Cet écrivain célèbre naquit à Moscow en 1727, et fut élevé à Pétersbourg où d'heureuses dispositions, un esprit naturel et des manières agréables lui méritèrent la protection du comte Ivan Schovalow, favori de l'impératrice Elisabeth. Son admiration pour les maîtres de la scène fran. içaise, et particulièrement pour Racine, dont-il ne parlait qu'avec enthousiasme, dirigea ces études vers l'art où ce grand homme avait excellé. Su morocow avait vingt-neuf ans lorsqu'il fit représenter Koref, sa première tragédie, et le premier ouvrage dramatique écrit en langue russe qui ne fût pas d'un bout à l'autre un tissu d'absurdités. Le grand succès que cet ouvrage obtint," attira sur son auteur les yeux et la faveur de l'impératrice. Dans les années suivantes il fit successivement pa- , raître les tragédies d'Hamlet, d'Aristona, du Faux Démétrius et de Žemire; plusieurs comédies dont les principales sont le Juge, le Tuteur, l'Envieux et l’Imposteur, et trois opéras. Ce Corneille de la Russie n'eut à se plaindre ni de son pays , ni de son siècle. Elisabeth l'éleva le même jour au raug de brigadier de ses armées et de directeur de son théâtre, et lui assigna une pension de 1800 roubles. Cathe rine II en fit un conseiller-d'état, le décora de l'ordre de Sainte-Anne, et le combla d'honneurs et de richesses pendant le reste de sa vie. Elle ne fut pas longue; Sumorocow mourut à Moscow, à l'âge de cinquante-un ans. Malgré tant d'avantages , cet écrivain ne fut point heureux: doué de talens supérieurs et d'un génie peu commun, il eut tous les défauts qui marchent trop souvent à la suite de ces brillantes qualités. Son caractère, comme auteur, se composait d'une sensibilité si vive, d'un amour-propre si irritable qu'il ne supportait aucune espèce de critique, quelque fondée qu'elle pût être. Les applaudissemens, los éloges excessifs dont il était continuellement l'objet, en donnant un nouvel essor à sa vanité naturelle, contribuerent à lui faire prendre de sa personne et de son talent l'opinion la plus extravagante dont la cervelle d'un auteur ait jamais été atteinte. Y, 270 RÉFLEXIONS SUR L'AMITIÉ. 7 mais ce (SUITE. — Voyez le dernier N) L'INTELLIGENCE de l'homme est susceptible de modifications élendues et tellement variées , que le besoin de la communication et de la société en résulie nécessairement: qu'on appelle vulgairement société, ce commerce fastidieux, ce triste échange de puérilités ne convient qu'à une multitude incapable de liens plus sérieux et plus sacrés. Le sage ne souffre ces petites liaisons qu'autant qu'il les juge indispensables dans un ordre de choses auquel il n'a pu se soustraire. A la yérité, il voit avec plaisir des connaissances choisies , et il se prête à cette faible intimité, mais il ne se livre qu'à son ami. On n'a qu'un ami. si cependant l'on ne trouve point à réaliser cette haute espé il se peut que l'on en divise en quelque sorte l'image rance, affaiblie. Ne pouvant avoir cet unique ami , l'on se borne à des amis : de telles affections rendent la vie agréable, mais elles ne la rendent point heureuse ,net il faut se garder d'y chercher ce qu'elles ne sauraient contenir. Cette amitié avec plusieurs est imparfaite : cómment se consacrer tout entier à celui-ci, et encore tout entier à celui-là ? Je concevrais néanmoins un lien réel avec plusieurs, s'il était mutuel en tout sens , si trois et même qualre individus étaient essentiellement unis entre eux, chose qui ne me', paraît point chimérique, mais dont l'occasion est très difficile à rencontrer. Dans toutes les situations possibles on vit ou malheuar reusement, ou tristement, si l'on n'a point d'ami , et des l'on a trouvé ce complément de la vie , aucun chans que gement de fortune ne peut faire qu'il cesse d'être nécesSaire. Dans l'adversité il est pénible d'être senl , la faiblesse humaine est alors trop sentie; dans le bonheur c'est un vide plus grand encore ; que faire du bonheur ? Une femme, des enfans, et même des connaissances intimes sont aussi des amis sans doute , et si l'on n'avait pas ces divers dédommagemens, la vie serait , pour le plus grand nombre , dénuée d'intérêt et privée de consolations ; mais l'amitié entière et pleine suffit seule à l'homme supérieur, : 1 Si l'amilié est le lien de deux ames semblables, de deux ames fortes par elles-mêmes et restées aussi indépendantes qu'il se puisse, cette association n'existera guères dans sa perfection qu'entre des