Page images
PDF
EPUB

l'installation du Conseil des prises en France. Aux cinq points déterminés par la première déclaration, elle ajoute la disposition suivante concernant les convois : « Il suffit que l'officier qui commande un ou plusieurs vaisseaux de guerre convoyant des bâtiments marchands, déclare que son convoi n'a pas de contrebande pour qu'il ne s'y fasse aucune visite.» (Art. 3.)

On sait que le gouvernement russe initiateur des deux ligues de neutralité

le puissant

ne demeura

pas, cette fois encore, complètement fidèle aux principes proclamés par lui. Ces défaillances n'enlèvent pas aux grands actes diplomatiques de 1780 et de 1800 leur mérite; elles n'ont pas détruit leur influence sur l'évolution du droit des neutres. Ce qui donne à ces actes une importance capitale, c'est qu'ils sont le signe d'un esprit nouveau, dont le souffle émancipateur a passé sur la communauté internationale. Les rapports entre belligérants et non-belligérants sont désormais orientés aux réformes nécessaires, et ceux-là même d'entre les États qui n'adhéreront pas aux principes de la neutralité armée devront bien pratiquement en tenir compte.

Certes, le traité anglo-russe du 17 juin 1801 auquel le Danemark et la Suède donnèrent leur adhésion marque, à plus d'un égard, une déviation des principes consacrés par les pactes de 1780 et de 1800; mais il ne laisse pas de renfermer une grande part de dispositions transactionnelles libérales, comme celles qui concernent le commerce colonial, le cabotage, la réglementation de la visite et la limitation de la contrebande de guerre. Cette convention est plus remarquable encore peut-être à un autre point de vue. Renonçant à une tactique qui consistait à éviter tout engagement précis

pour ne relever que d'elle-même en toute circonstance, l'Angleterre semble consentir enfin à rompre avec une politique traditionnelle pour se lier par des dispositions nettes, impliquant de sérieuses et définitives concessions. Cette Puissance ne devait pas tarder d'ailleurs à faire une expérience de nature à ébranler un peu son attachement à une politique séculairement vexatoire. L'on sait les mesures draconiennes prises par Napoléon dans le décret de Berlin du 21 novembre 1806, comme représailles des prétentions exorbitantes de l'Angleterre : les Iles Britanniques déclarées bloquées; toute relation commerciale avec elles rompue; toute marchandise de provenance anglaise confisquée; nul accès dans les ports de la France ou de ses alliés pour les navires venant d'Angleterre et de ses colonies, et la confiscation en perspective pour ceux qui cherchaient à éluder cette prescription; tout sujet britannique arrêté par les troupes françaises ou alliées considéré comme prisonnier de guerre; toute correspondance expédiée par la poste à un Anglais ou à une personne demeurant en Angleterre, interceptée. Ces rigueurs, que s'efforcèrent d'aggraver encore le décret de Milan du 17 décembre 1807 et le décret de Fontainebleau du 19 octobre 1810, eurent au moins pour résultat de faire comprendre à la nation anglaise que sa situation privilégiée comme puissance insulaire et maritime ne la mettait pas à l'abri de procédés hostiles dommageables à son commerce. Et l'on peut penser que cette expérience ne fut pas complètement perdue pour l'avenir.

Le traité du 17 juin 1801 n'eut pas un sort heureux. Il ne pouvait, au fond, satisfaire les neutres dont il restreignait les droits la Russie le dénonça en 1807

pour proclamer de nouveau « la neutralité armée, ce monument de la sagesse de l'impératrice Catherine ». L'Angleterre publia de son côté une contre-déclaration proclamant <«<les principes du droit maritime contre lesquels était dirigée la neutralité armée, sous les auspices de l'impératrice Catherine II ».

