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peuvent être pourvus, quelles doivent être les facultés, les habitudes et les idées de leurs habitans.

Dans la seconde dissertation, il interroge sur l'antiquité de la terre toutes les sciences l'une après l'autre ; l'astronomie, l'histoire, la physique, la botanique, l'histoire naturelle, les arts, font tour-à-tour leur déposition dans cette espèce d'enquête. «Il me semble, conclut l'auteur, qu'après avoir entendu le rapport unanime de toutes les sciences et de tous les arts, l'immense antiquité de la terre devient aussi incontestable que son mouvement autour du soleil. Aucune école de théologie ne nie aujourd'hui ce mouvement; et bientôt elles ne pourront nier que la création du monde ne soit aussi ancienne que toutes les sciences l'attestent. La vérité triomphe de tout à la longue. Le tems lime insensiblement les chaînes dont l'ignorance avait garrotté la pensée, et contraint les plus obstinés à se rendre à l'évidence. »

En général, la manière de philosopher de M. Gudin est saine et ferme. Il sait douter quand la raison prescrit le doute; quand la raison et l'expérience lui font voir une vérité comme démontrée, il la prend et la donne pour telle. Son ouvrage a été durement traité dans quelques journaux. N'en est-ce point là la cause, plutôt que certaines expressions de sa préface, et certains défauts de son poëme? Ces défauts cependant sont assez nombreux; le plus grand et le plus habituel est, selon moi, la faiblesse de style et le peu de couleur poétique : il me serait trop aisé d'en donner ici des exemples; mais si l'on considère la difficulté du sujet, proportionnée à son importance, la nouveauté dont il était dans notre langue, et les améliorations considérables que le poëme a reçues dans cette seconde édition, ne doit-on pas espérer qu'avec de nouveaux soins M. Gudin parvienne à nous donner sur ce beau sujet un poëme didactique qui joigne à l'exactitude, à l'ordre et à la clarté, l'agrément dont ce genre austère est susceptible? et si cette espérance est fondée, si les efforts déjà faits annoncent qu'elle peut être remplie, quel est le véritable ami des sciences. et de la poésie, qui ne doive des encouragemens à l'au

teur plutôt que ces critiques dures et chagrines qui ôtent le pouvoir de perfectionner un ouvrage, et le désir même d'y revenir? GINGUENÉ.

RÉFLEXIONS SUR L'AMITIÉ.

TOUT être vivant a des forces bornées : mais cette limite des facultés qui, dans les animaux, ne produit généralement que l'impuissance, devient presque toujours chez l'homme une véritable misère. Ses passions lui font connaître l'indigence au milieu des biens superflus; elles lui font éprouver de la tristesse et une sorte de désespoir dans les succès les plus imposans.

C'est à de tels êtres que l'association convient : elle est utile chez plusieurs animaux elle semble nécessaire à

l'homme.

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Si deux hommes sont unis, les besoins de tous deux ne sont pas plus grands à quelques égards, que ne le seraient ceux d'un seul, et leurs forces sont supérieures aux forces de deux hommes séparés. L'union fait plus, quand elle est parfaite; elle satisfait tous les désirs, elle simplifie tous les besoins, elle prévient les vœux de l'imagination elle remplace tous les biens; c'est un asile toujours ouvert une fortune devenue constante, une prospérité immuable.

Ainsi la misère de l'homme fait que l'amitié lui est propre, et l'étendue de ses désirs la lui rend presque indispensable. C'est parce qu'il se connaît, qu'il cherche un ami; parce qu'il s'aime lui-même, il s'attache à ce qui n'est pas lui.

