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De ce double tableau la rapide magie

Semble inviter notre ame à la mélancolie :

Pétrarque vint pleurer sur ces rochers déserts,

Que consacrent son nom, sa Laure et ses beaux vers.
Ah! redis-moi ses chants, immortelle retraite,
Que vont chercher de loin l'amant et le poëte!
Vaucluse, que sans peine ils ne peuvent quitter,
O toi qu'avec transport je courus visiter,

Jeune encore, et surpris d'y rêver une amante,
Quatre siècles ont fui; mais ton onde écumante,
Et tes monts recourbés en cercle sur tes bords,
Tes antres encor pleins d'harmonieux accords,
Semblent nous y montrer ces deux ombres fidèles,
Et l'amoureux penser vient errer autour d'elles.
Aux nymphes du vallon, aux bergers d'alentour
Tes flots en murmurant parlent encor d'amour;
C'est là qu'on aime bien par un charme invincible;
C'est là
que l'on gémit de n'être plus sensible.

C'est donc là, me disais-je, oui, c'est en ce séjour,
Dans l'âge où le bonheur n'est vraiment que l'amour,
Que Laure triompha des feux qu'elle fit naître,
Et des vers d'un amant plus dangereux peut-être.
Ses vers au moins l'ont dit, croyons à sa rigueur;
L'amour qu'elle inspira fut sa seule faveur (5).
Là, d'heureux souvenirs son image parée,
Suivait, charmait Pétrarque, et cette ombre adorée
D'un magique univers entourait son amant;
Dans le parfum des fleurs qu'avec lui mollement
Foulait sous l'oranger le pied léger de Laure,
C'était son souffle pur qu'il respirait encore.
Près des eaux de Vaucluse il aimait à s'asseoir;
Dans les eaux de Vaucluse il croyait la revoir;
Il la voyait encor dans ces routes secrètes,
Portant ce
tissu verd, orné de violettes (6),

(5) Les devoirs de l'hymen furent toujours un obstacle insurmontable dans le cœur de la belle Laure, qui l'empêcha de couronner la vive tendresse de Pétrarque.

(6) Le 6 avril 1327, le lundi de la semaine sainte, à la première heure c'est-à-dire, six heures du matin, dans l'église de Sainte

Dont elle était parée en ce temple chrétien
Où son premier regard sollicita le sien.

Il croyait quitter Laure en quittant la fontaine ;
Quelquefois appuyé sur le tronc d'un vieux chêne,
Ou du sombre bosquet parcourant les détours,
Triste et seul, il rêvait; mais plus belle toujours
Laure absente peuplait le solitaire ombrage;
Laure en un lieu charmant changeait un lieu sauvage.
Et la nuit que de fois l'œil fixé sur les cieux,
Tranquille, contemplant tous ces points radieux,
Ces mondes étoilés dont leur voûte se dore,
Il voulait les chanter! il ne chantait que Laure;
Et les vers accouraient plus prompts à la nommer;
Vingt ans il fut heureux du seul bonheur d'aimer.
Il chantait, et le cœur lui seul montait la lyre;
Le cœur est éloquent, lorsque l'amour l'inspire.
Laure, quoique rebelle à des feux si touchans,
Se vit avec orgueil l'objet de ses doux chants;
Laure aimait l'art des vers, les vers l'immortalisent.
Belles, aimez les vers, eux seuls vous éternisent:
Vos noms par eux vivront tant qu'Hébé dans les cieux
Versera l'ambroisie au monarque des dieux,
Que Vénus sourira, que la reine de l'onde
De son écharpe humide embrassera le monde.
Tout périt sans les vers: sans cet art immortel,
Que de Dieux oubliés n'auraient point eu d'autel!
Toi-même, il t'en souvient, Vénus, le vieil Homère
A ta belle ceinture attacha l'art de plaire.

Pétrarque d'un laurier (7), l'orgueil de son jardin,
Long-tems d'un nom chéri fit l'emblême divin :
Heureux, il mariait sur l'écorce nouvelle,
A son chiffre amoureux le chiffre de sa belle,
Et serrait dans ses bras l'arbrisseau qu'il aimait
Croyant qu'en un laurier Laure se transformait;

Claire d'Avignon, il vit une dame fort jeune dont la beauté le frappa. Elle était vêtue d'une robe verte parsemée de violettes; c'était Laure, fille d'Audibert de Noves, mariée à Iluges de la maison de Sade.

(7) Il croyait à la métempsycose et se plaisait dans le rapprochement des mots Laura et Lauro,

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Mais bientôt à ses sens l'erreur était ravie ;
Ainsi par Apollon Daphné fut poursuivie ;.
Et le poëte amant, dans son riant vallon,
N'embrassa qu'un laurier de même qu'Apollon.

Dans le calme inspirant de cette solitude,
Il combattit l'amour par l'arme de l'étude,

Et le Dieu des beaux vers lui donna des beaux jours.
Là, d'une amitié sainte invoquant le secours,
Quelquefois il reçut dans son nouveau Parnasse,
Et le
sage Colonne, et le riant Boccacé.

