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leur portée, comme de tout ce qui n'aurait encore pour eux aucun intérêt; il voudrait que l'étude leur devînt, s'it se pouvait, un amusement de plus (c'est beaucoup demander), mais, au moins, qu'ils n'y trouvassent pas un supplice; bien sûr que ce qui est appris à contre-cœur, nẹ profite pas plus que ce qui est mangé avec répugnance. Il se gardera bien, dès-lors, de les engager dans ce tissu indéchiffrable de règles, dont ils n'aperçoivent pendant long-tems que la confusion, et qui leur semblent autant de fils tendus par des araignées à de malheureuses petites mouches qui ne pourront jamais s'en dépétrer; il veut qu'en cela, comme il serait à désirer que cela fût par-tout, la pratique précède la théorie, et les traductions interlinéaires lui paraissent propres à son dessein. L'enfant les lira, et comme, malgré les extrêmes facilités qu'elles présentent, la pauvre petite créature aura néanmoins encore quelque peine à s'y reconnaître, son sage ami promet de venir charitablement à son secours, et de faire à la fois l'office de rudiment et de dictionnaire, pour que l'écolier embarrassé trouve chez lui, à point nommé, tout ce qu'il chercherait pendant trop longlems et avec trop peu de fruit. Mais après que le jeune catéchumène aura traduit ainsi quelques lignes d'une langue dans une autre, on lui demandera de traduire de nouveau ces mêmes lignes de la seconde langue dans la première. Cette contre-épreuve qui nous paraît à tous si facile, ne laisse pas d'avoir encore des difficultés pour' celui à qui on la propose, et il faudra que tantôt son intelligence vienne au secours de sa mémoire, et tantôt sa mémoire au secours de son intelligence, et son maître au secours de toutes les deux. L'instituteur espère que par l'habitude de ces utiles retours sur ses propres traces, le sillon de l'instruction sera plus approfondi; il se flatte même que le jeune élève, de plus en plus familiarisé avec les rapports des deux langues, se fera bientôt ses、 premières règles à lui-même, au moyen d'un petit travail intérieur dont il ne s'apercevra pas plus que de sa croissance, et qu'il finira par avoir, en quelque sorte, composé son rudiment sans l'avoir appris.

Ne craignez pas non plus que ce maître attentif à tout ce

qui peut résulter de ses leçons, présente à ses disciples les froides inepties, les phrases insignifiantes dont beaucoup de pédans ne se font pas scrupule de composer ce qu'ils appellent les devoirs de leurs innocentes victimes, comme pour leur faire encore mieux savourer l'ennui d'étudier. M. Maillet-Lacoste voudrait n'exercer leurs esprits à peine éclos, que sur des traits dont ils pussent en même-tems retirer quelqu'utilité morale. L'intention est assurément bien louable, mais n'est-ce pas s'y prendre un peu matin? Nous croyons connaître cet âge aimable, qui seul a droit d'être frivole; nous l'avons toujours vu ennemi déclaré de tout ce qu'on lui propose pour son plus grand bien, et craignant la morale autant que la médecine; rendez-donc, dirions-nous à M. Maillet, vos leçons plutôt amusantes qu'utiles, il y aura, pour les enfans, la même différence qu'entre des pilules et des dragées.

En général, on peut remarquer dans cette suite de soins et d'attentions jusqu'à présent trop négligés dans l'enseignement du premier âge, je ne sais quelle douceur, je ne sais quelle sollicitude presque paternelle qu'on aime à partager envers ces aimables créatures à qui nous faisons passer de si tristes heures, en échange des heures charmantes que nous leur devons; ils ne voyent pas encore, ces pauvres enfans, notre amour sous notre tyrannie, et dans leur petite logique ils sont en droit de croire que nous leur rendons le mal pour le bien. Espérons qu'ils ne penseront pas toujours ainsi; mais, en attendant qu'ils soyent justes, soyons compatissans, et remercions en leur nom M. Maillet des soins qu'il se donne pour adoucir leur sort; on serait tenté de croire en effet qu'il conserve une mémoire encore fraîche des ennuis et des chagrins qu'il essaie de leur épargner, et qu'il leur dirait volontiers comme Didon:

Non ignara mali miseris succurrere disco.

La même attention qu'il aura mise à soulager les pre-. miers commençans de toutes les peines inutiles, il les continuera, proportion gardée, avec les classes plus hautes, mesurant toujours la tâche à la force, et la voile

au vent. Lorsque les progrès de l'instruction et de l'intelligence auront mis ses élèves en état de comprendre un peu au-delà du sens littéral de la phrase qu'on leur aura donnée à traduire, mais d'en sentir l'élégance, la finesse ou l'harmonie, il leur demandera compte de l'impression qu'ils en auront reçue. Il a prévu d'avance leur embarras (le pourquoi, en fait de goût, est si difficile à dire), mais cet embarras même, il en jouira, et ne viendra point à leur secours qu'il ne les voye à bout de voie; persuadé qu'à tout âge on apprend mieux de soi que d'autrui, et que le raisonnement d'un écolier devient son premier instituteur.

