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Nous ne citerons rien du très-petit nombre de Poésies fugitives qui terminent le volume. Nous pourrions, il est vrai y trouver plusieurs passages dignes d'éloges; mais la part de la critique serait plus grande, et c'est l'ouvrage d'une femme que nous avons sous les yeux : ce titre mérite des égards. D.

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UNE BONNE ACTION.

La mort d'un homme respectable dont nous avions le bonheur d'être l'ami, a fait tomber cette lettre entre nos mains. Si les sentimens qui nous attachaient à l'auteur ne

nous font pas illusion, l'anecdote qu'elle renferme ne sera pas sans quelqu'intérêt pour nos teéteurs. Ignorant jusqu'à quel point il peut convenir aux personnes dont il est fait mention dans cette lettre de s'y voir citées nominativement, nous avons cru devoir faire usage de noms supposés ; c'est le seul changement que nous nous soyons permis.

Rennes, le 21 février 1788.

Je voudrais bien, mon ami, pouvoir fixer l'époque où je partirai d'ici pour aller te rejoindre; mais cela dépend de tant de causes étrangères à ma volonté, que je ne puis encore te rien dire de positif à ce sujet. Dans tous les cas, compte, pour abréger notre séparation, sur le désir que j'ai de me retrouver près de toì.

Il faut avouer que sans le secours d'Emmanuel,j'aurais en bien de la peine à sortir du dédale d'affaires où je me trouvais engagé, et je vois qu'il est bon d'avoir un conseiller au Parlement pour frère, quand on a pour intendants des avocats et des procureurs. Au demeurant, je me trouve beaucoup plus riche que je ne l'espérais, et comme la fortune ne fait jamais rien à demi, après m'avoir comblé de faveurs aux bords du Gange, elle me procure en France des successions que j'étais loin de désirer et d'attendre.

A propos de succession, je te dois le récit d'une petite aventure qui m'est arrivée il y a quelques jours, J'ai toujours entendu dire que c'était gâter une bonne action que de la publier; mais ce n'est pas la publier que d'en faire

part à son ami ; c'est, tout simplement, s'en rendre compte à soi-même.

Venous au fait. Lorsqu'à mon arrivée, mon curateur me mit sous les yeux l'état de mes biens, je vis avec surprise que le baron de Saint-Maurice, cousin-germain de mon père, mort il y a deux ans, m'avait institué par testament son légataire universel d'une fortune d'environ deux cent mille francs de capital. Les dispositions de ce testament m'étonnèrent d'autant plus que je connaissais au baron deux neveux auxquels cette succession devait naturellement appartenir. Je m'informai des motifs qui avaient pu déterminer le testateur à frustrer de ses biens ses héritiers légitimes. On m'apprit que ce vieillard célibataire, qui avait recueilli chez lui ces deux jeunes gens sans fortune, qui s'était chargé de leur éducation, et les avait entretenus honorablement dans la différente carrière qu'ils avaient embrassée, avait eu beaucoup à s'en plaindre dans les dernières années de sa vie, que l'aîné avait été obligé de quitter son régiment et le royaume, pour avoir tué en duel un de ses camarades, et que le cadet, après avoir renoncé au barreau, au moment d'y remplir une place honorable, avait épousé, contre l'aveu de son onclé, une jeune fille de cette ville sans fortune et sans naissance. Je sus que l'officier, dont l'affaire avait été assoupie, se trouvait à Rennes, ainsi que son frère, et que depuis deux ans ils avaient en vain épuisé toutes leurs ressources pour faire casser le testament de leur oncle. Mes informations bien prises, et sachant qu'ils ignoraient encore mon arrivée j'engageai mon frère qui les voyait quelquefois à me faire dîner avec eux. Emmanuel, sans vouloir approfondir mes motifs qu'il pressentait sans doute, invità pour le lendemain les deux frères et la femme du plus jeune. Tous trois se rendirent à son invitation; nous nous étions perdus de vue depuis trop long-tems pour qu'ils pussent me reconnaître, Emmanuel suppléant à leur mémoire, leur dit en me condnisant vers eux: Messieurs, je vous présente mon frère, le chevalier Félix. La tête de Méduse ne pétrifiait pas mieux son monde. Ils restèrent immobiles; mais revenus de leur première surprise, mes cousins me firent une légère inclination sans daigner répondre au compliment que je leur adressai.. Je vis avec plaisir, en jetant les yeux sur la jeune femme, qu'elle était douée d'une de ces figures douces et gracieuses qui peuvent servir d'excuse, à bien des folies: je m'approchai d'elle, et j'en reçus un accueil, qu'en dépit du regard