II. L'affranchissement des colonies transatlantiques et l'établissement d'un grand État neutre en Amérique. A côté des associations de neutralité armée, il faut placer parmi les faits qui ont servi le plus heureusement la cause du progrès du droit des neutres à cette époque, l'affranchissement des grandes colonies transatlantiques. L'esprit nouveau qui s'était si énergiquement accusé dans la vieille Europe ne pouvait manquer d'animer la jeune Amérique. Entre les États-Unis récemment émancipés de la domination anglaise, épris d'indépendance, recherchant la paix comme une nécessité pour leur développement intérieur, dégagés des controverses et des vieux préjugés européens, peu désireux de se mêler aux querelles de par delà, entre cette grande république, jeune et forte, mais pacifique, et les tenants européens de la neutralité, la solidarité de sentiments, d'aspirations, d'intérêts, d'opposition à un même adversaire, existait en quelque sorte sur toute la ligne.

La tendance du nouvel État, qui s'était manifestée dès le premier traité conclu avec la France pour obtenir son concours dans la lutte contre l'Angleterre (1), s'accuse

(1) Voici, en effet, comment s'exprime l'article 23 du traité du 6 février 1778: « Les bâtiments libres assureront également la liberté des marchandises et l'on jugera libres toutes les choses qui se trou

énergiquement par l'accession de l'Union à la Ligue européenne de 1780. Elle se développe dans la suite d'une manière propre et autonome. Demeurés neutres pendant les guerres qui déchirèrent l'Europe à cette époque, les États-Unis concoururent dans une mesure considérable, en dépit de quelques défaillances, à l'évolution d'une neutralité nettement juridique, émancipée du joug des belligérants, impartiale envers chacun d'eux. Il faut rappeler ici la proclamation solennelle de neutralité faite par le grand Washington, le 22 avril 1793. Signalons encore les règlements de 1793 et le « Foreign Enlistment Act» de 1794: ils constituèrent le régime le plus parfait de l'époque, surtout en ce qui concerne la détermination des devoirs des neutres. Ils ont été appliqués jusqu'à la promulgation du «< Neutrality Act » de 1818, encore en vigueur, et dont voici les principales dispositions :

1° Il est défendu à tout citoyen des États-Unis d'accepter ou d'exercer aucune commission qui ait pour objet l'accomplissement d'actes hostiles contre une nation

amie;

2o Tout enrôlement à bord d'un navire de guerre ou

veront à bord des navires appartenant aux citoyens des parties contractantes, nonobstant que la cargaison ou partie de celle-ci appartienne aux ennemis d'une des deux parties susdites. » Voy. PASQUALE FIORE, Nouveau droit international public, 2e édition, trad. par Antoine, t. III, p. 398. En pratique, les États-Unis furent loin d'être irréprochables et l'on sait que c'est la conduite violente des armateurs «< insurgents >> qui en 1778 et en 1779 servit de prétexte à Catherine II pour neutraliser les mers du Nord. FAUCHILLE, La diplomatie française et la Ligue des neutres de 1780, p. 393.

d'un corsaire étranger sera considéré comme un acte criminel;

3o Il en sera de même de l'action d'équiper ou d'armer un navire destiné au service d'un pays étranger, dans le but de prendre part à des hostilités contre une nation en paix avec les États-Unis ;

4o Toute infraction à cet égard, comme toute commission donnée à un bâtiment pour agir dans le même but, donnera lieu à la confiscation du navire, des armes, des provisions, etc.;

5o Sera considéré comme délictueux, le fait, de la part de citoyens des États-Unis, d'augmenter la force d'un navire de guerre ou d'un corsaire quelconque étranger, dont le gouvernement est en guerre contre un tiers pays en paix avec les États-Unis ;

6o Il en sera de même de tous ceux qui, dans les limites du territoire de l'Union, organiseront une expédition militaire contre une nation amie quelconque ;

7° Les tribunaux de district seront compétents pour statuer sur toute demande concernant des captures faites à la distance d'une lieue marine des côtes de la République;

8o Le Président est autorisé à employer les forces de terre et de mer qu'il jugera nécessaires pour mettre obstacle à toute expédition hostile;

9o Il aura également le droit de faire usage de ces forces contre les bâtiments qui refuseront de s'éloigner des ports de l'Union;

10° Les citoyens des États-Unis, propriétaires, armateurs ou consignataires de navires armés en guerre et prêts à mettre à la voile, devront fournir une caution.

« PreviousContinue »