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esprit est celle que Mirabeau a entrevue, que Lafayette et Madame de Staël ont ouvertement adoptée et vainement présentée à leurs contemporains; il y a là une forte présomption qu'elle se rattache à la vraie tradition des principes de 1789. Puisse l'expérience souvent amère de ceux qui eurent l'honneur de les proclamer et le malheur de les renier en tant de circonstances éclairer notre route. Puissé-je avoir dégagé la leçon salutaire qui ressort de notre grande Révolution et contribuer ainsi pour ma faible part à diriger du bon côté ce réveil de l'esprit public en France auquel personne ne s'associe plus que moi.

Paris, 10 février 1864.

EDMOND DE PRESSENSÉ.

L'ÉGLISE

ET L'A

RÉVOLUTION FRANÇAISE

HISTOIRE DES RELATIONS DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT

DE 1789 A 1802

INTRODUCTION

Situation de l'Eglise de France à la veille de la Révolution. - Etat de l'opinion sur la liberté de conscience et l'organisation du culte.

Je désire retracer l'histoire des relations de l'Eglise et de l'Etat sous la Révolution française, depuis le moment où celle-ci éclate sur la France et l'Europe ivre de jeunesse, d'enthousiasme et d'inexpériente ardeur pour tout réformer, jusqu'au jour où elle semble organisée pour jamais dans la force et dans la gloire contre les principes essentiels qui l'avaient inspirée à ses débuts. On a proclamé Napoléon l'héritier de la Révolution française, et cependant il n'a dominé la France que quand le grand et généreux esprit de 1789 avait bien décidément cessé de souffler. Parce qu'il ne portait pas dans ses veines le sang des vieilles races, parce qu'il n'a pas ressuscité les priviléges de caste, on a voulu voir en lui le représentant armé de cette Révolution et son missionnaire victorieux. On a prétendu qu'il l'avait fait entrer au galop de son cheval de bataille dans les capitales de l'Europe absolutiste, et l'on oublie que la première capitale dans laquelle il a pénétré en général tout-puissant, c'est Paris, Paris se livrant au pouvoir absolu rajeuni par la victoire, et reniant ainsi tout ce qui l'avait

LA QUESTION RELIGIEUSE ET LA RÉVOLUTION.

soulevé et passionné dix ans plus tôt. Or, c'était selon moi renier la Révolution française elle-même dans ce qu'elle a de fondamental, à savoir dans ce grand principe de liberté qui, quoi qu'en disent les sophistes à gage toujours prêts à colorer et à farder. la servitude, est le principe même de 1789. L'égalité n'en est que la conséquence. Sitôt qu'elle est détachée du tronc vigoureux qui l'a produite, il arrive de deux choses l'une ou bien elle se dessèche pour périr, car le privilége renaît le plus souvent de l'arbitraire, ou bien il n'en subsiste qu'une vaine apparence, et on n'a plus qu'un monceau de feuilles sèches roulées au gré du vent qui souffle, pour en suivre les mobiles caprices. Cet avortement momentané de l'un des plus beaux mouvements humains demeure le problème le plus digne d'intérêt de l'histoire contemporaine. Ce problème a été traité dans son ensemble par des esprits éminents. Mon ambition est moins vaste; je voudrais m'attacher uniquement à l'un des côtés de cette instructive et douloureuse histoire, et m'en tenir à ce qui se rapporte aux relations de l'Eglise et de l'Etat sous la Révolution française. Marquer les progrès accomplis à l'aurore de l'ère nouvelle, et signaler sans détour les fautes commises, indiquer la pente fatale qui devait peu à peu amener à l'asservissement régulier de la société religieuse, et sans excuser les derniers empiétements d'un pouvoir qui ne savait s'arrêter devant aucune limite, rechercher dans l'histoire antérieure ce qui les préparait et les amenait presque nécessairement: tel est mon dessein. Il n'est pas peut-être de plus sûr moyen de comprendre les cruelles déceptions dont nous souffrons encore, car j'ai acquis l'intime conviction que rien n'a plus hâté la perte de la liberté que les erreurs de nos pères sur la manière d'organiser la religion en France. Une étude attentive de l'histoire de la Révolution française démontre que ce qui a embourbé le char si bien lancé d'abord, ce qui plus tard a commencé à le précipiter dans la boue sanglante du terrorisme, c'est précisément la question religieuse, ou, pour mieux dire, la question religieuse mal comprise et résolue hâtivement.

Et cependant d'immortelles vérités avaient été proclamées, des

LA QUESTION RELIGIEUSE ET LA RÉVOLUTION.

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droits sacrés avaient été reconnus par la Révolution française. Mais il a suffi qu'elle touchât à la conscience pour soulever la plus invincible résistance; c'est cette résistance qui en l'exaspérant la fit sortir de la voie des innovations fécondes et durables; c'est ce qui, en irritant son fier et redoutable génie, fit oublier ses bienfaits pour ses fureurs. Ce dix-huitième siècle, qui semblait si désabusé des choses divines, fut, en définitive, troublé par la question religieuse plus que par aucune autre. Il est bon de le reconnaître à l'honneur de l'humanité; c'est la foi religieuse, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus désintéressé au monde, qui la remue le plus profondément et la soulève le plus fortement. Malgré les apparences, la passion de ce qui est en haut, pour parler le langage hardi d'un apôtre, l'enflamme bien plus que la passion de ce qui est en bas. De là, à tous les points de vue, la suprême importance de cet ordre de questions, même quand elles ne touchent pas au fond de la religion, mais seulement à son organisation. Reconnaissons d'ailleurs que la question du fond se mêle promptement à la question de forme. Défendre l'indépendance complète de la conscience religieuse, est l'un des premiers devoirs de la religion.

Aujourd'hui, le problème abordé en 1789 est encore devant nous. Le coup d'autorité du concordat n'a rien tranché. Il n'a fait que compliquer un peu plus la situation comme tout ce qui vient de l'arbitraire. Rappelons-nous qu'en cette matière si délicate, nos fautes et nos erreurs seraient plus graves que celles de nos pères, parce que nous ne saurions les compenser par des réformes aussi éclatantes, car en fait de tolérance ils avaient tout dit dès le premier jour, et nous vivons de leurs conquêtes, qu'aucune réaction ne saurait compromettre, tant elles sont fondées sur le droit éternel.

Mais sachons unir une sage et impartiale critique à l'admiration qu'ils nous inspirent, et tout en mettant en lumière les grandes vérités proclamées ou entrevues par eux sur ce point comme sur tous les autres, signalons franchement ce que leur entreprise eut de faux et d'inique. Nous le pouvons d'autant mieux, qu'en ceci ils furent bien plus des conservateurs timides

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