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30 mai. Cela est net, écrit, et nous ne le contestons pas; mais la force, la grandeur d'une nation ne résultent pas exclusivement de son territoire, de ses moyens matériels d'agir; ils viennent encore de la prépondérance qu'elle exerce sur l'ensemble des transactions européennes. Si donc quelque puissance recevait une extension trop considérable, l'équilibre serait brisé, et quoique la part faite à la France fût équitable à un point de vue spécialisé, elle ne pourrait pas, elle ne devrait pas rester étrangère aux autres arrangemens de l'Europe. Ce fait selon M. de Talleyrand était tellement reconnu par les puissances, que dans l'art 6. du traité du 30 mai, la France devait intervenir pour régler diverses questions de politique générale : l'agrandissement de la Hollande, le lien fédératif de l'Allemagne et de la Suisse, et le partage des souverainetés en Italie. Or, si la France avait été appelée dans cette réorganisation, elle ne devait rester étrangère à aucune autre transaction européenne.

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Il est bon de voir cette attitude immédiatement prise par la maison de Bourbon, qui, à peine restaurée, parlait le langage historique de ses

aïeux, aux jours de leur plus grande gloire et de la plus haute prospérité de la France.

Dans cette attitude forte et nouvelle, M. de Talleyrand voyait au reste qu'il pourrait être aidé par les intérêts divers qui allaient séparer l'Europe, et nés précisément de l'exécution du traité de Paris. A travers toutes les formes de la plus extrême modération et de la plus excessive tempérance, l'empereur Alexandre ne semblait préoccupé que d'une seule pensée, la constitution de la Pologne comme royaume adhérant à la Russie et tôt ou tard destiné à grouper les diverses fractions de cet Etat, attribuées dans les derniers partages à la Prusse et à l'Autriche. Reconstituer la nation polonaise était une des pensées les plus chères à l'empereur Alexandre, espérant peut-être que le protectorat russe tôt ou tard se changerait en domination absolue sur toutes les nations slaves (1).

La Prusse sans doute était blessée par la pensée

définitive du czar sur la Pologne, que M. de Hardenberg savait aussi bien deviner; mais dans tous les arrangemens arrêtés, la Prusse trouvait une

(1) Lord Castlereagh avait profondément pénétré la pensée de la Russié et lord Stewart son frère l'avait écrit déjà en 1813.

suffisante indemnité dans la Saxe que la Russie était convenue de lui céder comme le ventre naturel de la monarchie prussienne si efflanquée; long ceinturon de l'épée du grand Frédéric.

Il n'en était pas ainsi de l'Autriche qui ne trouvait aucune compensation, si ce n'est en Italie, à ces deux agrandissemens de la Russie et de la Prusse qui lui faisaient véritablement peur. En supposant la constitution d'une Pologne russe, l'Autriche était menacée par sa tête, la Gallicie; et l'agrandissement de la Prusse par la Saxe prenait aussi l'Autriche sur son flanc, la Silésie. En aucune hypothèse, M. de Metternich ne devait, ne pouvait le souffrir, sous peine de voir dans l'avenir sa monarchie tout entière exposée à la double invasion russe et prussienne. On était alors aux idées normales de la vieille politique depuis grandement modifiées par la peur des idées révolutionnaires qui trouble souvent les meilleures têtes.

M. de Talleyrand qui avait parfaitement compris cette situation hostile des cabinets dut en conclure que dans un futur congrès l'Autriche marcherait tôt ou tard avec nous parce qu'elle avait intérêt à s'opposer à une telle extension de

la Russie et de la Prusse. Quelques courtes conversations avec lord Castlereagh pendant son séjour à Paris, purent aussi le convaincre que l'Angleterre avait également un commun intérêt à s'opposer aux vues de la Russie sur la Pologne. Dèslors le rôle de la France était tout tracé; elle aurait au congrès une position non point à elle seule, mais une situation au moins à trois. L'Angleterre et l'Autriche lui rendraient toute son importance vis-à-vis la Prusse et la Russie. La force des choses irait à ce résultat de prépondérance française.

S III.

CONVOCATION DU CONGRÈS A VIENNE.

L'article final du traité de Paris du 30 mai 1814 portait que dans le délai de deux mois, toutes les puissances engagées dans la dernière guerre enverraient des ministres à Vienne pour régler dans un congrès général les dispositions arrêtées.

Les deux mois expiraient le 30 juillet; mais le voyage des trois souverains (Alexandre, le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche) à Londres, le retour subit du czar à Saint-Pétersbourg ne permirent pas l'exécution exacte de cet article; et la réunion du congrès fut prorogée jusqu'au 30 septembre. Vienne avait été choisi comme point central afin que toutes les questions pussent se décider sans retard; on avait d'ailleurs une foi très grande et très juste dans la capacité du prince de Metternich, qui avait joué le grand rôle diplomatique depuis 1813, et on lui devait cette marque de déférence (1).

Les grands souverains firent leur entrée à Vienne le 25 septembre; les rois de Bavière, de Danemark, du Wurtemberg y arrivèrent presque aussitôt et des fêtes précédèrent l'ouverture du congrès. Elles furent brillantes et coûteuses; le prince de Ligne nous en a laissé le tableau.

Les légations, c'est-à-dire les hommes qui devaient traiter les affaires étaient choisis avec une haute distinction; chaque puissance tenait à

(1) Le prince de Metternich avait conquis sa grande renommée dans les événemens de la fin de 1813, par les deux qualités qui le distinguent : la fermeté et la modération.

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