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LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.

GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET RAISONNÉE DE PORT-ROYAL, par ARNAUD et LANCELOT ; précédée d'un Essai sur l'origine et les progrès de la langue française, par M. PETITOT, inspecteur-général de l'Université impériale, et suivi du Commentaire de Duclos, auquel on a ajouté des notes. Seconde édition. Un volume in-8°. Prix 5 fr., et 6 fr. franc de port. - A Paris, chez Bossange et Masson, libraires de S. A. I. et R. Madame Mère, rue de Tournon, no 6.

A quelque distance de Paris, dans un lieu que la nature semblait avoir consacré à la paix et à la méditation, vivaient, loin des agitations de la vie publique et des tourmens de l'ambition, quelques sages qui dans l'union la plus douce se livraient aux exercices de la religion, à la pratique de toutes les vertus et aux charmes de l'étude. La raison, le goût et le génie semblaient avoir fixé leur domicile parmi eux, et tout ce qui sortait de leur plume portait le caractère de la sagesse et du savoir.

Qu'est devenue cette réunion vénérable? Où sont les toits pacifiques à l'ombre desquels ils ont composé tant d'ouvrages qui font, encore aujourd'hui, l'honneur et la gloire de la France ? La fureur des partis, l'envie et les intrigues d'une société rivale ont tout anéanti. Sous le règne d'un de nos plus grands rois, on a vu la hache et le marteau, animés par le fanatisme, frapper jusque dans ses fondemens l'asile de la paix et de la science. On a vu des hommes armés arracher de leurs modestes cellules des femmes tremblantes et infirmes, pour les traîner dans l'exil et les livrer à toutes les horreurs de la misère. Dans l'excès d'une fureur aveugle et brutale, on a violé la paix des tombeaux et dispersé la cendre des morts.

Aujourd'hui des monceaux de ruines, quelques pans

de murs qui formaient l'enceinte du couvent, un moulin dont le bruit sourd et monotone ajoute encore au silence du désert, voilà tout ce qui reste d'une grande et célèbre institution. Les troupeaux paissent là où des hommes éminens en science et en génie tenaient leurs doctes entretiens, le bœuf rumine sous l'ombrage où Paschal méditait les plus sublimes problèmes de la géométrie.

Quel avantage les ennemis de ces grands hommes ontils retiré de tant d'excès et de persécutions? Ils ont sacrifié à d'aveugles rivalités, à des arguties scholastiques, des hommes dont la mémoire sera éternellement chère aux amis de la vertu, de la science et des lettres. Ils ont obtenu une victoire d'un moment; mais combien ils ont payé chèrement ce triomphe passager! eux-mêmes ils ne sont plus; déjà plus d'un demi-siècle s'est écoulé sur les ruines de cette société fameuse qui prétendait imposer à l'univers le joug de sa puissance et de ses opinions.

Grande et mémorable leçon pour les esprits fiers et intolérans qui oseraient s'arroger exclusivement le sceptre de l'opinion, faire taire la pensée, substituer l'autorité à la raison, et la force à la persuasion? Mais tel est l'aveuglement et l'opiniâtreté de l'esprit de parti que rien në saurait en modérer les excès. Nous avons vu le fanatisme 6'introduire jusque dans la philosophie. Les jansenistes ont survécu aux jésuites; s'ils étaient aussi puissans que leurs rivaux, croyez-vous qu'ils fussent plus tolérans? Toute secte est ennemie de la paix, parce qu'elle est fondée sur le doute ou le mensonge, et quand on n'a pas pour soi l'évidence et qu'on veut dominer, il faut bien user de quelque violence.

Supposons maintenant que les hommes eussent été toujours sages, humains, modérés, qu'ils ne se fussent jamais écartés de ces principes de charité dont la religion feur fait une loi si noble et si douce; supposons qu'un évêque d'Ypres n'eût jamais composé un énorme volume sur la doctrine de S. Augustin; que des esprits de travers ne se fussent pas avisé de scruter cet inintelligible in-folio pour y découvrir des propositions téméraires, mal sonnantes et sentant l'hérésie; supposons que toute l'Eglise romaine ne se fût pas mise en feu pour des sub

tilités théologiques, que serait-il arrivé? Les savans de Port-Royal eussent, au sein de la retraite, continué leurs paisibles études, et de nouveaux chefs-d'œuvre auraient enrichi les lettres et les sciences. Quelle profondeur dans les écrits sortis de cette illustre école, et quels noms que ceux des Arnaud, des Paschal, des Nicole, des Lancelot, etc.!

A l'époque où l'un d'eux venait de fixer notre langue, d'autres cherchaient à découvrir les rapports du langage avec la pensée, à établir ses règles sur des bases invariables. Jusqu'alors les mots n'avaient été considérés que comme des sons; on s'était occupé du choix, de la pureté, de l'harmonie de l'expression sans songer à établir ses relations avec les opérations de l'entendement, ou si l'on avait essayé de le faire, toutes les tentatives. n'avaient produit que des résultats équivoques ou insuffisans. Arnaud fixa le premier ces incertitudes, et renferma souvent dans un mot une vérité profonde. C'est ainsi qu'en parlant du verbe il le définit: un mot dont le principal usage est de signifier l'affirmation. Son ouvrage est encore aujourd'hui classique, et depuis plus d'un siècle l'esprit d'analyse n'a presque rien ajouté à ses premières découvertes.

