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" et par ses devoirs même, est conservateur (1). » Enfin, en abordant une sphère plus intime, nous trouverions, à travers les occupations forcées, des réveries, des lectures, des lettres familières, le goût de la campagne (2), le sentiment de la nature, l'amour de la retraite, la passion des livres, la douce vie de famille, la faculté d'aimer les petits bonheurs, qui est un des secrets de la vie humaine, en toute chose, et sans y rien perdre, cette modération et cette bienveillance qui suffisent à nourrir les esprits bien faits, à soutenir les caractères honnêtes.

Telle est, en peu de mots, l'histoire de ces dix années et au point de vue général, de sa vie entière. M. Fabvier, si facile aux impressions extérieures, souvent inégal et divers dans les caprices innocents de son humeur, et, dans les fantaisies charmantes de son esprit, resta toujours le même par la bonté du cœur, et, s'il est permis aux jugements humains de le dire, par la pureté des intentions. Pour faire vivre les institutions du monde, il faut punir avec ménagement et pardonner avec mesure. Dieu s'est réservé la terreur dans la justice et l'infini dans la miséricorde.

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De tous les discours de M. Fabvier, un seul, le dis

(1) Discours de rentrée, 1835.

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La plupart des vérités ont besoin d'un symbole ou d'une personnification, et l'immuabilité du droit est rendue plus sensible par

» l'inamovibilité du juge.

(2) Discours de rentrée, 1839, page 10 et 11.

Id.

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cours de rentrée de 1839, a été imprimé. Le magistrat dut obtempérer au vœu de ses collègues ; puis, par une sorte d'accommodement de conscience, il en déroba à la publicité presque tous les exemplaires. On le poursuit en croyant l'atteindre : il s'enveloppe et disparait dans son humilité; et pourtant, la noblesse du talent n'a-t-elle pas aussi ses devoirs ? N'est-ce pas un tort de supprimer ses leçons et ses exemples? Des admirateurs de ce talent si rare, des amis dévoués à sa personne et loyalement infidèles envers sa modestie, ont recueilli quelques fragments de ses improvisations. L'improvisation, c'est la véritable éloquence, celle qui subjugue et qui entraîne, succès et gloire d'un jour qui suit (il faut bien le reconnaître, et l'observation n'est pas nouvelle), le cours ra◄ pide des faits contemporains (1). Dans ces fragments et dans quelques préparations autographes, assez incomplètes, on le reconnait parfaitement, sans le retrouver tout entier. En lui, le travail de la parole n'a jamais compromis la netteté des idées; la finesse n'en exclut pas la profondeur; le trait n'en faussait point la sagesse ; et par cette aptitude singulière qui appartient au véri– table orateur, le mouvement instantané de ses impressions donnait souvent des formes mieux arrêtées et des couleurs plus vives aux inspirations écrites. C'est ainst que, dans un beau discours de rentrée, en 1832, il sa

(1) Eloquentia...... maximè........... præsenti fructu laudis opinionisque ducitur. Quintil., Inst., Orat., X, 7.

lua d'un adieu fraternel son ancien confrère, son contemporain, son émule, son ami, M. Bresson (1), nommé Procureur-général à Metz, qui l'avait précédé dans les honneurs de la magistrature, et qui devait lui survivre dans les épreuves du monde, pour connaitre, hélas! de plus amères douleurs, où trouverai-je, moi, le lan"gage qui exprime dignement l'admirable accord d'un " talent si élevé et si pur, et d'un caractère aussi pur et " aussi élevé que le talent? Allez, orateur, magistrat,

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homme en tout excellent; nos regrets et nos vœux "vous suivent; mais votre nom demeure ici, patrimoine " d'illustration que se partagent à l'envi cette magis»trature et ce barreau (2). " Conservons, Messieurs,

(1) M. Bresson. M. Fabvier, par M. Salmon.

Le Droit, 11 octobre 1840; Affiches de la Meuse, 50 mars 1844. (2) Ces citations sont empruntées au manuscrit communiqué par M. le Conseiller Salmon, et le discours de M. le Procureur-général fut à peu près sténographié à l'audience. Un texte autographe qui est entre les mains de M. le conseiller Fabvier présente quelques variantes. Ce rapprochement peut offrir de l'intérêt.