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que son mari lui lança, elle ne parvint pas à rendre désobligeant. On se mit à table, la conversation fut sèche et générale; mais lorsque les gens se furent retirés, Emmanuel parla du baron de Saint-Maurice; j'en fis l'éloge. Le mari de la jolie cousine, qui ne cherchait qu'une occasion d'éclater, ne perdit pas celle que je lui offrais avec intention. La mémoire de mon oncle, dit-il avec un rire amer ne recevra pas un grand lustre de vos louanges; on sait le cas que l'on doit faire d'une oraison funèbre payée au poids de l'or. La sortie est un peu brusque, mon cher cousin, répondis-je sans aigreur; mais comme le reproche a le même motif que vous supposez à l'éloge, il est permis de ne pas le croire plus juste. Le même motif? Qui; vous me jugez assez sévèrement pour ne voir dans mes louanges que l'expression de la reconnaissance d'un héritier; je puis bien ne voir dans votre humeur que le regret de l'héritage.-Dans tous les cas, Monsieur, mes regrets ne sont pas, ainsi que votre reconnaissance, une injure à la justice. Je ne vois pas jusqu'à présent en quoi je m'en suis écarté.-Et moi, re

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prit l'aîné des deux cousins, je ne vois pas de raisons pour engager une discussion sur laquelle les lois ont prononcé. Mon oncle était le maître de ses biens; nous étions ses héritiers naturels, il a cru avoir à se plaindre de nous, et nous a frustrés de sa succession en faveur d'un parent éloigné : ce parent arrive et recueille un héritage qui lui est légalement acquis; rien de plus simple. Nous pouvons taxer d'injustice la volonté du testateur; nous avons d'excellentes raisons pour cela; mais d'autres en ont d'aussi bonnes pour la justifier; laissons donc une conversation chagrinante pour celui qui possède, parce qu'elle mêle à ses plaisirs l'idée du dépouillement d'autrui, et plus chagrinante pour nous qui, n'ayant plus rien à prétendre, croyons encore avoir droit à tout réclamer. Je ne prends pas aussi facilement mon parti, répliqua l'autre, et je ne m'accoutume pas à regarder de sang-froid une extorsion légale. Monsieur peut en juger différemment; la justice des Indes après tout ne ressemble peut-être pas à celle d'Europe.-J'écoutai avec une tranquillité imperturbable tous les traits piquans qu'il plut au cher cousin de me lancer, et que sa femme cherchait à détourner par les interprétations qu'elle donnait au discours de son mari, et la douceur aimable dont elle accompagnait les siens. Son frère continuait à blâmer ses plaintes, et le bon Emmapuel attendait avec impatience la fin de cette scène. Après avoir bien mis le jeune homme dans son tort: Mon

