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voilà donc la source unique du naturel et du vrai qui dérive essentiellement de l'erreur et du mensonge.

Il faudrait, je crois, quand on se jette dans ces sortes de discussions, et qu'on les place à la tête d'un traité de grammaire, commencer par fixer la valeur des termes et définir nettement ce qu'il faut entendre par religion. Il est évident qu'il n'existe qu'une certaine somme de vérités religieuses, et qu'au-delà de ce cercle tout n'estplus qu'erreur et superstition. Quand Cicéron se moquait, en secret, des augures, et de toutes les divinités chimériques dont la crédulité et l'ignorance avaient peuplé le ciel, quand il s'élevait sur les ailes de son génie, aux idées sublimes de l'unité de Dieu et à toute la majesté de ses attributs, il était assurément très-religieux; cependant il n'avait point la foi; sa croyance n'était pas celle du peuple, ce n'était même qu'en secret et dans l'intimité particulière qu'il osait l'exprimer. Un musulman qui douterait que Mahomet eût mis la lune dans sa manche, serait-il pour cela un homme irréligieux? Sans doute il est du devoir d'un homme de bien de respecter la religion de sa patrie,* parce qu'il est également de son devoir de ne troubler ni la paix des consciences, ni celle de l'Etat ; et c'est pour cela que la loi qui protège la liberté des cultes, et contient en même tems la turbulence dès sectes, est une loi sage, prévoyante.

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Lorsque quelques philosophes du siècle dernier, contens d'examiner les bases de la religion chrétienne, entreprirent de les saper et prêchèrent sa destruction, quand ils proposèrent une sorte de croisade contre les temples catholiques, il était juste d'étouffer leurs déclamations, parce qu'elles portaient tous les symptômes du fanatisme et qu'elles menaçaient l'Etat de ces excès qui ont éclaté depuis, et à la suite desquels on a vu les autels renversés, leurs ministres proscrits, et l'athéisme proclamé.

Mais si l'on suppose un homme d'une ame paisible, d'un cœur honnête et droit, qui dans le silence de la vie domestique s'occupe sincèrement de la recherche de la vérité, et travaille, par amour même pour la religion, à se dégager de tous les liens de la superstition et des pré

jugés ; s'il est fidèle aux lois de la vertu, aux règles de la morale, refuserez-vous de le placer aux rang des hommes vraiment religieux? Et croirez-vous que dans ses écrits il ne puisse jamais atteindre aux sources du naturel et du vrai? N'est-ce pas le respect pour les mœurs, l'amour de la justice et du bien public, qui inspire les sentimens nobles et les hautes pensées? Et de quelque foi que l'on puisse être doué, si l'on n'a pas ces vertus, peut-on se flatter d être véritablement religieux?

J'ai combattu avec quelque étendue l'opinion de M. Petitot, parce qu'il me semble qu'un livre d'instruction doit être exempt de tout esprit de parti; mais je lui dois cet éloge qu'il exprime ses idées avec une rare modération, qu'il ne prétend y assujétir personne et que son livre porte partout le caractère honorable de la franchise et de la conviction. C'est d'ailleurs un ouvrage qui se recommande par la sagesse des principes, la solidité du raisonnement, la facilité et l'élégance du style. Les observations sur le commentaire de Duclos sont pleines de justesse et de sagacité. L'auteur y défend, toujours avec avantage, la doctrine de Port-Royal, et dans toutes ses discussions on reconnaît aisément l'homme éclairé qui a long-tems médité sur les principes du langage et le caractère propre de la langue française. Les jeunes gens, les gens du monde, et les professeurs même ne sauraient trop rechercher une édition faite avec autant de talent, de méthode et de soin. SALGUES.

L'ESPAGNE EN 1808, ou Recherches sur l'état de l'admi nistration, des sciences, etc., etc., faites dans un voyage à Madrid en l'année 1808, par M. REHFUES, bibliothécaire de S. M. le roi de Würtemberg; traduit en français sur le manuscrit en langue allemande. Deux volumes in-8°. - Prix, 10 fr., et 12 fr. 50 c. franc de port. A Paris, chez Treuttel et Würtz, libraires, rue de Lille, n° 17.

DEPUIS les époques les plus anciennes où l'histoire puisse remonter avec certitude, les terres voisines de la

Méditerranée furent le principal théâtre de l'activité humaine. Le contour de ce grand golfe forme une sorte d'abrégé du globe; on y trouve, dans un espace de vingt à vingt-cinq degrés de latitude, une réunion remarquable de différens sols et d'expositions ou de produits variés, et la température, quoique très-diverse, y est presque par-tout convenable à l'homme en société. Des forêts, des chaînes de monts élevés, et les sables de l'Afrique ou de l'Arabie circonscrivent ce vaste bassin qui ne fut réuni qu'une fois sous une même domination, mais qui semblait destiné à nourrir des peuples à-peu-près semblables dans leurs mœurs et soumis à des institutions analogues. Peuplée d'abord, ou du moins civilisée plus tôt dans sa partie orientale, cette région présente le phénomène d'une progression assez constante qui, en se rapprochant du pôle, étendit vers l'occident les effets de l'industrie moderne. A l'Egypte, à la Phénicie, succédèrent les Grecs, , que les Romains remplacèrent. Athènes périt après la chute des villes du Liban, Rome tomba plus tard, et le foyer des lumières et de la puissance se trouve enfin dans ces plages que baigne l'Océan, et que Tyr et Memphis croyaient aux confins du monde.

