurs généraux.

M. le ministre avait, en effet, corrigé de sa propre main la circulaire rédigée à cette occasion; mais ces corrections n'avaient eu qu'un but, celui de déclarer qu'il autorisait, mais sans encourager, sans patroner l'entreprise. La compagnie formée, des souscriptions nombreuses s'étaient présentées; mais peu à peu s'était manifesté une crise à la Bourse, et les fondateurs de la compagnie avaient conçu l'appréhension que ceux qui leur avaient confié leurs intérêts ne se plaignissent s'ils prenaient à eux seuls la charge tout entière de l'entreprise. M. le ministre, lui, n'avait pas pensé de même : il avait dit à la compagnie qu'elle ne se faisait pas une assez juste idée de sa force, qu'elle n'avait besoin du concours de personne, que l'assentiment sérieux qu'elle avait rencontré dans les départements devait lui donner d'autant plus d'assurance, qu'il émanait précisément des personnes dont le concours dans la compagnie de chemins de fer est le meilleur, de celles qui, placées trop loin pour jouer à la Bourse, ne songent naturellement qu'à des opérations durables. M. le ministre avait permis à la compagnie de se joindre à un certain nombre d'autres, mais à la condition de laisser subsister toujours, ce qu'ils n'avait cessé de demander, une concurrence entre les compagnies sérieuses et prudentes. Une fusion totale, avait-il dit alors, devait rendre impossible à l'administration de prendre la défense de la compagnie à la tribune. La compagnie avait, malgré ces avis, perdu sa liberté dans des fusions partielles. L'auteur du projet était averti : cette perte de liberté ne pouvait être admise comme excuse, et la responsabilité avait dû être complète. La souscription particulière de M. le ministre de la marine avait été retirée par l'intermédiaire de M. Baudon, qui avait dû être révoqué. Cette destitution même n'était-elle

pas la preuve que le ministère n'avait absolument rien à craindre des révélations qui pouvaient avoir lieu?

M. Lepeletier d'Aulnay fit observer à M. le ministre des finances qu'il y a toujours eu immoralité et danger dans l'intervention des receveurs généraux dans les spéculations industrielles. Le savant administrateur rappelait que, en 1826, M. Casimir Périer avait blåmé le ministre des finances d'avoir eu recours à l'association des receveurs généraux pour un emprunt. En effet, leur spéculation réussit mal, et cet échec eût dû servir de leçon.

M. le ministre répondit qu'il avait toujours engagé les fonctionnaires publics et les comptables de son département à se maintenir dans les limites de leurs devoirs comme hommes publics. Ainsi il avait interdit aux receveurs particuliers la faculté de faire des opérations de banque; mais il était impossible de faire la même prohibition aux receveurs généraux, le but principal de leur institution consistant dans des opérations de ce genre. De même, il était impossible d'interdire aux receveurs généraux de s'immiscer dans d'autres opérations, notamment dans des emprunts: quand ils l'avaient fait, il en était toujours résulté un grand avantage pour l'État. Tout ce que pouvait faire le gouvernement, c'était de leur recommander de ne pas compromettre leur crédit, et de leur retirer leurs places s'ils s'écartaient des obligations qui leur avaient été tracées.

Au nom de la commission de l'Adresse, M. Vitet déclara que, tout en déplorant autant que qui que ce fût les funestes effets de l'agiotage, la commission avait dû reconnaître que les causes qui avaient produit ces regrettables effets n'étaient pas dans l'action administrative, et que, dans l'état actuel de la législation, le ministère avait fait tout ce qu'il pouvait faire. Par conséquent, la commission repoussait l'amendement.

M. Grandin ayant voulu ôter à son amendement toute portée politique, M. le ministre des travaux publics fit observer que, si l'amendement n'était pas autre chose qu'un vœu d'honnête homme, il n'y avait personne dans la Chambre qui n'eût le droit

de l'exprimer. Mais la discussion tout entière donnait une tout autre portée à la modification proposée.

L'amendement de M. Grandin fut rejeté par 209 voix contre

160.

Un incident regrettable signala ce vote: un membre, M. Ladoucette, ayant déposé une boule en faveur de l'amendement dans l'urne blanche ( on procédait au scrutin de division), de vives clameurs l'accueillirent, et une voix s'écria que M. Ladoucette avait fait lui mème partie du conseil d'administration d'une compagnie de chemin de fer (1). M. le président releva avec une juste sévérité cette odieuse atteinte portée à la liberté du vote.

«Plus la Chambre, ajouta-t-il, a attaché d'importance à l'introduction du vote public, qui met tons les députés en présence de leur conscience, en présence de leurs électeurs et en présence du pays, plus elle doit attacher d'importance à ce respect qui atteste leur liberté et maintient leur dignité. »

Par le rejet de l'amendement de M. Grandin, la Chambre avait entendu écarter la question politique, mais non pas méconnaître et encore moins couvrir de son approbation les abus auxquels avait donné lieu les adjudications de chemins de fer. Un amendement en ce sens, proposé par un des membres de la majorité, M. Darblay, et approuvé par la commission, qui en modifia les termes, fut accepté par le gouvernement et adopté par la Chambre (27 janvier).

La deuxième phrase du premier paragraphe était ainsi

conçue :

« Ces nouveaux éléments de force et de richesse nous donneront dans peu d'années les garanties que notre sécurité réclame, répandront sur toutes les parties du territoire, dans toutes les classes de la population, le travail et le bien-être, et nous fourniront les moyens de féconder notre industrie, de vivifier notre commerce et de préparer pour notre agriculture des jours plus heureux et un plus digne prix de ses laborieux efforts. »

Sur cette phrase. M. de Tracy proposait un retranchement.

(1) Le fait fut démenti le lendemain par M. Ladoucette.

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