hommes. Les femmes sont raremeni assez libres ; elles sont aussi trop généralement pas sionnées et trop souvent occupées de petits intérêts. L'amnitié veut qu'il n'y ait dans l'ame ni trouble , ni asservissement. Sans doute il est des femmes faites pour l'amitié, parce qu'il en est qui ont dans le caractère beaucoup de rapports avec l'idée presque que nous nous formons du caractère de l'homme, Mme de Lambert trouve quelque avantage dans l'amitié entre des individus de sexe différent; mais à moins que ce ne soit entre le mari et la femme, cette liaison n'est point sans réserve , et ne s'étend pas aussi loin que doit aller tonte amitié réelle , c'est-à-dire , qu'elle ne parvient pas à faire que deux destinées n'en forment qu'une. De plus, si celle amitié admet l'amour, l'amour y jettera du Trouble, il y introduira ses inégalités, ses craintes et sa lassitude si l'amour en est exclu, cette réserve incommode pour les sens, gênera l'affection , établira une contrainte habituelle, et empêchera cet abandon de toutes choses qui est le charme de l'amitié. Même entre le mari et la femme, l'amitié ne sera pas encore telle que je la veux , car les enfans et les soins domestiques formeront des affections nonvelles et des diversions que l'amitié n'admel guères. Je veux que deux amis n'aient point de famille (car s'ils en avaient, il faudrait qu'ils n'en eussent qu'une ), et qu'à l'exception du devoir filial qui n'est pas de notre choix, ils ne connaissent d'autre lien que celui qui unit tous les hommes , et d'autre asservissement que l'obéissance aux lois de leur pays. Il faut qu'ils aient la même patrie, il est bon qu'ils la servent de la même manière , afin qu'ils ne soieni jamais séparés , ou qu'ils ne le soient que pour fort peu de tems ; ils ne doivent point passer sans nécesa șité deux puits sous un toit différent. Sides amis restent volontairement éloignés l'un de l'autre durant plusieurs jours , diverses circonstances pourront faire qu'ils passent ainsi des avnées. L'absence prolongée interrompt les habitudes que l'on partageait, et elle empêche celles que l'on eût partagées : si même on se retrouve enfin, ce n'est plus la suite du passé, il faut commencer de nouveau à vivre ensemble ; tous deux ont changé, peut-être , et sans changer de la même manière , en sorte que l'on aurait de la ,272 peine doux de De est que l'égard tout ce que morale à reconnaître des côtés se mblables par lesquels il fût se réunir. fasseot qu’un. 7. Il faut donc être à de son ami dans les mêmes dispositions que pour soi mêine. L'amitié est une sorte de pacle des sages, une convention de se regarder comme semblables l'un à l'autre, caraclère se sont rencontrés, quand les rapporls qui sont trés entre ces deux amis , quand ils reçoivent l'un de l'autre nous pouvons altendre de douceur et d'utilité de la commuoication avec nos sernblables, res- par leur les rende indifférens pour tout repos Un lien si éįroit, si exclusif, exige d'abord un examen , l'illusion de l'amour et la précipitation des sens ne s'en mêleront point, et parce que l'intervention des autres hommes n'empêchera pas d'en juger sainement. Quoiqu'il soit de l'essence de l'amitié de ne finir qu'à la engagemens (i) Renferme-toi avec ton ami, et vivez ensemble comme si vous que doivent Pègrets, un souvenir , une sorte de respect de l'ancienne Quelle autre force pouvait les désunir ? La confiduce n'avait point de bornes, le dévouement n'en avait poinl. Comme l'amitié n'est point une passion, ce dévouement pe jette dans aucun écart; comme l'amitié n'existe qu'entre ; que son ami. les divers objets des passions, enfin une vraie conformité d'inclinations (3) et de goûts jusque dans les détails de la vie (4). (2) Ne deviens pas l'ennemi de l'homme dont tu cesses d'être l'ami. Lois de Pyrhagore , no 843. (3) D'autres rapports peuvent être convenables pour les amitiés vulgaires. Un moraliste a dit : « Une grande diversité dans l'esprit, le caractère , les prétentions , un grand rapport dans les besoins imạo » gimaires ou réels, voilà ce qui forme, sans doute , entre les homimes, » les liens les plus durables. C'est aussi la pensée de l'auteur du Génie du Christianisme : « Ce sentiment (l'amitié ) se fortifie autant > par les oppositions que par les ressemblances. Pour que deux » hommes soient parfaits amis, ils doivent s'attirer et se repousser sans * seste par quelque endroit : il faut qu'ils aient des génies d'une s |