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peu-près aussi complète que cela était possible alors, et entremêlée de diverses fictions poétiques qui sont comme autant d'épisodes de la fiction générale sur laquelle le poëme est fondé. Ce poëme est rare et peu connu même en Italie, et j'avoue que je dois tout ce que j'en sais au travail de M. Ginguené: mais ce qu'il en dit est remarquable, et me paraît plus que suffisant pour prouver que le Dittamondo mériterait d'être beaucoup plus connu qu'il ne l'est. Peut-être l'attention qu'il a donnée à cet ouvrage et le jugement éclairé qu'il en porte inspirerontils à quelque Italien zélé pour la gloire littéraire de sa patrie, le projet d'en donner une nouvelle édition, et de le retirer ainsi d'un injuste oubli.

Pour dire un mot de Federigo Frezzi, il est l'auteur d'un long poëme où il décrit les quatre règnes de l'Amour, de Satan, des Vices et des Vertus, et pour cela, et pour cela, intitulé: il Quadriregio. Ce poëme est plus connu que le Dittamondo, mais il ne l'est point encore assez, d'après l'idée qu'en donne M. Ginguené.

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Le dernier poëte du quatorzième siècle dont notre historien ait fait mention avec quelque particularité, c'est Antonio Pucci, singulier personnage et poëte non moins singulier, qui eut, je ne sais si je dois dire la patience ou la folle fantaisie de paraphraser en vers, dans le mètre difficile que les Italiens nomment terza rima, la longue chronique de J. Villani, son compatriote. Il décrivit aussi l'état de Florence à l'époque de 1373, dans, un Capitolo dont parle M. Ginguené, mais qu'il n'a pu qualifier de satirique que par distraction. Ce n'est qu'une description chorographique de Florence, la plus sèche que l'on puisse imaginer, et un catalogue rimé des familles qui prospéraient alors dans cette ville, et tout cela ne ressemble guère à une œuvre poétique quelconque, et moins à une satire qu'à toute autre chose. Ce qui a valu à Antonio Pucci la mention qu'en a faite M. Ginguené, et ce qui la méritait effectivement le plus, ce sont quelques sonnets, satiriques pour la plupart, et d'un ton assez voisin du burlesque, dont les plus sail lans ne sont malheureusement pas les plus chastes.

Tout ce grand tableau littéraire du quatorzième siècle,

c'est-à-dire d'un des siècles les plus glorieux que présentent les annales de l'esprit humain, est terminé par où M. Ginguené embrasse

un résumé très-bien conçu,

d'un seul regard les diverses directions des études et des esprits durant tout le cours de ce période, et discerne ce qui est résulté d'heureux et d'efficace, ou de stérile et de désavantageux, de chacune de ces directions. On sentira facilement qu'après des discussions aussi variées que celles qui précèdent, et après tant de notices partielles sur des hommes emportés ou conduits par des opinions ou des vues différentes, un tel résumé était, non-seulement utile, mais en quelque façon nécessaire, pour aider la pensée du lecteur à réduire dans un cadre général et simple beaucoup de faits et de détails en apparence isolés et indépendans les uns des autres.

Ce qui me reste à examiner de l'ouvrage de M. Ginguené consiste en six chapitres, qui remplissent presque les deux tiers du troisième volume, et contiennent tout le quinzième siècle de la littérature italienne.

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c'est que,

M. Ginguené débute dans cette nouvelle partie de son vaste sujet par une observation générale très-importante: si les grands hommes du siècle précédent s'étaient, en quelque sorte, formés d'eux-mêmes, et n'avaient presque rien dû qu'à la force et à l'ardeur de leur génie, ceux qui les suivirent furent, au contraire, puissamment secondés par les circonstances et jusqu'à un certain point façonnés par elles : et il part de cette observation, pour entrer plus avant qu'il n'avait eu besoin jusque-là de le faire, dans les détails de la situation politique de l'Italie, et de ses relations avec le reste de Europe. En effet, la liaison entre les événemens politiques et la condition des lettres devient plus immédiate et plus apparente qu'elle n'avait encore été. La chute de l'Empire d'Orient et l'émigration des savans de Constantinople en Italie, coincidant presque avec la découverte. de l'imprimerie, déterminèrent dans la culture et la marche de la littérature et des sciences une révolution si grande, qu'elle comprenait, pour ainsi dire, en elle toutes celles de l'avenir le plus indéfini.

Le quatorzième siècle avait été pour l'Italie le siècle

du génie, non pas dans les sciences de raisonnement et de fait, mais en tout ce qui devait constituer les grandes bases de la littérature nationale: le quinzième fut proprement celui de l'érudition. On avait bien à l'époque de Pétrarque et de Boccace, outre une connaissance assez approfondie du latin, une certaine teinture de la langue grecque ; et tout le monde sait que ces deux grandshommes se signalèrent par l'ardeur avec laquelle ils étudièrent Homère et quelques autres écrivains de l'antique Grèce; je serais même tenté de croire, contre l'opinion aujourd'hui dominante en Italie, que Dante avait lu le texte de quelques ouvrages grecs. Mais toutefois ce ne fut qu'au quinzième siècle, que l'étude de la littérature et des langues anciennes, surtout de la grecque, devint générale, dominante, et fut soumise à certaines règles, de goût et de critique. Aussi, la tendance à l'imitation des anciens devint-elle dès-lors aussi absolue et aussi exclusive qu'elle pouvait l'être. La littérature nationale fut sacrifiée à la recherche, à l'interprétation, on pourrait dire, au culte des productions littéraires de l'antiquité; et il n'y eut guère que des hommes dont l'amour de la gloire ou la vanité n'étaient pas le premier mobile qui écrivirent en italien, surtout dans les deux premiers tiers du siècle. Nul doute enfin que la langue de Dante," de Pétrarque et de Boccace n'eût été dès-lors oubliée ou anéantie, pour peu que cela eût dépendu des érudits.

