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Sont exceptés toutefois de cette servitude les maisons, cours, jardins, parcs et enclos attenant aux habitations. Et comme il fallait bien ensuite procurer un écoulement aux eaux, sous peine, parfois, de détériorer, en les y laissant séjourner trop longtemps, le champ même que l'on a voulu fertiliser, l'article 2 dispose que « les

propriétaires des fonds inférieurs devront recevoir les <«< eaux qui s'écoulent des terrains ainsi arrosés, sauf « l'indemnité qui pourra leur être due. »

La loi fait d'ailleurs ici la même exception que dans l'article 1, en ce qui concerne les maisons, cours, jardins et enclos attenant aux habitations.

Aux termes de l'article 3, la même faculté de passage sur les fonds intermédiaires peut être accordée aux propriétaires d'un terrain submergé en tout ou en partie, à l'effet de procurer aux eaux nuisibles leur écoulement.

Mais l'écoulement des eaux ne résultant pas ici de la situation naturelle des lieux, les propriétaires inférieurs peuvent demander une indemnité, à raison du dommage qui en résulterait pour leurs fonds.

Toutefois MM. Ducaurroy, Bonnier et Roustaing vont trop loin, suivant nous, en paraissant supposer qu'ils peuvent exiger, dans tous les cas, cette indemnité (t. II, n° 265).

Il résulte, au contraire, des termes de l'article 2, dont la rédaction est, sous ce rapport, très-différente de celle de l'article 1, que l'indemnité pourra seulement être due, c'est-à-dire qu'elle ne sera due aux propriétaires inférieurs qu'autant que l'écoulement des eaux sera dommageable à leurs fonds; le rapporteur de la commission de la Chambre des députés (M. Dalloz) l'a formellement déclaré ainsi (Moniteur du 30 juin 1845).

De l'article 2 de cette loi, Demante a encore conclu que « le fait d'écoulement de ces eaux, sans accord ou jugement préalable, pourrait n'être pas considéré comme un trouble à la possession des propriétaires inférieurs, mais

comme l'usage légitime d'un droit. » Cours analyt., t. II, n° 498 bis, IV.)

En effet, l'article paraît imposer dans ce cas directement et comme une sorte de servitude légale, aux propriétaires des fonds inférieurs, l'obligation de recevoir les eaux, sauf à réclamer, s'il y a lieu, une indemnité pour le dommage qui en résulterait (voy. infra, les articles 682 à 685).

32.- 2o Examinons maintenant quels sont les droits et les obligations soit des propriétaires inférieurs, soit des propriétaires supérieurs.

Et d'abord, en ce qui concerne les propriétaires inférieurs, l'article 640 déclare que leurs fonds sont assujettis à recevoir les eaux, etc.

De là résultent trois conséquences :

1° Ils doivent évidemment recevoir aussi les terres, les sables, les cailloux, roches ou matériaux quelconques que les eaux entraînent avec elles;

Comme aussi, bien entendu, ils profitent de la terre végétale, de l'humus, mêlée aux eaux, qui peut descendre des fonds supérieurs, pinguedo terræ, disait Cœpolla (tract. 11, cap. iv, no 71; voy. toutefois, infra, n° 58).

2o Les propriétaires inférieurs ne peuvent demander aucune indemnité aux propriétaires supérieurs, quels que soient l'incommodité et le dommage qui en résult raient pour leurs fonds, pour leurs plantations ou pour leurs récoltes quod si natura aqua noceret, ea actione non continetur (L. 1, § 1, ff. de aqua et aquæ; arg. de l'article 1148).

3o Ils ne peuvent point élever de digue qui empêche l'écoulement des eaux (art. 640, 2o alinéa); c'est-à-dire, plus généralement, qu'ils ne peuvent faire aucun travail, ni construction, ni plantation d'arbres, d'arbustes ou de pieux, etc., dont le résultat serait de faire refluer les eaux sur l'héritage supérieur (L. 1, § 6 et 13, ff. de aqua et aquæ).

Pardessus distingue toutefois, à cet égard, si les eaux coulent par un ou plusieurs points fixes et déterminés, ou si elles se répandent indifféremment et sans lits particuliers, sur toute la surface du fonds inférieur; et dans ce dernier cas, le savant auteur enseigne que le propriétaire inférieur peut faire ce qu'il croit utile pour défendre son fonds contre les ravages des eaux, combler les ravins, par exemple, à mesure qu'ils se forment, et faire des ouvrages qui en préviennent de nouveaux, pourvu qu'ils n'aient pas l'effet de déplacer l'écoulement naturel des eaux, de manière à le reporter entièrement sur l'héritage supérieur (t. I, no 85 et 92).

Sans doute, le propriétaire inférieur a le droit de faire tout ce qu'il croit utile pour rendre l'écoulement des eaux le moins dommageable possible à son fonds; il peut donc combler les ravins que l'eau a creusés, mais nous croyons qu'il faut toujours que les ouvrages par lui faits ne changent pas la situation des lieux et ne repoussent en aucune façon, ni entièrement, ni en partie, les eaux sur les fonds supérieurs (arg. de l'article 701; comp. Cass., 4 juill. 1860, Sancy, Dev., 1861, I, 177; Daviel, t. III, no 761).

