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SUSANNE, poëme en quatre chants, suivi du Repentir, et de Poésies fugitives; par Mme JOLIVEAU. Un vol. in-18. Prix, 1 fr. 50 c., et 1 fr. So c. franc de port. Chez Michaud frères, imprimeurs-libraires, rue des Bons-Enfans, n° 34.

AVANT qu'Horace eût donné le grand précepte si peu suivi :

Non satis est pulchra esse poëmata, dulcia sunto ;

traduit, mais peu littéralement, par le législateur du Parnasse :

C'est peu d'être sublime, il faut être touchant;

avant cet axiôme moderne, disons-nous, nos livres saints en avaient, dans l'antiquité la plus reculée, donné l'exemple; et c'est, comme l'on sait, la meilleure de toutes les leçons. Qui peut lire sans émotion les histoires de Joseph, de Ruth, de Susanne et de Tobie? Tous les arts s'en sont emparés. Les artistes, les poëtes et les écrivains de toutes les nations, ne se croyant pas une imagination assez féconde, un génie assez inventif pour intéresser par des fictions imitatives de la vérité, ont peint, sculpté, raconté en vers ou en prose les événemens tou chans que nous a transmis la Bible, c'est-à-dire le livre, antonomase qui désigne parfaitement ce précieux recueil dont le charme ravit et instruit tout-à-la-fois quiconque a conservé la droiture du cœur et de l'esprit; quiconque n'a point adopté ces doctrines odieuses aussi fatales à la société qu'aux individus qui la composent, Le mérite de ce recueil sacré, le livre par excellence, était bien connu de nos plus grands poëtes, Malherbe, Racine et J.-B. Rousseau. Ils y ont trouvé les plus beaux diamans de leur couronne. Mme Joliveau a donc fait un bon choix quand elle a mis en vers français l'histoire de Susanne.

Des deux lois capitales promulguées par le poëte romain dans le code du bon goût qu'on appelle Art

poétique, l'auteur que nous annonçons a suivi dans son

choix la première :

dulcia sunto (poëmata)...

En peut-on dire autant de la seconde :

Sumite materiam vestris, qui scribitis; æquam
Viribus ?

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Le chantre de Susanne a-t-il fait preuve d'une force proportionnée à son sujet? c'est ce que nous devons examiner. Voici le début de ce poëme :

Qu'un autre suive l'aigle au séjour des éclairs

Exalte le héros qu'admire l'Univers,

Que pour

lui le génie embouche la trompette;

Moi qui n'ose essayer qu'une simple musette,

Qui veux parer mon front de l'humble fleur des champs,
Je cherche à moduler quelques récits touchans

Ce début, simple et gracieux, est parfaitement dans le genre du poëme, et mériterait plus d'éloges s'il n'était pas déparé par deux impropriétés d'expression tout-àfait choquantes: on dit le séjour du tonnerre, mais non pas le séjour des éclairs ; de même, on ne peut dire moduler des récits, mais bien des chants.

En versifiant l'histoire de Susanne, Mme Joliveau s'est permis des changemens qu'elle appelle petits, et qui nous paraissent grands. Elle feint qu'un des deux vieillards calomniateurs, avait été, dans sa jeunesse, amoureux de Susanne, et sur le point de l'épouser. Outre que cette fiction n'est point heureuse, c'est un anachronisme; car dans la jeunesse de ce vieillard, Susanne, aussi jeune que belle, n'existait point. L'auteur représente encore absent Joachim son époux, qui se trouvait près d'elle quand elle fut accusée. Dans sa défense, Susanne est accompagnée d'Helcias son vieux père; de sa mère Salomith, qui présente au peuple-juge l'enfant de sa fille, et cette fiction est plus heureuse. Je la trouve bien préférable à celle de Baal, démon tentateur qui veut séduire Susanne par des prestiges, et qui ne séduit que les deux vieillards.

La vertu de Susanne au ciel portait la joie,

Baal désespéré, pour ravir cette proie,
En vain la berce, etc.

Tous ces détails de faits ou d'inventions sont écrits de ce style qui n'est nullement poétique.

Dans une première déclaration Joël dit à Susanne:

J'ai vécu, j'ai langui désolé, solitaire ;

Le devoir, l'amitié m'obligeaient à me taire ;
Je succombe à mes maux, tout me semble odieux,
Je ne puis plus souffrir la lumière des cieux.....
Dieu ! tu parais troublée, et changes de couleur !
A ce cœur accablé rendrais-tu le bonheur ?
Le tien est-il ému? daigne enfin me l'apprendre';
S'il existe un ingrat.... Joël, toujours plus tendre,
Malgré toi, malgré lui n'en est que plus constant.
Susanne lui répond avec l'air imposant :

Gardez-vous de jamais concevoir la pensée...........

Ce n'est point ainsi que Racine exprime les feux et le trouble de Phèdre ; et cet amour du vieux Joël se ressent fort des glaces de l'âge. Son rival Zarbas vient pour le supplanter auprès de Susanne, il lui représente son époux comme un infidèle indigne de sa tendresse.