Il semblerait qu'à la suite de tant de soins préliminaires, le moment serait venu d'initier la jeunesse studieuse aux mystères de la composition, qui paraît être le terme et le but de toutes les leçons du professeur, ainsi que de tous les travaux de l'étudiant; mais notre prudent professeur ne trouve point encore les ailes de ses aiglons assez fortes pour les soulever hors de leur aire; il pense avec inquiétude aux dangers que court l'inexpérience confiée à elle-même dans les vastes régions de l'imagination; il craint, d'une part, les efforts impuissans d'une faiblesse présomptueuse; il craint, de l'autre, les écarts désordonnés d'une jeunesse trop ardente. En vain lui objecterait-on que ce serait le vrai moyen de juger de la vraie force de chacun, et de savoir

Quid valeant humeri, quid ferre recusent.

Π pense qu'il n'a pas plus de tems qu'il ne lui en faut pour former le goût et la raison de ses néophytes par la connaissance approfondie et la critique raisonnée de la foule des chefs-d'oeuvre que leur offrent la littérature latine et la française, entre lesquelles il les promène, comme sur un fleuve tranquille, entre deux rives fleuries: enfin il se contente de leur faire amasser le plus de provisions qu'il lui sera possible, avant que de les mettre en route; sans peut-être avoir assez réfléchi que souvent la mémoire se remplit aux dépens de l'imagination, et que tant de bagages empêchent quelquefois

d'avancer.

Notre professeur a eu d'autant plus de mérite à exprimer comme il l'a fait ces menus détails d'enseignement, qu'ils paraissent moins compatibles avec la dignité du style oratoire; mais on peut juger qu'il en discourait devant une assemblée d'hommes exerçant à-peu-près les mêmes fonctions, qu'il ne pouvait pas manquer d'intéresser; et devant une réunion de parens, aux yeux de qui d'ordinaire rien de ce qui se rapporte à leurs enfans ne semble puéril. Au reste, il ne tarde pas à se relever de cette légère contrainte par une apostrophe énergique aux professeurs qui ne sentiraient point assez l'importance de leur mission, et qui ne trouveraient pas leurs plus chères délices dans la pensée du bien qui doit en découler sur toute la société; pour lui, il aime à espérer que de ces germes précieux dont il conduit le développement, il pourra s'élever des hommes dont le mérite transcendant sera sa plus belle récompense; et qui, après avoir été l'espoir de l'âge présent, deviendront les ornemens de l'avenir. Hélas! le spectacle toujours changeant de la nature et de la société nous apprend de reste que rien ne brille toujours; mais à mesure que l'inévitable faulx du tems moissonnera ces êtres presque célestes, en qui la patrie a mis son orgueil et ses complaisances, un véritable instituteur travaille du moins loin des regards d'un vulgaire ignorant et frivole, à préparer pour cette chère patrie, de quoi réparer ses pertes, renouveler ses forces, et rajeunir sa gloire. En effet, puisque le mérite aussi doit mourir, il est satisfaisant, il est beau d'aider à le faire renaître, et de contribuer ainsi à remplir le vrai trésor public de ces richesses vivantes qui n'ont point d'équivalent, et qui haussent en quelque sorte le change d'une nation vis-à-vis de tous les peuples du monde. Telle est la louable perspective, qui se montre sans cesse à la pensée de l'éducateur, pour le guider et le soutenir dans ses travaux; telle est la gloire où il aspire, gloire modeste, mais pure, dont la conscience elle-même s'enorgueillit, et qui n'a que de beaux côtés. C'est ainsi qu'un discours de peu d'étendue et sur un objet purement classique, décèle néanmoins un ami du bien, un ami de la patrie, un ami de l'humanité, et

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ce qui fait encore plus d'honneur, s'il est possible, au professeur, ainsi qu'à la profession, un homme content de son état.

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Quelques lecteurs accuseront M. Maillet d'aborder LA un peu trop dans son sens, et de voir l'état de profes seur trop en beau : eh bien! que ces lecteurs-là e don nent la peine de relire et ils se rétracteront. Ofrepre chera peut-être aussi à l'orateur de prêter à l'étude latin une importance que le commun des hommes aurait peine à lui reconnaître; mais si le commun des hommes 'est d'un avis, il se peut que l'élite soit d'un autre. Per sons, tous tant que nous sommes qui avons appris cette langue, à tout ce que nous lui devons; il y a dans le latin plus que du latin; ceux même qui depuis auraient -pu l'oublier s'en ressentiraient encore : il en serait comme d'une source rentrée dans la terre, et qui n'aurait pas laissé de fertiliser le champ où elle aurait sourdi. Quand le latin n'aurait d'autres titres auprès de nous que d'être depuis douze ou treize cents ans la langue savante de Europe, et d'avoir constamment servi aux premiers esprits de tous les pays d'interprète commun, chargé exclusivement, en quelque sorte, de l'exportation et de l'importation des connaissances et des pensées, qui pourrait se refuser à le conserver dans son emploi ? Ainsi rendons grace à celui qui pense à tout, d'avoir pensé à raviver dans nos écoles cette branche d'instruction qui commençait à s'y dessécher; ne sait-on point d'ailleurs,' combien il est utile pour se perfectionner dans une langue, et pour la perfectionner, d'en posséder à fond quelqu'autre, qui vous serve d'objet de comparaison et d'émulation; qui vous fournisse au besoin des expressions, des tours, des figures, des ressources, des artifices de style qui ne sont pas dans la vôtre, mais qui, empruntés avec discrétion et employés avec discernement, peuvent s'y naturaliser ?

La langue grecque aurait pu sans doute sous plusieurs de ces rapports balancer et même surpasser tout ce qu'on pouvait se promettre de la langue latine: l'énergie, la délicatesse, l'harmonie, l'euphonie, une égale apti

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