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Quel langage ne resterait au-dessous de l'admirable accord...... Allez, grand orateur, digne magistrat, homme en » tout excellent, nos regrets et nos vœux vous accompagnent; mais » votre nom restera comme un patrimoine d'illustration insépa>> rable. (Les mots qui suivent sont rayés la fin de la phrase a été improvisée à l'audience.)

Puis, à la suite du beau passage sur les amitiés fraternelles du Barreau. Aussi quel homme plus digne d'être honoré que celui de vos égaux, que vos suffrages annuellement répétés place.....» (La phrase et le mot même ne sont pas finis.) Le manuscrit de M. Salmon continue ainsi : Placent à votre tète, qui prolonge ses

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dùssent ces simples lignes effacer les pages plus longues qu'une autre main a laborieusement écrites, conservons dans nos meilleurs souvenirs ces magnifiques adieux, et ce portrait de M. Bresson, tracé de la main de M. Fabvier. Quand le hasard rapproche deux belles âmes, on devrait dire, non pas qu'elles se rencontrent, mais qu'elles se retrouvent. Tous les honnêtes gens semblent s'être connus dans un monde meilleur : ils sauveraient le nôtre, s'ils pouvaient réussir à s'entendre. Il dit, en parlant d'un autre de ses confrères, alors båtonnier de l'Ordre et Maire de Nancy, M. Moreau,

» heures pour multiplier ses devoirs, qui se délasse des luttes du ⚫ Barreau en veillant pour l'ordre et pour la sûreté publique, et qui > semble avoir pris pour devise le patriotisme et l'emploi du temps. » Historien, moraliste ou poëte, qui ne voudrait avoir écrit cette belle et charmante pensée !

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• La civilisation ressemble au moissonneur attentif qui ne dédaigne pas de retourner en arrière, et d'enrichir sa gerbe des épis

• qu'avait négligés son impatience trop hâtive.

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(Manuscrit de M. Fabvier.)

» La vraie civilisation ressemble au moissonneur avare qui ne dédaigne pas de retourner sur ses pas pour enrichir sa gerbe des épis qu'il avait négligés dans sa marche trop hâtive.

(Manuscrit de M. Salmon.)

Et qui ne serait frappé de cet autre passage:

» Il est vrai qu'à la surface de cette terre ingénieuse et passionnée s'agitent des théories aventureuses, des désirs vagues et immo

dérés, une turbulente impatience du joug de l'autorité; et des

» esprits inquiets se sont surpris à redouter pour l'édifice social,

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» l'étrange naufrage de ce navire qui, lancé dans une mer inconnue,

» périt en passant sur un rocher d'aimant. Mais ces apparences sont

» éphémères. Tenues sine corpore vitas!.

❝ qu'il prolonge ses heures pour multiplier ses devoirs, » et qu'il semble avoir pris pour devise, le patriotisme " et l'emploi du temps (1). "

Pour la dignité de la justice, M. Fabvier n'avait rien à apprendre. Il en fut toujours singulièrement jaloux. Ses confidents les plus intimes gardent seuls le souvenir de l'émotion que lui fit éprouver, dans sa carrière d'avocat, après une terrible affaire, l'une de ces parodies funèbres qui, Dieu merci, tombent désormais en désuétude, une complainte en un mot, scandale rétrospectif, lugubre divertissement de la multitude naguère empressée et palpitante aux terreurs de l'échafaud. Sous cette vive impression, il écrivit une lettre à l'auteur; il fit jaillir de sa plume des reproches éloquents, des observations profondes..... puis, il garda sa lettre sa colère n'avait pas de rancune; ce jour n'eut pas de lendemain.

En administration, M. Fabvier inclinait doucement sa volonté aux conseils, et cherchait peut-être un peu trop au dehors ce qu'il devait trouver en lui, indiscret à l'occasion, si, par sa franchise même, ses scrupules, ses incertitudes, il n'eût intéressé au secret des affaires la conscience d'autrui. Il accomplissait d'ailleurs tous ses devoirs sans crainte et en pleine liberté d'action; mais il n'aimait guère à s'emprisonner dans les affaires du métier. A qui voit les grandes lignes d'un coup d'œil

(1) Voir la note 1, page LXXXVII.

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