De la cour d'Avignon méprisant les faveurs (8),
Du pontife à Vaucluse il attaquait les mœurs.
C'est ainsi qu'à Tuscule autrefois un grand homm❤
Tonnait contre le luxe et les crimes de Rome.
C'est là que pour tromper un rigoureux destin,
Moraliste, imitant le pieux Augustin,
Pétrarque médita ces chapitres sublimes
Dont le sage relit les profondes maximes.
Quoique l'ambition ne troublât point ses sens,
De l'autel de la gloire il savourait l'encens.
La médiocrité, fille de la sagesse,

De son cœur satisfait fut la seule déesse.
Implacable censeur, peu sensible aux présens,
Objet d'antipathie à tous les courtisans,
Trouvant ainsi que l'or la grandeur importune,
Sur son rocher sauvage il bravait la fortune.
Oui, c'est là qu'évoquant les ombres des mortels
A qui l'antiquité consacra des autels,

O François! tu chantas les fâmeux capitaines,
Les
sages, les savans et de Rome et d'Athènes !
C'est là qu'avec Clio, des annales du tems
Parcourant le grand livre et les faits éclatans,
Tu sus ressusciter dans tes savantes pages,
De
ces siècles brillans les nobles
personnages!
De la langue natale en tes écrits charmans
Ton goût ingénieux fixa les élémens (9),

(8) Le Saint-Siége était alors établi dans le comtat Venaissin. (9) Le Dante avait composé un poëme sublime, quoique bizarre; cependant la langue italienne, appelée alors la langue vulgaire, qui

Et par l'expression d'une douce harmonie,
des vers heureux, proverbes du génie.
Epurons, disait-il, mes écrits imparfaits,

Et par

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» Qu'ils soient dignes de Laure et de ses doux attraits!
Inutile projet ! mon goût toujours sévère

» Dans la postérité redoute un juge austère. »
O modeste écrivain, que d'aimables leçons,
Dans tes brillans sonnets, dans tes tendres chansons!
Tant d'esprit, de savoir méritaient la couronne
Que le talent réclame et que Minerve donne.

Il luit enfin ce jour, où malgré ses rivaux,
Minerve, pour payer ses sublimes travaux,
De lauriers toujours verds, unis au chêne antique,
Compose pour son front la tresse poétique (10).
Le Capitole ouvert par un insigne honneur,
D'Ovide et de Tibulle attend le successeur.
Un cortége pompeux, dans les places de Rome,
Dès l'aurore au sénat précède ce grand homme :
Des enfans revêtus des plus riches couleurs,
En récitant ses vers, sément au loin des fleurs ;
Décoré de la pourpre, il monte au Capitole,
Et le vin et l'encens ont fumé pour l'idole.
«Gloire, crie un hérault, et triomphe au vainqueur !
› Triomphe, ont répété tous les Romains en chœur ! »
Mais lorsqu'avec respect s'incline le poëte

Le feuillage immortel rayonne sur sa tête,
Et Rome en ses écrits couronne tour-à-tour
L'histoire, l'art des vers, la morale et l'amour.

Mais que son cœur fut grand, si ses vers sont sublimes!
Sur les Alpes un jour, sur ces superbes cimes
Qui dominent les airs de leur front souverain,
De la guerre civile avait tonné l'airain ;

Telle la cloche exhale au loin des sons funèbres
Ce formidable bruit émeut les bords célèbres

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tirait son origine d'un latin corrompu que parlaient les soldats ro mains, était informe et sans règles avant que Pétrarque l'enrichit.

(10) Il fut couronné à Rome, dans le Capitole, au milieu des honneurs suprêmes et des acclamations du peuple romain.

Où le Pô de son urne épanche le torrent.
Jouissant des attraits d'un beau jour expirant,

Pétrarque entend ce bruit, à ce signal frissonne ;
Il croit voir tout-à-coup Némésis et Bellone

A leur char fratricide atteler leurs chevaux;

Il voit flotter partout des étendards rivaux.

Romains, pourquoi, dit-il, ces aigles mercenaires?
> Vous creusez vos tombeaux de vos mains sanguinaires ;
» La nature éleva, bienfaisante pour vous,

» Ces Alpes où viendra se briser le courroux
De ces fiers étrangers enrichis de vos pertes;
Pourquoi porter la mort dans vos cités désertés ?
Qu'un baiser fraternel assure leur repos !
> Unissez à-la-fois vos cœurs et vos drapeaux. »
Il chantait : ô pouvoir de sa céleste lyre!
Abjurant tout-à-coup leur belliqueux délire,
Ces guerriers sont vaincus par la douce pitié,
Et sous leurs étendards vient s'asseoir l'amitié.
Mais pour chanter Vaucluse il poursuivait encore,
Ses pleurs coulent.... On voit qu'il veut parler de Laure.
Ah! toujours plus épris, toujours plus malheureux,
Et fuyant, mais en vain, un objet dangereux,
L'infortuné traîna dans toute l'Italie

Le fatal souvenir de sa Laure chérie,

Qu'il aima si long-tems, et qu'il chantaît si bien.
Philosophe, poëte, amant, historien

Que n'eût pas fait Pétrarque électrisé par elle !
Il puisait dans ses yeux une ardeur immortelle.
Mais, ô douleur affreuse! un mal contagieux (11)
Soudain a frappé Laure, et ses jours précieux
S'éteignent par degrés. Ainsi le doux sourire
Presqu'insensiblement sur les lèvres expire
Ainsi du rossignol l'harmonieuse voix
Presqu'insensiblement se perd-au fond des bois.

:

De Vaucluse écartant l'image dangereuse,
Il choisit
pour sa tombe une obscure Chartreuse.

(11) La belle Laure mourut de la peste à Avignon, le 6 avril 1348, à six heures du matin, à la même heure que Pétrarque l'avait vue pour la première fois.

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