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§ 3. La neutralisation d'États désarmės.

A côté des États neutres à titre permanent, les traités internationaux consacrent l'existence de types d'État d'un caractère plus artificiel : les États neutralisés et désarmés. Conventionnellement dépouillés, non seulement de force militaire offensive, mais de moyens défensifs efficaces contre les attaques du dehors, la question de la participation ou de la non-participation aux guerres des autres États se ramène, pour eux, moins à l'obligation juridique d'y demeurer étrangers qu'à l'impossibilité matérielle d'y figurer. L'indépendance de ces États est non seulement tempérée par une option obligatoire dans un sens pacifique entre l'immixtion ou la non-immixtion dans les hostilités, elle est gravement atteinte et comme blessée par l'impuissance radicale à laquelle ils sont condamnés en ce qui concerne un point capital: la sécurité extérieure du pays.

I. Neutralité luxembourgeoise. - Assise sur les débris d'une forteresse qui ne peut se relever, ne possédant de troupes que le nombre nécessaire au service de sûreté intérieure, voici le type de la neutralité désarmée placée sous la garantie collective des Puissances: c'est la neutralité luxembourgeoise (1). Le traité de Londres du 11 mai 1867 est son titre d'existence.

L'article 2 de ce traité s'exprime en ces termes : « Le grand-duché de Luxembourg, dans les limites déterminées par l'acte annexé aux traités du 19 avril 1839, sous la garantie des Cours d'Autriche, de la Grande-Bretagne,

(1) Voy. la remarquable étude de M. EYSCHEN, Das Staatrecht des Grossherzogthums Luxemburg.

de Prusse et de Russie, formera désormais un État perpétuellement neutre. Il sera tenu d'observer cette même neutralité envers tous les autres États.

>> Les Hautes Parties contractantes s'engagent à respecter le principe de neutralité stipulé par le présent article. Ce principe est et demeure placé sous la sanction de la garantie collective des Puissances signataires du présent traité, à l'exception de la Belgique, qui est elle-même un État neutre. >>

L'article 3 est ainsi conçu: « Le grand-duché de Luxembourg étant neutralisé aux termes de l'article précédent, le maintien ou l'établissement de places fortes sur son territoire devient sans nécessité comme sans objet.

>> En conséquence, il est convenu d'un commun accord que la ville de Luxembourg, considérée par le passé, sous le rapport militaire, comme forteresse fédérale, cessera d'être une ville fortifiée.

» S. M. le Roi Grand-Duc se réserve d'entretenir dans cette ville le nombre de troupes nécessaires pour y veiller au maintien du bon ordre. »

L'article 4 règle l'évacuation de la place de Luxembourg par la garnison prussienne, et l'article 6, la démolition de la forteresse, avec promesse faite par le GrandDuc «< que les forteresses de la ville de Luxembourg ne seront pas rétablies à l'avenir et qu'il n'y sera maintenu ni créé aucun établissement militaire ».

II. Neutralité samoane. La Conférence qui a réuni à Berlin, du 29 avril au 14 juin 1889, les plénipotentiaires de l'Allemagne, des États-Unis et de la GrandeBretagne pour régler de commun accord les affaires des

Iles Samoa, a donné naissance à un type spécial, circonscrit et déprimé, de neutralité, recélant un protectorat collectif. Aux termes de l'article 1er de l'acte final de cette Conférence, « il est déclaré que les Iles Samoa sont un territoire neutre dans lequel les citoyens et les sujets des trois Puissances jouissent de l'égalité de droit quant à la résidence, au commerce et à la protection personnelle. Les trois Puissances reconnaissent l'indépendance du gouvernement des Iles... Aucune des trois Puissances n'exercera un contrôle séparé sur les Iles et sur leur gouvernement. >> L'indépendance des Iles Samoa est d'ailleurs toute relative. Les trois Puissances interviennent dans la composition de la Cour de justice. Elles assument le rétablissement de l'ordre en cas de troubles. L'introduction d'armes et de munitions de guerre est interdite aux particuliers et le gouvernement luimême ne peut en introduire que dans la mesure nécessaire à sa propre sécurité et à la conservation de l'ordre. Les traités antérieurs avec les trois Puissances ne sont modifiés qu'en tant qu'ils sont inconciliables avec l'Acte de Berlin (1).

