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III

Affranchissement.

Donner la liberté aux esclaves avant de les avoir préparés à ce bienfait, ce serait vouloir la ruine de nos colonies et le malheur des noirs.

CHAPITRE PREMIER.

De l'Affranchissement général et immédiat.

Plus d'esclavage! voilà le cri général de la philantropie. Loin de condamner cette philantropie vraie, pure, qui est un amour réel et efficace pour ses semblables, amour qui doit nécessairement naître de l'humanité et de la religion, puisque sans elles il ne peut y avoir de philantropie vraie et pure, nous nous empressons de rendre hommage au zèle généreux

et ardent de ces hommes qui, avec autant de constance que de dévouement, travaillent au bonheur de leurs semblables, de quelque nation, de quelque couleur qu'ils soient, parce qu'ils ne voient en eux que des frères délaissés ou malheureux que l'humanité et la religion commandent de consoler, de secourir. Loin donc de condamner la philantropie de ces hommes, nous associons nos vœux aux leurs, nos efforts à leurs efforts, et nous exaltons les sacrifices que leur humanité et leur religion savent si bien multiplier en faveur de ceux qu'ils voient dans l'affliction ou dans le malheur.

Mais nous nous élevons ici contre ces hommes qu'anime le zèle brûlant d'une philantropie fausse, ennemie de l'humanité et de la justice, contre ces hommes qui, opiniâtrément attachés à leur système, sont prêts à tout sacrifier pour le triomphe de leurs théories impuissantes, qu'ils regardent cependant comme sublimes et capables de faire naître partout la prospérité et le bonheur, contre ces hommes enfin qui, avec une sorte de complaisance et d'emphase, répètent cette belle devise que tant d'autres philantropes avant eux ont répétée: Périssent les colonies plutôt qu'un principe. N'écoutant que leur zèle, ils invoquent et réclament avec instance en faveur des esclaves un affranchissement gé

néral et immédiat, sans examiner si un tel affranchissement contribuera au bonheur de ceux qui, n'ayant encore aucune notion vraie des devoirs et des sacrifices qu'impose et qu'exige la société, regardent la liberté comme l'affranchissement de toute contrainte et comme le pouvoir de suivre leurs passions et de réaliser leurs infâmes désirs.

Plus d'esclavage! est aussi le cri qu'aime à répéter la religion catholique qui dit aux hommes libres et civilisés: Préparez à la liberté les eselaves vos frères, rendez-les dignes de ce bienfait par la pratique des vertus sociales et chrétiennes.

Oui, sans doute, l'humanité et la religion veulent l'abolition entière de l'esclavage; mais elles rejettent et condamnent une liberté qui causerait le malheur de l'esclave et du maître, et la ruine de nos colonies; or, telle serait une liberté générale et immédiate.

Qu'est-ce que la liberté? La liberté est le pouvoir de faire tout ce qui n'est pas défendu par la loi (1).

Or, n'est-ce pas une erreur grossière de croire que les esclaves qu'on aura affranchis sans

(1) Voyez Défense de l'ordre social contre le carbonarisme moderne; par M. Boyer, 2o partie, page 292.

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les y avoir préparés, comprimeront tout-à-coup et comme par enchantement les penchans si violens qui les portent au mal, qu'ils briseront leurs fétiches, qu'ils renonceront aux pratiques superstitieuses auxquelles ils se livrent avec tant de plaisir, qu'ils détruiront l'empire qu'ont obtenu les passions sur leurs cœurs, enfin qu'ils se dépouilleront en quelque sorte de leur nature, pour ne faire que ce qui n'est pas défendu par la loi, loi qui avec autant d'énergie que de puissance lutte contre leurs penchans et combat leurs passions? N'est-il pas certain, au contraire, que regardant cette liberté comme le pouvoir de tout oser et de tout faire ils la changeront en une affreuse licence qui infailliblement deviendra funeste à eux-mêmes et aux colonies. « Les << lois naturelles, dit Massabiau, ne sont point respectées par les passions des hommes (1). » Quels avantages procurerait à la société cette liberté intempestive? Elle jetterait au milieu d'elle une multitude d'individus que la religion n'éclairerait ni ne dirigerait de sa lumière vivifiante, mais qu'agiteraient les passions les plus odieuses, qu'animeraient le désir de la vengeance et l'espoir surtout de devenir maîtres

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(1) De l'Esprit des Institutions politiques, t. 1o, liv. 1, ch. XIX.

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eux-mêmes et peut-être de se mettre à la place de ceux qui leur auraient commandé. Et qu'on le sache bien, l'esclave, pour réaliser cet espoir si criminel, sans difficulté aucune, emploiera le fer, le poison et la flamme. Des faits dont le souvenir est encore si affligeant sont là pour le

prouver.

Voilà les citoyens que procurerait à la société une liberté immédiate et générale; voilà ceux qui, pénétrés de reconnaissance, béniraient le nom de nos philantropes, lesquels par leurs efforts et leur dévouement leur auraient obtenu le grand bienfait de cette liberté prématurée; mais, alors, quelle garantie de sécurité, de prospérité? comment la véritable liberté elle-même serait-elle garantie? « Pour que chacun soit li« bre, il faut que chacun dépende. Votre dépendance sera la garantie des autres, et la dépendance des autres sera votre garantie. « L'établissement de cette dépendance tutélaire << est le principal objet de la société civile; et << sans elle, il n'y a point de liberté naturelle garantie, ou autrement de liberté civile (1). » Or, par une liberté générale et immédiate, toute dépendance est détruite pour l'esclave,

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(1) De l'Esprit des Institutions politiques, t. 1o, liv. 1, ch. xx.

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