Rien n'est désintéressé dans l'homme; si l'on supposait en lui quelque chose de désintéressé, cela ne serait pas humain. Tout ce que peuvent faire et l'homme prudent, et l'homme vertueux, c'est d'associer leurs semblables a eux-mêmes, ou de concilier les intérêts des autres tems avec ceux du tems présent. Divers actes d'amitié sont désintéressés; mais l'amitié toute entière et considérée dans ses causes, dans ses fius, dans son cours général, ne pent être qu'un produit de l'intérêt mutuel. Un ami s'oublie souvent en agissant pour son ami, mais ce n'est que dans ses propres besoins qu'il faut chercher la cause première de cette amitié. Ceci ne détruit ni les actions généreuses, ni les grands sacrifices, ni l'héroïsme même de

l'amitié. Pour jouir d'une sécurité durable, nous sommes. convenus qu'au besoin l'un des deux s'exposerait, se sacrifierait pour l'autre. Celui qui ayant joui d'un tél avantage ne remplirait pas ces conditions quand le moment en est yenu, serait un homme abominable. Nous les remplissons volontiers, et avec une sorte de joie, car les anciens plaisirs de cette union nous ont rendu cette autre partie de nous-mêmes aussi chère que la première : puisqu'il faut que l'une périsse pour l'autre, ce qui est resté de personnel dans nos affections, c'est-à-dire, le soin de notre dignité individuelle, veut que nous nous montrions dignes de la confiance générale qu'on avait en nous, et que nous remplissions l'engagement tacite que nous avons certainement contracté. Ce principe vertueux qui soutient secrètement nos propres intérêts, ne permettrait pas que la bassesse de notre conduite humiliât celui dont l'estime se confond avec l'estime que nous faisous de nous-mêmes.

L'amitié est tellement un résultat de l'intérêt personnel que deux amis brouillés se reconcilient et deviennent intimes dans un lieu désert. Les circonstances qui les séparaient ne sont plus; les intérêts accidentels ont cessé de les diviser, les intérêts communs à tous les hommes les unissent.

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Puisque l'homme, n'ayant d'autre fin connue que luimême, ne fait aucun effort qui, dans son intention du moins ne tende à son propre bien, soit des voies directes, soit par des voies déguisées, l'amitié, ne perd rien de sa grandeur pour être soumise à la loi qui embrasse toutes les choses humaines, et, comme le dit Cicéron, c'est, après la sagesse, le premier bien de l'homme sur la terre. Le premier après la sagesse; car, bien que les sages soient seuls de vrais amis, il peut arriver néanmoins qu'ils vivent sans amitié; mais quiconque est fait pour être ami est déjà sage, ou du moins aspire à l'être, et par conséquent ne saurait se passer de sagesse. Il faut à la foule des affaires et des danses; il faut à de certains hommes la sagesse d'abord, et ensuite l'amitié.

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L'amitié réelle ne convient qu'aux hommes vertueux l'amitié parfaite ne convient qu'au sage. L'amitié dans toute son étendue exige une ame qui commande à ses passions celui-là seul peut se donner entiérement qui se possède Ini-même; ainsi quiconque n'a pas cette force, quiconque n'est pas vertueux se montrera tôt ou tard indigne de, l'amitié; il en sentira peut-être la force, mais il n'en aura

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pas la constance, et n'en connaîtra point la sainteté. Pour concilier le devoir immense de l'amitié avec les autres devoirs de la vie sociale qui, moins étendus peut-être, ne sont pas moins sacrés, il faut une connaissance profonde et sur-tout impartiale des choses et des hommes, il faut un grand esprit d'ordre et un sentiment exact des convenances morales; l'amitié dans sa perfection n'appartient donc qu'au sage. D'autres hommes sont savans, d'autres voient juste, ou sont doués d'un admirable génie; mais le sage seul pressent d'assez loin les conséquences des choses, en regardant d'un œil égal tout ce qu'il peut apercevoir. Si plusieurs ont autant de sagacité, de justesse, ou même de profondeur, le sage est le seul qui observe habituellement l'ensemble, et qui voie chaque chose telle qu'elle est, en la considérant toujours à sa place dans universalité des êtres.