Ton époux, ma Susanne, il te ravit son cœur,
Dédaigne tes attraits; mais moi qui les adore,
Je viens chercher le prix du feu qui me dévore.

Nous n'avons point choisi ces morceaux, on en trouve fréquemment de pareils dans tout ce poëme, et nous sommes fâchés d'être obligés de faire de telles citations. Il n'est point de si mince poëte qui ne puisse sentir toute la faiblesse de ce style.

Zarbas dit encore à Susanne :

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L'amour rapproche tout, le rang, F'état et l'âge;

Ta divine beauté doit être son partage.

Ne vois donc point en moi, Susanne, un séducteur
Mais un amant discret, mais un consolateur.

Susanne dit à sa suivante :

Ton œil observateur

A-t-il de ce jardin percé la sombre enceinte,

Et puis-je au fond des eaux poser

le pied sans

crainte ?

Elle pâlit. Ses cris sur ses lèvres tremblantes
Expirent; elle sent ses forces défaillantes,
Et ses yeux obscurcis roulent des pleurs amers.
Il croit en triompher; les monstres des enfers
Espèrent son bonheur arraché la
par crainte
L'allégresse déjà dans leurs regards est peinte;
Mais ta vertu, Susanne, a fait fuir la terreur;
Le trépas, le mépris ne te font point horreur.

;

On ne peut pas reprocher à ces vers d'être travaillés; ils sont d'une rare simplicité : mais la muse française qui chante Susanne, quelque intéressante, quelque aimable qu'elle puisse être, n'aurait pas dû se montrer ainsi au public sans nulte parure.

:

Un goût plus sévère lui auraît aussi appris à purger son poëme de beaucoup d'expressions non-seulement prosaïques, mais impropres et incorrectes. Par exemplé, Mme Joliveau dit le ruban qui couvrait l'ivoire de son pied. On peut dire son pied d'ivoire, mais je ne crois pas que l'on doive se permettre l'ivoire de son pied: on demandera pourquoi; le goût ne saurait donner de raison: c'est comme un sixième sens dont les jouissances délicieuses ne peuvent être analysées. Despote absolu, il régit impérieusement les bons écrivains qui lui obéissent avec fidélité, quoique jamais il ne leur rende compte de ses permissions et de ses défenses. En peignant les charmes de la belle Inès, le Camoëns a fort bien dit, et après lui son traducteur français, ses jambes d'argent, ce qui présente l'image exacte et voluptueuse d'une belle jambe de femme. A cette expression substituez l'argent de ses jambes, et vous verrez ce que c'est que le goût, vous sentirez ce qui le blesse, ce qui le flatte.

Enfin, comment a-t-on raconté le fait? Comment a-ton peint la belle Susanne au băin ? Je lis :

Elle dit : vers le bain un doux charme l'entraîne;
Le bain calme les sens, il calme aussi la peine....

Et le lin délicat, et la chaste ceinture,

Ses habits les plus chers vont couvrir la verdure,...
Ses contours délicats, sa peau douce, éclatante,
Chaque veine d'azur qui sous les lis serpente....

Certes, ce n'est pas ainsi qu'il fallait faire ce tableau. Sans doute, en racontant cette histoire, l'écrivain sacré a voulu, pour l'instruction de la plus belle, de la plus intéressante moitié du genre humain, peindre l'union si rare de la beauté et de la chasteté, les vertus sous la forme des grâces, et la protection céleste qui au besoin ne leur manque jamais. Susanne est un mot hébreu qui signifie rose et lis. Il fallait donc peindre, ou du moins esquisser ces roses, ces lis; et Mme Joliveau devait ici emprunter le pinceau de Santerre et le burin de Porporati. On eût bien fait de représenter cette belle comme une colombe innocente sous la griffe de deux vautours, Susanne défendant ses charmes contre les entreprises de deux vieux impudens, contre les honteux larcins de l'amour hideux et ridicule en cheveux blancs; et ces tableaux tracés par une main savante, pouvaient être, à-la-fois voluptueux et modestes.

Le même amour de la vérité qui a rendu nos critiques nécessaires, nous porte à avouer, et de très-bon cœur, qu'il y a dans ce petit poëme beaucoup de vers heureux qui expriment spirituellement une foule de sentimens honnêtes. Voici le début poétique du troisième chant:

Déjà l'astre fécond qui verse la lumière

Touchait dans son déclin les bords de l'hémisphère,
Et semblait agrandir son disque étincelant;

Sa pourpre se mêlait à la frange d'argent

Des nuages légers qu'un doux zéphyr promène;
Déjà brillait Vénus dans la céleste plaine.

Susanne respirait la fraîcheur des jardins,
Le doux parfum des fleurs, l'eil flatté des raisins,
Dont les ceps amoureux ornaient le sycomore,
Paré des fruits vermeils qu'il n'a point fait éclore.

Au lieu de paré, pléonasme synonyme d'ornaient, il fallait mettre fier, orgueilleux,

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