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tude à exprimer les pensées les plus fines et les idées, les plus sublimes, tout s'y trouve.

Musa loqui.

Graiis dedit ore rotundo

C'est un superbe instrument, assorti de tous les jeux, et propre à toutes les musiques. Ajoutez à cela que le grec est par lui-même une première initiation à la plupart des arts et des sciences, dont il a déposé les termes dans les autres idiômes; ajoutez encore que dans celle langue ingénieuse, toutes les expressions de choses d'une même sorte, tiennent, comme on le sait, à une racine particulière qui indique leur commune origine, et leur fait conserver entr'elles un air de famille; en sorte que la langue à elle seule offre à l'esprit une classification naturelle des idées, à laquelle dans les autres idiômes on ne parvient qu'avec beaucoup de réflexion et d'inexactitude; mais il y a plus, c'est que non content d'exprimer les idées, le grec les explique, au moyen de la composition et de la décomposition des mots; ensorte que ceux qui le parlent, seraient doublement coupables de ne pas savoir ce qu'ils disent.

On aurait donc bien fait, peut-être, de choisir partout le grec pour la langue savante, d'autant plus qu'on peut le considérer, dans son organisation, comme le plan le plus détaillé, le plus net et le plus complet du champ de l'intelligence humaine; mais il fallait s'y prendre quelques siècles plus tôt. Les hellénistes ne sont point à beaucoup près assez répandus en Europe pour qu'on puisse espérer d'y généraliser de sitôt l'enseignement de leur langue, ainsi qu'on l'a fait pour la langue latine. . Ce que les Latins sont depuis long-tems aux Français, les Grecs l'avaient été jadis aux Latins, et convenons qu'ils ont fait d'assez belles éducations pour mettre leurs écoliers en état d'enseigner à leur tour. Horace veut qu'un poëte latin passe ses jours et ses nuits à feuilleter les poëtes grecs; il pouvait donner un pareil précepte aux orateurs, aux historiens, aux philosophes, à quiconque ose entrer en commerce de pensées avec le monde et la postérité, M. l'abbé d'Olivet a, de nos jours,

montré pour un Romain le même enthousiasme qu'Horace pour les Grecs. Voulez-vous être un homme d'Etat, disait-il, un homme de guerre, un homme de cour.......... lisez Cicéron; et il continuait toujours sur le même ton, jusqu'à dire, voulez-vous bien parler français, lisez Cicéron. Il paraît au français de M. Maillet-Lacoste qu'il a soigneusement suivi le conseil de M. l'abbé d'Olivet; il y paraît aussi à son latin, et l'on pourrait même quelquefois s'en apercevoir des deux côtés à la durée des périodes. Au reste, cet élégant discours imprimé dans les deux langues, laisserait en doute dans laquelle il a été pensé, tant son latin sent peu le thême, et son français peu la version. Il est du moins bien clair que les deux langues également aux ordres de l'orateur, se sont rivalisées ou plutôt entr'aidées, car avec un peu d'attention, on les voit se prêter un secours amical, pour embellir, comme à l'envi, de belles pensées.

Alterius sic

Altera poscit opem res et conjurat amice.

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BOUFFLERS.

HISTOIRE LITTÉRAIRE D'ITALIE; par P. L. GINGUENÉ membre de l'Institut de France. Trois vol. in-8°. -Prix, 18 fr., et 23 fr. 50 c. franc de port.-A Paris, chez Michaud frères, imprimeurs-libraires, rue des Bons-Enfans, no 34.

(TROISIÈME EXTRAIT.)

J'AI laissé l'Histoire littéraire d'Italie., par M. Ginguené, à la fin de la discussion sur le Décameron de Boccace, qui termine avec éclat le tableau de la première moitié du quatorzième siècle. Dans le chapitre qui suit cette excellente discussion (le XVII), on prend une idée générale de l'état des sciences et des lettres immédiatement après l'époque, et l'on pourrait dire, après le règne de Pétrarque et de Boccace. Les théologiens, les jurisconsultes, les médecins, les historiens et les poëtes qui fleurirent, en grand nombre, dans cette

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dernière portion du quatorzième siècle, y sont passés en revue; mais parmi eux, les uns ayant écrit en latin n'appartiennent, pour ainsi dire, qu'à demi à la littérature italienne; les autres, ayant cultivé des sciences aujourd'hui abandonnées; ou devenues des sciences toutes nouvelles par les progrès qu'elles ont faites et les révolutions qu'elles ont subies, la justice qui leur était due dans un ouvrage de la nature de celui de M. Ginguené, se bornait à celle qui leur y est en effet rendue je veux dire à l'énoncé de leurs travaux les plus importans, et au récit des événemens de leur vie les plus notables ou les plus propres à caractériser l'époque à laquelle ils appartiennent. L'histoire littéraire d'Italie reprend plus d'intérêt et plus d'importance, dès l'instant où elle revient aux écrivains qui firent usage de la langue nationale pour la soutenir au degré de beauté et de perfection où elle venait d'être élevée.