33. Lorsque le lit, fossé ou ravin, dans lequel les eaux coulent sur le fonds inférieur, se trouve comblé, de manière qu'elles refluent sur le fonds supérieur, le propriétaire inférieur est-il tenu de le curer?

L'affirmative est incontestable, lorsque l'encombrement est le résultat, direct ou indirect, d'un ouvrage quelconque exécuté par lui; en un mot, lorsqu'il provient de son fait (Cass., 8 mai 1832, Tilly, D., 1832, I, 76; supra, no 32).

Mais la question divise, au contraire, les jurisconsultes, lorsqu'il s'agit d'un envasement qui résulte de causes naturelles, produites par la succession du temps, telles que éboulements de terres, amoncellement de graviers, ou d'un encombrement accidentel quel

conque, qui ne soit pas imputable au propriétaire inférieur.

Pardessus est d'avis que les propriétaires inférieurs peuvent, même dans ce cas, être contraints de faire le curage, chacun dans l'étendue de son domaine, par le motif surtout que les servitudes naturelles sont des lois de voisinage et de nécessité, régies par des principes différents des servitudes conventionnelles, et auxquelles l'article 698 n'est pas applicable (t. I, n° 92).

Cette doctrine ne nous paraît pas fondée.

Il est vrai que la loi du 14 floréal an xi met à la charge des riverains le curage des rivières non navigables; mais nous avons déjà remarqué que notre article 640 ne s'occupe pas, en réalité, de ces sortes de cours d'eau (supra, n° 30); nous ne dirons donc pas, avec Daviel, que l'obligation du curage, imposée aux riverains des rivières non navigables, est une conséquence de la servitude naturelle consacrée par l'article 640 (t. III, n° 718 et 728); car cette proposition nous paraîtrait compromettante pour la doctrine, que Daviel lui-même soutient ensuite, et qui reconnaît que l'article 640 n'oblige pas le propriétaire inférieur à curer le ravin ou le fossé servant d'écoulement aux eaux pluviales qui descendent des fonds supérieurs (t. III, no 728 bis). Nous dirons seulement que si les bordiers des rivières navigables sont obligés de curer le lit du cours d'eau, c'est en vertu de la loi du 14 floréal an xi, et non pas en vertu de l'article 640 (comp. Caen, 26 avril 1837, Janson, Rec. de Caen, t. I, p. 378).

L'article 640, qui s'applique surtout aux eaux pluviales et de source, ne met, au contraire, aucune obligation active à la charge du propriétaire inférieur; il se borne à déclarer qu'il ne doit point élever de digue qui empêche l'écoulement; donc le propriétaire peut invoquer la règle générale, d'après laquelle nul n'est tenu de faire un travail quelconque sur son fonds, lorsqu'aucun autre texte de loi ne l'y oblige; voilà notre motif essentiel; nous

pourrions invoquer aussi l'article 698, d'après lequel les ouvrages nécessaires à l'exercice de la servitude doivent être faits par le propriétaire du fonds dominant, mais quoique cet argument soit certes très-puissant, ce n'est pourtant, nous en convenons, qu'un argument d'analogie; car il nous paraît aussi que les servitudes dites naturelles ou légales constituent, en réalité, des obligations de voisinage, auxquelles il ne serait pas toujours sûr d'appliquer les règles concernant les servitudes véritables, établies par le fait de l'homme.

Concluons donc que le propriétaire inférieur n'est pas tenu de faire le curage, ni aucun travail, afin de procurer l'écoulement des eaux.

La seule obligation qui résulte pour lui, à cet égard, virtuellement de l'article 640, obligation d'ailleurs trèsconforme à l'équité et aux nécessités du voisinage, c'est de permettre l'entrée de son fonds au propriétaire supérieur, pour qu'il fasse les travaux nécessaires, à ses propres frais, et à la charge encore, bien entendu, d'indemniser le propriétaire inférieur du dommage qui en résulterait pour lui (comp. Toullier, t. XI, no 327; Zachariæ, t. II, p. 34; infra, no 44). C'est tout à fait en ce sens que Paul a résolu notre question en n'imposant au propriétaire inférieur que cette alternative: ut aut ipse purgaret, aut te pateretur in pristinum statum eam redigere (L. 2, § 1, ff. de aqua et aquæ).

Notre conclusion paraît être également admise, surtout en ce qui concerne les eaux pluviales; et Pardessus luimême, dans une note insérée à la fin de son second volume (note B, p. 362), se range très-nettement à cette doctrine.

Nous croyons d'ailleurs qu'il faut l'étendre aussi aux eaux de source, en tant qu'il s'agit de l'application de l'article 640; car ce n'est qu'en vertu de la loi du 14 floréal an xi, que le curage pourrait être mis à la charge d'un riverain; et s'il arrivait que le curage d'un ruisseau

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