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sieur, lui dis-je, je croyais m'attirer quelques remercimens, et je vois que c'est moi qui finirai par vous en devoir. En priant mon frère de nous réunir, je n'avais en vue qu'un acte de justice, et vous m'offrez l'occasion d'en faire un de générosité. Mon notaire entra dans ce moment; monsieur, continuai-je, en le fesant asseoir près de moi, est chargé de répondre à vos injures, et je lui cède la parole. Les deux frères demeurèrent interdits, incertains encore où j'en voulais venir; ma petite cousine me regardait avec des yeux qui m'indiquaient déjà qu'elle m'avait entendu (les femmes vont plus vite au-devant d'un procédé délicat). Le notaire, sans autre préambule, tira de sa poche un papier dont il fit lecture. Ce papier n'était autre chose qu'un acte formel de renonciation à l'héritage du baron de SaintMaurice, et le transport de tous mes droits à ses neveux. Je voudrais pouvoir te peindre les différentes figures de mon auditoire à cette lecture; l'étonnement et la joie du frère aîné, la confusion profonde et attendrissante du cadet, l'expression vive et délicieuse de sa femme qui fondait en larmes, et la physionomic rayonnante du bon Emmanuel. Vous voyez, mon cousin, ajoutai-je en prenant la parole après le notaire, que la justice des Indes est la même que celle de l'Europe; mais, si je ne suis que juste en renonçant à un bien auquel je vous crois des droits mieux fondés quoique moins reconnus que les miens, vous avouerez qu'il y a quelque générosité à les proclamer dans ce moment. Et sur-le-champ je signai l'acte dont on venait de donner lecture. Mon étourdi se confondait en excuses, son frère en remercîmens, la petite femme en pleurs. Embrassons-nous, mes chers cousins, dis-je avec cette gaieté que donne le contentement de soi-même, et buvons à la mémoire du baron qui doit maintenant nous être cher à tous. Je reçus, avec le plaisir le plus vif que j'aie peut-être éprouvé de ma vie, les témoignages de reconnaissance dont m'accablèrent ces et le baiser mouillé de larmes que me donna ma jolie petite cousine.

bons

parens,

Tu trouveras, comme moi, que je n'ai pas grand mérite à céder mes prétentions sur un bien qui ne ferait qu'augmenter ma fortune, et dont la jouissance est tout pour ceux aux dépens de qui je pouvais me l'approprier: mais aussi ce n'est pas du sacrifice de deux cent mille francs que je me vante à tes yeux, mais de celui que j'ai fait à mon devoir, de mon injure personnelle, et des mouvemens de mon amour-propre offensé. Comme on juge du,

mérite d'une action par ce qu'elle exige d'efforts

pour l'ac

complir, tu ne seras pas étonné, toi qui me connais, du prix que j'attache à la mienne.

Adieu, nous nous reverrons bientôt.

ENCORE SUR LA COMÈTE.

A MM. les Chroniqueurs.

Y.

Vous vous croyez, Messieurs, d'habiles gens avec vos anecdotes, vos bons mots, vos remarques et votre philosophie vous avez des ermites qui ne bougent pas des cercles de la capitale; des femmes de lettres qui crient au feu parce qu'on prétend qu'elles n'ont point de barbe au menton; des professeurs qui, à propos de ce Pygmalion sur lequel ils devraient se taire, vous entretiennent d'objets. dont on est convenu de ne jamais parler; des raisonneurs તે perle de vue sur la comète..... Mais ici je m'arrête, car que n'avez-vous pas? et j'en veux venir à la comète.

:

Vos journaux ont dit les plus belles choses du monde sur ce corps lumineux dont on ignore la nature et la marche. Les uns veulent que ce soit un astre en fusion, et les autres un monde qui sort de l'eau. Celui-ci veut que la lumière dont il brille, lui soit propre celui-là prétend qu'il la reçoit du soleil: un troisième, partageant le différent par la moitié, assure que cette lumière est mixte, et due à ces deux causes. Il y a de quoi contenter tous les goûts. Mais il est un point sur lequel on est convenu de s'enorgueillir : c'est le stoïcisme avec lequel on regarde cet astre aux longs cheveux. Jadis il présageait la fin du monde; à son apparition les temples étaient remplis, les confessionnaux obstrués, et nos ministres ne savaient plus auquel entendre. Voilà du moins ce qu'on a dit, ce qu'on a répété, et ce dont vous êtes convaincus, parce qu'il est flatteur pour votre amour-propre de vous croire et plus courageux et plus instruits que vos grands pères. Il semble, d'après tout ce qu'on a écrit depuis deux mois, que dans les siècles passés on ait toujours éprouvé de l'effroi en apercevant dans les airs la queue, la barbe ou la chevelure d'une comète, et que personne n'en a. peur dans le dix-neuvième siècle. Or, ce sont deux articles sur lesquels on est dans l'erreur; en voici les preuves. Commençons par ce qui est venu avant nous. Christophle de Gamon, fort mauvais poëte, vivait sous le règne d'Henri IV; il était contempo

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