Nous avions une assez bonne édition de la grammaire de Port-Royal, publiée par l'abbé Froment, avec les commentaires de Duclos. M. Petitot a fait mieux, il a joint ses propres observations à celles de l'académicien français, et placé à la tête de l'ouvrage un essai sur l'origine et les progrès de la langue française. C'est un sujet neuf et plein d'intérêt; car quel tableau est plus digne de l'attention des hommes de lettres que l'arbre généalogique de la langue française !

On la voit à son berceau se dégager des ruines de la langue latine, combiner ensuite les élémens de la langue primitive avec les restes épars des langues du nord, étendre progressivement ses conquêtes sur les contrées voisines, s'approprier une partie de leurs richesses, rectifier et polir la rudesse de ses formes primitives, et se montrer enfin avec cette pureté et cet éclat qui en a fait la langue reine de l'Europe. Avant M. Petitot, ce sujet

avait été traité par Duclos, qui nous a donné deux dissertations insérées dans les Mémoires de l'Académie des belles-lettres. Il rapporte des monumens curieux, dont le plus ancien est la formule de serment entre l'empereur Charles-le-Chauve et Louis de Germanie. Cet acte remonte à l'an 848. On y trouve les premiers linéamens de la langue française encore confondus dans ceux de la langue latine; on reconnaît tous les traits de la mère dans ceux de la fille.

Pro don amur et pro Christian poblo et nostro commun salvament dist di en avant, in quam Deus savir et potir me dunat, si salvarai eo cest meon frudra Karlo et in adjudha et in cadhuna cosa, si com hom per dreit son fradra salvar dist.

« Pour l'amour du Seigneur et pour le chrétien peu»ple et notre commun sauvement, d'hui en avant, en »tant que Dieu savoir et pouvoir me donne, si sauveraije ce mien frère Charles en aide et en chacune chose, » si comme homme par droit son frère doit sauver. »

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La moindre attention suffit pour retrouver dans ce latin barbare tous nos titres d'origine et reconnaître les traces de nos premiers pas. On y voit le latin amené, par une décadence progressive, à une révolution inévitable, et forcé d'enfanter une langue nouvelle. Duclos cite ensuite des actes publics, et quelques morceaux de prose et de vers postérieurs à cette époque; il fait remarquer leur analogie avec cette première formulé, et descendant de siècle en siècle, il nous trace en abrégé lé tableau généalogique de notre langue. Mais ses recherches n'excèdent pas les bornes d'une dissertation et portent moins le caractère de l'histoire que celui d'une discussion littéraire. M. Petitot, en marchant sur ses traces, s'est fait un plan différent. Sa marche est plus vive, il dessine son sujet à plus grands traits; mais son burin a moins de profondeur et ses traits sont plus indécis. Son ouvrage renferme des vues exactes, son style est facile, ses tableaux sont distribués avec ordre et méthode; mais souvent il est plus orateur qu'historien, et les érudits lui reprocheront d'avoir trop négligé les titres justificatifs. On pourrait lui reprocher aussi đẹ

manifester quelquefois trop d'éloignement pour l'esprit et les vues philosophiques, de subordonner le mérite littéraire au mérite religieux, et d'écouter trop facilement ses préventions.

Il serait possible, par exemple, que l'on contestât à M. Petitot ce qu'il dit des grands écrivains du dix-septième siècle.

« Le caractère principal des bons auteurs du siècle » de Louis XIV fut le naturel et la vérité. Craindrait-on » d'avancer un paradoxe si l'on disait que ce fut à la » religion qu'ils durent ce caractère? L'écrivain qui croit » à la religion a des bases certaines; il ne fatigue point » son imagination en cherchant à pénétrer des mystères » inaccessibles à notre faiblesse; il ne se livre point au » délire de ses pensées; il ne corrompt point sa raison » et son style par de vaines recherches et par des sub»tilités contraires au bon goût. L'incrédule, au con» traire, 's'abandonne en aveugle à la raison humaine, » si faible pour expliquer tout ce qui est surnaturel; il »entasse systèmes sur systèmes, il s'égare dans un laby»rinthe d'idées qui se contredisent; son style employé » à peindre les écarts d'une imagination incertaine et » insensée, perd le naturel et la vérité. Cette opinion » n'a été justifiée que par trop d'exemples.

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Il me semble que la conclusion naturelle que l'on doit tirer de ce passage, c'est qu'il faut croire sans examen, et que la foi est l'unique source du naturel et du vrai dans les ouvrages d'esprit. Je ne veux point déployer ici toutes les conséquences qui naîtraient de ce principe, je me contenterai de proposer à l'auteur une seule difficulté. S'il est démontré que tout homme doit croire sans examen, comme la vérité est une et qu'elle ne connaît point les vaines considérations des tems, des lieux, des personnes, cette proposition sera vraie partout; ainsi le calviniste, le luthérien, l'anabaptiste, le musulman, etc. devront croire sans examiner, et la foi deviendra chez eux comme chez nous la source unique du naturel et du vrai. Mais si la religion du calviniste, du luthérien, de l'anabaptiste, du musulman est fausse, comme M. Petitot ne pourra se dispenser d'en convenir

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