Les circonstances actuelles qui attirent sur cette péninsule les regards de l'Europe, y opéreront inévitablement des changemens essentiels, et rendent plus intéressant l'ouvrage de M. Rehfues qui l'a visitée au moment où l'ancien état de choses y subsistait encore. Mais indépendamment même de cette époque décisive, nul pays peut-être ne devait exciter plus de curiosité. Jusqu'aujourd'hui, cependant, l'Espagne, située si près de nous, était restée peu connue. Les monumens des beaux-arts, et ces grands noms que la terre des Romains porte encore, entraînaient les Français dans l'Italie, et peut-être l'étudiaient-ils mieux que la France même. L'imagination se plaisait sans cesse à franchir les Alpes, mais les Pyrénées semblèrent l'arrêter jusqu'au jour où une voix plus puissante introduisit et guida l'ardeur française au milieu du silence des Castilles. A l'exception de l'époque peu reculée où la rapide décadence des deux

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monarchies espagnole et portugaise les rendit presque
nulles dans la politique de l'Europe, le pays qui les
forme fut bien digne d'être observé dans l'étendue de ses
rapports, et dans l'ensemble de son histoire. Presqu'e
vironnée par les eaux et fermée par de hautes monta
gnes, cette contrée, d'une étendue moyenne, semblait
destinée à jouir d'une puissance paisible et d'un vaste
commerce. Cet isolement même et les monts qui la serb-5.
divisent, ainsi que de grandes différences dans la tem-Cen
pérature, et dès-lors dans les productions et le génie de
ses diverses provinces, devaient en faire, dans les tems
anciens, une confédération de peuplades facilement unies
et indépendantes. Presque également séparée, dans le
principe, des tribus celtiques et numides, la population
de ce pays, qui eut toujours un caractère particulier,
quoique formé de nuances contraires, oppose encore aux
nations du nord le valeureux descendant des Cantabres,
le laborieux Gallicien, et l'industrieux Catalan, comme
elle se rapproche de celles du midi par la gravité dans
l'humeur et la solidité dans les travaux des habitans de
l'intérieur, et par cette teinte du génie africain que l'on
retrouve jusque dans les femmes de l'Andalousie.

Par une de ces compensations qui existent souvent,
mais que l'on ne remarque point sans quelque surprise
l'Espagnol lent, constant, opiniâtre, parvint subitement
à un point de grandeur qui alarma l'Europe, et laissa
voir aussi promptement qu'il ne pourrait s'y maintenir.
Un événement unique dans l'histoire du monde vint, après
la soumission des Maures, donner le change en quelque
sorte à l'énergie des Espagnols, et prévint en Europe les
suites de leur prépondérance. De cette péninsule dont
les navigateurs avaient doublé la pointe de l'Afrique et
soumis les Indes, sortirent aussi ces hommes d'une
audace particulière à qui leur destinée gigantesque livra
l'immense proie d'un monde nouveau. Après l'avoir dé-
pouillée, après l'avoir dévorée, après avoir cherché dans
le christianisme même des prétextes impies pour sou-
mettre tout un continent à cet esclavage (1) que le chris-

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tianisme a, dit-on, détruit, le Castillan crut dominer dans l'Europe; mais il n'y parvint pas, et cette effroyable calamité d'une partie du monde fut impunie, mais infructueuse.

Il restait à l'Espagne des prétentions exagérées et mal soutenues, des souvenirs magnifiques, une fierté tantôt imposante, tantôt déplacée, un mépris risible pour tout ce qui n'est point espagnol, de l'ignorance sans incapadu découragement sans bassesse, et quelques hommes d'un grand mérite au milieu d'une multitude susceptible d'en avoir, mais encore incapable d'en sentir le besoin. Cette idée générale que les étrangers se formaient des Espagnes, est confirmée en grande partie, et rectifiée en quelques points par M. Rehfues, qui donne des renseignemens détaillés sur l'état des lumières dans ce royaume, sur son administration, sur les vastes ressources de sa marine et les entraves multipliées que le commerce y éprouvait, sur les fonctions de l'inquisition dans les derniers tems, et sur les mœurs ou l'influence du clergé.

L'auteur parle de la chimie et de la médecine comme des sciences les moins négligées par les Espagnols. Il décrit particulièrement une contrée que la nature du pays, le caractère de ses habitans et la manière dont elle était gouvernée, distinguent du reste de l'Espagne, et qui comprend la Navarre et les trois Provincias Vascongadas; n'ayant trouvé, dit-il, dans aucun historien, ni dans le récit d'aucun voyageur, ces détails circonstanciés. Il a placé dans un appendice (mot que le traducteur suppose féminin) une dissertation intéressante sur la littérature des Basques, et sur cette langue singulière qui a fait naître plusieurs disputes, et à laquelle on veut absolument trouver une origine primitive. Dans sa notice concer

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nage par la misère, par le désespoir, les Africains les remplacèrent. Voyez l'étendue de ce genre de commerce dans une note à la fin du chapitre XIIe. Ainsi, dit M. Rehfues en terminant cette note, de l'an 1500 à l'an 1800, un million cinq cent mille hommes ont été vendus comme esclaves aux Espagnols. Ou les tirait généralement dés possessions portugaises

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