Cette espèce de restauration de la littérature ancienne n'aurait jamais pu avoir lieu sans la munificence et les encouragemens les plus décidés des gouvernemens et des souverains. Ainsi, M. Ginguené a eu raison de commencer par exposer dans un chapitre particulier les services rendus, à cet égard, par les princes et les autorités souveraines de l'Italie. Il les montre dans des circonstances plus ou moins favorables, et avec plus ou moins de ressources pour seconder ce penchant de leur siècle; mais le secondant presque tous avec zèle; presque tous consacrant une portion considérable de leurs. revenus à former des collections de manuscrits grecs et latins, et à salarier largement les savans chargés de la découverte de ces manuscrits et de tous les travaux qui

devaient rendre cette

découverte profitable aux lettres. C'est à cette époque cue l'on voit se former les premières bibliothèques publiques; et grâces à l'imprimerie qui venait d'être inventée, et passa rapidement d'Allemagne en Italie, les trésors littéraires de l'antiquité, à mesure qu'ils étaient retirés de la poussière, et sauvés d'une destruction prochaine, recevaient une sorte d'existence toute nouvelle qui les mettait à l'abri des ravages du tems, et même de tout retour accidentel des époques

de barbarie.

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Les trois chapitres suivans (c'est-à-dire les XIX, XX et XXI), renferment l'exposé à-la-fois historique et critique, mais cependant beaucoup plus historique que critique, de tout ce qui a été fait en Ítalie par les savans du quinzième siècle pour faire refleurir les lettres grecques et latines. On sent bien, sans que je m'arrête à en montrer les raisons, que cette partie du travail de M. Ginguené n'était pas susceptible du genre d'attrait, ni du degré d'intérêt qu'il a su répandre sur ce qui précède. Mais on reconnaîtra aussi, qu'à moins de laisser dans son ouvrage une grande et évidente lacune pouvait passer sous silence ni même traiter légèrement une époque d'où date pour l'Europe entière une certaine communauté de goût et de principes dans la culture des lettres et des arts; c'est-là pour la littérature italienne un titre de gloire que son historien ne pouvait se disde faire valoir. Et quel homme prétendant au penser titre d'homme éclairé peut, sans une sorte d'ingratitude et d'injustice, ignorer tout-à-fait les noms, les tentatives et les travaux de tant de savans qui, nés peut-être avec du génie, c'est-à-dire, capables d'inventer et de produire, se bornèrent et se dévouèrent à connaître et à faire connaître tant de chefs-d'œuvre qui semblent devoir. rester à jamais les modèles du beau ? N'est-ce pas à la contemplation de ces modèles que le génie des modernes doit ce qu'il a de plus élevé et de plus pur, et pourrait, s'il était bien dirigé, devoir bien plus encore, je veux dire les moyens de les surpasser ?

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M. Ginguené a fait, d'ailleurs, tout ce qui dépend d'un écrivain habile, lorsque dans un tableau très-riche,

et très-intéressant dans son ensemble, il vient à rencontrer quelque point moins fécond, en résultats curieux, ou en grands exemples: il n'a insisté que sur les points les plus essentiels relativement à son but principal, et il a disposé ses recherches sur un plan méthodique, sans toutefois intervertir l'ordre chronologique d'une manière sensible. Ainsi, le XIX chapitre est principalement con sacré à l'examen des travaux philologiques et littéraires proprement dits. Dans le XX, on trouve un récit succint, mais très-bien fait, des querelles qui s'élevèrent à l'époque dont il s'agit, entre les sectateurs de la philosophie de Platon et ceux de la philosophie d'Aristote; et c'est de ces querelles que datent proprement les études philosophiques en Europe. Dans le XXI, l'auteur traite d'abord des travaux qui eurent pour objet la découverte 'et les collections des monumens de l'histoire antique tels que les médailles et les inscriptions: il nomme ensuite les principaux écrivains d'histoire qui fleurirent dans la dernière moitié du siècle, et finit par ceux qui cultivèrent la poésie latine. Mais il faut remarquer que le goût pour les vers latins ne fut point particulier au quinzième siècle, il y fut seulement plus répandu; et ce qui caractérise le siècle sous ce rapport, c'est une connaissance plus intime de la langue, plus d'élégance, de souplesse et de richesse dans le style.

Après avoir observé l'espèce de difficulté attachée à l'histoire littéraire du quinzième siècle, en raison de l'uniformité des études, et sur-tout de l'asservissement presqu'absolu des esprits aux lettres anciennes, il est juste de ne pas omettre que cette époque présente néanmoins, indépendamment de son importance réelle, quelques côtés piquans pour la curiosité, et que M. Ginguené a saisis à son avantage. La fréquence et l'animo~ sité des querelles des érudits de ce siècle entr'eux sont sans doute plus propres à satisfaire quiconque se plaît à noter les faiblesses de la vanité humaine que ceux qui n'y voient que des exceptions scandaleuses à l'accord naturel du savoir et de la modestie. Mais ce qui est plus singulier encore, et plus intéressant à observer que ces querelles toutes si furieuses et presque toutes si vaines,

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