Au fond, les mots « territoire neutre » ont ici une signification très spéciale et semblent exclure surtout la prépondérance d'une des trois Puissances sur le territoire, en consacrant, au profit de leurs nationaux, le régime de l'égalité de droits et en interdisant à chacune d'elles d'y commencer ou d'y transporter la guerre.

(1) Voy. MARTENS, Nouveau recueil général de traités, continué par STOERK, série II, t. XV, p. 571; t. XVI, p. 339

III. Neutralité cracovienne.

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Le système de la neutralité permanente a encore reçu, durant ce siècle, l'application suivante, qu'il faut rappeler. Elle concerne la république de Cracovie et résulte de l'Acte final du Congrès de Vienne de 1815, articles 6, 8 et 9. Cracovie a cessé d'être neutre par incorporation à l'Autriche à la suite d'un accord entre les États protecteurs, en 1846 (1).

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La neutralisation a été appliquée par des actes internationaux, non seulement à des Etats, mais à des portions de territoire au sein des États. Cette neutralisation porte, à proprement parler, sur le sol et n'affecte directement ni le souverain territorial ni la population. Son économie

(1) Acte final du Congrès de Vienne. Art. 1er : « La ville de Cracovie avec son territoire est déclarée, à perpétuité, cité libre, indépendante et strictement neutre, sous la protection de l'Autriche, de la Russie et de la Prusse.» Art. 8: « Il ne sera formé à Podgorze aucun établissement militaire qui pourrait menacer la neutralité de Cracovie. » Art. 9: « Les cours de Russie, d'Autriche et de Prusse s'engagent à respecter et à faire respecter en tout temps la neutralité de la ville libre de Cracovie et de son territoire; aucune force armée ne pourra jamais y être introduite, sous quelque prétexte que ce soit. En revanche, il est entendu et expressément stipulé qu'il ne pourra être accordé dans la ville libre et sur le territoire de Cracovie, aucun asile ou protection à des transfuges, déserteurs ou gens poursuivis par la loi, appartenant aux pays de l'une ou de l'autre des Hautes Puissances susdites et que, sur la demande d'extradition qui pourra en être faite par les autorités compétentes, de tels individus soient arrêtés et livrés sans délai, sous bonne escorte, à la garde qui sera chargée de les recevoir à la frontière. »

est de créer, dans une mesure déterminée, une immunité locale à l'égard des faits de guerre.

Le

I. Neutralisation de la Savoie septentrionale. Congrès de Vienne nous a fourni successivement un type de neutralité permanente proprement dite et un type de neutralisation d'État désarmé. Il nous offre encore un exemple de neutralisation locale.

L'article 92 de l'Acte final de ce Congrès s'exprime comme suit :

« Les provinces de Chablais et de Faucigny, et tout le territoire de la Savoie au nord d'Ugine, appartenant à S. M. le Roi de Sardaigne, feront partie de la neutralité suisse, telle qu'elle est reconnue et garantie par les Puis

sances.

» En conséquence, toutes les fois que les Puissances voisines de la Suisse se trouveront en état d'hostilité ouverte ou imminente, les troupes de S. M. le Roi de Sardaigne qui pourraient se trouver dans ces provinces se retireront et pourront, à cet effet, passer le Valais, si cela devient nécessaire. Aucunes autres troupes armées, d'aucunes autres Puissances, ne pourront traverser ni stationner dans les provinces et territoires susdits, sauf celles que la Confédération suisse jugerait à propos d'y placer. Bien entendu que cet état de choses ne gêne en rien l'administration de ces pays, où les agents civils de S. M. le Roi de Sardaigne pourront employer la garde municipale pour le maintien du bon ordre. >>

Le traité de Paris du 20 novembre 1815, article 5, modifia comme suit ces dispositions : « La neutralité suisse sera étendue au territoire qui se trouve au nord d'une ligne à tirer depuis Ugine, y compris cette ville,

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