Te manque-t-il une seule vertu, renonce à l'amitié, disait l'école de Pythagore. En effet, celui qui ne réunit pas les qualités essentielles n'est point un sage. Le sage a des faiblesses et des imperfections, mais il n'a point de. défauts constans. La même école a défini l'amitié, le liende deux ames vertueuses cette définition serait insuffisante pour l'amitié parfaite, qui veut que l'on joigne à l'amour du devoir un caractère magnanime et les inclinations des sages. Il ne suffit pas d'être exempt du trouble des grandes passions présentes, il faut encore sentir le prix de la paix de l'ame, et aimer par-dessus toute chose la vie simple et naturelle.

Les hommes les plus extrêmes, dit Vauvenargues, ne sont pas les plus capables d'une constante amitié. On ne la trouve nulle part si vive et si solide que dans les esprits timides et sérieux dont l'ame modérée connaît la vertu; car elle soulage leur cœur oppressé sous le mystère et sous le poids du secret, détend leur esprit, l'élargit, les rend plus confians et plus vifs, se mêle à leurs amusemens, à leurs affaires et à leurs plaisirs mystérieux; c'est l'ame de toute leur vie.

Cette sympathie des sentimens et des idées, cette uniformité dans les principes de conduite et dans la manière de juger des choses, cet accord ne serait bien connu qu'après un long tems; mais on le devine en quelque sorte dans les détails de la vie, et l'on peut le pressentir aussitôt dans la familiarité. Celui qui n'est pas ton ami au troisième repas, disaient les Pythagoriciens, ne le sera jamais.

Cette union inviolable, cette jouissance réservée aux ames les plus faibles, appartient-elle également à toutes les saisons de notre vie, subsiste-t-elle sans s'affaiblir, tandis que tout le reste change ou s'altère dans cette durée illusoire qui n'est qu'une succession de ruines? Des moralistes ont observé que le sentiment actif de l'amitié ne prend point naissance au milieu de nos jours, et que trop souvent même on le voit s'éteindre à cette époque où l'homme semble s'isoler à mesure que ses liens avec la société générale s'étendent et se multiplient. Combien cette vie que nous nous sommes faite paraît différer de notre destination première! Ces liens innombrables affaiblissent les liens les plus précieux, et notre vaine inquiétude épuise l'activité naturelle. Au milieu de cette industrie soucieuse excitée par les passions, par les affaires, par les habitudes de la société, l'art paisible, le grand art d'aimer et de vivre, est pour jamais oublié.

Mais le charme de l'existence se maintiendra dans les coeurs que la folie des passions n'aura pas desséchés, et l'homme sage qui se refuse à ces mouvemens stériles ne verra point s'éteindre en lui les affections heureuses. Les difficultés, les entraves qui ont pu suspendre l'action de sa pensée, n'en ont que faiblement diminué la puissancé, et le malheur qui souvent l'a empêché de suivre ses penchans, ne lui a pas ôté le besoin d'une amitié parfaite. L'occasion peut en être refusée à l'homme de bien, mais jusqu'au dérnier moment il n'en perd ni le désir, ni la force.

L'amitié réelle suppose une ame détrompée que les passions n'agiteront point, et les amis sûrs sont ceux chez qui lé sentiment de l'ordre remplace l'instinct passionné. Le commun des hommes ou ne sent jamais tout le prix des biens véritables, ou ne le sent que dans la maturité de la vie; mais ceux-là sont formés plus particulièrement pour l'amitié qui n'attendent point la lente expérience, et qui ne sauraient être séduits à aucun âge par des prestiges vulgaires. Plutôt capables d'amitié, ils en éprouvent mieux aussi le véritable besoin. L'incertitude ou le découragement pourraient affaiblir celui qui, n'étant point abusé par les aveugles fantaisies du cœur, ne voit dans les choses que ce qu'elles contiennent un ami lui devient nécessaire, soit pour le dédommager de la perte de quelques songes qui peuvent bercer doucement les autres hommes, soit pour soutenir son courage et pour prévenir la lenteur naturelle

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