Buonaccorso da Montemagno l'ancien, et sainte Catherine de Sienne, sont les premiers qui se présentent, le premier comme poëte, la seconde comme prosateur. Les lettres spirituelles de celle-ci sont lues encore avec admiration et avec plaisir, même par ceux qui n'y cherchent rien de plus que la grâce, la finesse et la pureté du style. Quant aux poésies de Buonaccorso, elles se réduisent à un petit nombre de Sonnets auxquels on a fait quelquefois l'honneur de les comparer à ceux de Pétrarque; mais c'est un éloge qu'il ne faut pas prendre à la lettre, sous peine de confondre les inspirations du sentiment et du génie avec les produits de l'art dans șa médiocrité, et borné, à peu de chose près, à ses seuls moyens.

Mais c'est à l'émulation qu'excita subitement le prodigieux succès du Décameron, que l'on doit les écrivains les plus distingués de cette époque, parmi lesquels Franco Sacchetti doit être placé, et peut-être au premier rang. Outre un assez grand nombre de poésies pleines de naturel et d'élégance, pour la plupart encore inédites, au regret de ceux qui en connaissent des fragmens F. Sacchetti a laissé deux volumes de Nouvelles. On ne leur préfère que celles de Boccace avec

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lesquelles elles n'ont guère, d'ailleurs, que les rapports généraux en vertu desquels les unes et les autres appartiennent à un même genre de littérature, genre tout-àfait particulier à l'Italie. Ecrites avec moins d'élégance, composées avec moins d'art, moins riches en trails éloquens, moins variées que celles qui composent le Décameron, elles sont, en général, d'un ton plus simple plus naturel et plus franc; et l'on y trouve une foule de traits de la naïveté la plus piquante, on serait tenté de dire, la plus hardie. Elles ont d'ailleurs en commun avec ces dernières, et peut-être à un plus haut degré le mérite de peindre avec énergie et vérité les mœurs et l'esprit du tems qui en a fourni les sujets, et de celui où elles ont été écrites. Aussi ne tiendrait-il qu'à l'historien qui saurait les lire avec le discernement convenable, d'y puiser beaucoup de notions utiles qui ne se sont conservées que là; mais c'est dans M. Ginguené même qu'il faut prendre une idée juste de cet intéressant et singulier recueil. Il aurait pu sans doute en parler avec plus de développement, sans courir aucun risque de fatiguer ses lecteurs; mais ce qu'il eu a dit suffit pour marquer la place de Sacchetti parmi les écrivains de sa nation et de son siècle; et cette place est certainement plus distinguée que ne le ferait présumer d'abord la nature et l'espèce de familiarité du genre dans lequel il s'est

exercé.

Un autre écrivain de Nouvelles, contemporain de Franco Sacchetti, mais dont la personne est moins connue, c'est Giovanni Fiorentino qui a laissé aussi un recueil assez considérable de Nouvelles, sous le titre bizarre de Pecorone.

Notre historien, d'accord en cela avec les littérateurs italiens, lui donne au moins autant d'éloges qu'à Sacchetti, en ce qui concerne la correction et la beauté de la langue et du style. Plusieurs de ses Nouvelles sont, en effet, écrites avec une certaine élégance facilement et doucement soutenue qui en rend la lecture fort agréable. Il y en a aussi quelques-unes qui sont intéressantes pour le fond: par exemple, celle qui a fourni à Shakespeare le canevas et les principaux incidens de son Marchand

seulement

de Venise, l'une de ses pièces les plus ingénieusement conduites. Mais à tout prendre, Giovanni Fiorentino ne saurait être compare pour l'invention des détails, pour la vivacité et la flexibilité d'esprit, je ne dis pas à Boccace, mais même à Sacchetti. C'est ce que prouvent plusieurs observations de M. Ginguené; mais l'observation qui, je crois, le prouverait le mieux. et que, pour cette raison, je m'étonne de ne pas trouver dans notre historien, c'est que sur cinquante-trois Nouvelles, la plupart assez longues, qui composent les éditions les plus complètes du Pecorone, il y en a plus de la moitié qui ne sauraient être appelées des Nouvelles dans le sens exact de ce mot, et ne sont que de pures et froides compilations de chroniques historiques. Sans doute ni Boccace, ni Sacchetti n'ont inventé le fond d'aucune de leurs Nouvelles; ils l'ont puisé dans les traditions qui circulaient, ou dans les histoires qui se lisaient de leur tems; mais ils en ont inventé ou animé les détails par ce qu'ils y ont mis de leurs idées, de leur sentiment et de leur esprit. Giovanni Fiorentino, au contraire, n'a fait que copier servilement, et très-souvent à la lettre, des chapitres pris comme au hasard dans des livres qu'il avait sous les yeux, et particulièrement dans la chronique de J. Villani. Quant aux nouvelles du Pecorone auxquelles ce titre convient réellement, je soupçonne G. Fiorentino d'en avoir puisé non seulement le fond et le motif, mais souvent aussi l'ordonnance et les détails dans des sources aujourd'hui perdues, pour la plupart, mais dont on retrouverait, au besoin, quelques-unes."

Après nous avoir fait connaître deux des prosateurs les plus anciens et les plus célèbres entre les imitateurs de Boccace, et nous avoir justement intéressés à eux, M. Ginguené revient à la poésie; et ce sont deux imitateurs du Dante qu'il offre à notre attention: Fazio degli Uberti, et Federigo Frezzi, le premier Florentin, et le second de Foligno. On a de Fazio degli Uberti quelques poésies lyriques qui ont du mérite et du caractère; mais il a laissé aussi un grand poëme intitulé: il Dittamondo où, dans un cadre analogue à celui de la Divine Comé die, il trace une description géographique du globe, à

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