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Il ne serait pas bon que l'un des amis fût un homme de génie et que l'autre n'eût de commun avec lui que d'être homme de bien; il ne serait point convenable que l'un se soumit pour ainsi dire à l'autre et le vénérât comme son supérieur mais il faut que tous d'eux s'estiment parfaitement, et restent toujours égaux; nul ne pouvant être ni le disciple, ni l'imitateur, le confident ou le complaisant de celui qui a dit, nous n'aurons plus qu'une intention et qu'une vie.

Si les amis que je suppose n'étaient pas des hommes sages, je dirais que la fortune aussi doit être à-peu-près égale entre eux, du moins dans le tems où l'union se forme. Celui qui sent le prix de la sagesse, compte le reste pour si peu de chose en comparaison, que s'il possède de grands biens il lui importe peu que l'ami qu'il choisit n'ait rien, et que même si c'est lui qui n'a rien, if lui soit presque indifférent que celui sur qui il jète les yeux ait de grands biens : mais pour les amitiés qui sont imparfaites quoique louables encore, et parmi les hommes estimables dont l'ame manque d'une certaine élévation, il faut supposer une fortune àpeu-près égale. L'un peut bien dire à l'autre : j'ai plus,

même force, mais d'une différente espèce ; des opinions opposées, des principes semblables; des haines et des amours diverses, mais » au fond la même sensibilité; des humeurs tranchantes et pourtant » des goûts pareils; en un mot, de grands contrastes de caractère et » de grandes harmonies de cœur. Comme il est très-difficile qu'avec des principes semblables les opinions soient opposées, quand on a l'esprit étendu, impartial et juste, M. de C. ne parle sans doute que du commun des hommes ; d'ailleurs il faut croire que ces haines, etc. qu'il leur suppose en sont une preuve, malgré le mot parfait. Epicure recommande de choisir un ami d'un caractère gai et complaisant mais ces liaisons prudentes conviennent à des gens d'esprit dont la première idée est de ne pas se voir éclipsés. On ne choisit point ainsi un ami, mais simplement une sorte de client qui partage. avec nous les habitudes de la vie, un second qui nous aide fidellement dans nos entreprises.

(4) Sois le chien fidèle, le cheval officieux de ton ami, n'en sois jamais le singe.

Ne sois le despote de personne, pas même de ton chien ; ne sois l'esclave de personne, pas même de ton ami. Lois de Pythagore, no 2934, et n° 89.

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ainsi tout sera commun entre nous; mais celui qui a moins ne se présentera pas pour ami, et même il n'accepterait point cette communauté de toutes choses sans laquelle l'amitié n'est guères qu'un fantôme, ou n'a que des momens d'existence. Pour l'accepter il faudrait absolument regarder comme un homme peu ordinaire celui qui, malgré les avantages plus grands qu'il tient du sort, veut être notre ami: il faudrait être entièrement convaincu que cet ami, incapable de toute défiance, de toute finesse, de toute pensée secrète, méprise et méprisera toujours cette vaine pénétration qui, prétendant connaître le cœur humain, le connaît si mal qu'elle ne sait pas faire les exceptions les plus justes aux tristes lois générales qu'elle a imaginées ou exagérées.

L'indépendance de ceux que ce lien doit unir est une des conditions, non pas indispensables, mais favorables que j'ai indiquées, et puisque d'ailleurs l'argent dans des mains prudentes peut opérer tant de bien, il est évidemment préférable que les amis possèdent quelque chose mais quand ces amis sont tels que je veux les supposer, est indifférent que les biens viennent de tous deux ou d'un seul, et si même un âge avancé ou d'autres circonstances particulières ne les asservissaient point, il n'importerait pas essentiellement que, leurs moyens se bornassent aux ressources que tout homme en santé doit trouver dans son tra

vail.

La fortune peut nous être contraire en tant de manières que souvent nous ne saurions vivre avec l'ami que nous nous sommes fait, et que même quelquefois nous ne trouvons point l'occasion de former des liaisons étroites, ou nous ne pouvons convenablement nous attacher à rendre plus intimes d'anciennes relations.

Les hommes à qui le sort n'a point permis de sortir du cours ordinaire des choses, quelle que soit l'élévation de leur ame, n'en peuvent conserver toute l'indépendance. Si une longue adversité les atteint, et que leurs amis ne changent point à leur égard, c'est eux-mêmes qui changeront. Il faut une vie différente de la nôtre pour conserver, quand on n'a rien, cette manière d'être qui semblerait dire à l'ami opulent, ce que tu possèdes n'est-il pas à nous? Frappé par le malheur, on se sépare un peu de ses amis pour leur éviter le soin de s'éloigner eux-mêmes. Parmi nous, il faut renoncer à tout lorsqu'on n'a pas cet argent qu'un homme

scrupuleux peut conserver, mais qu'il n'acquiert poi

Sa

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Ces

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pas rétrogades sont pénibles, mais on souffrirait davantage en les voyant faire l'on aimait. S'il doit arri par celui que ver que l'un ou l'autre se retire jusqu'à un certain point; celui qui peut le faire sans honte doit y songer le premier, afin que leur amitié, en perdant sa force et sa beauté, ne soit du moins ni détruite, ni avilie.

Il faut le répéter, puisque tout le confirme, l'amitié n'est entière et sûre qu'entre deux sages; autrement l'effort de celui qui en a rêvé la plénitude n'est qu'un nouveau témoignage des misères de notre destinée. On cite Dubreuil et Pechméja : il est vrai que celui-ci a dit : j'ai peu de chose mais Dubreuil est riche. Ce mot est sans doute remarquable au milieu de nous; mais comment de deux amis, l'un estil riche sans que l'autre le soit? Je sais un homme qui voyant sa fortune renversée, s'est dit je ne veux plus être ami. Dubreuil et Pechméja paraissent des modèles d'amitié, mais d'une amitié encore imparfaite. L'un d'eux a dit en mourant pourquoi laisse-t-on entrer tant de monde ici? ma maladie est contagieuse, il ne devrait y avoir que

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toi. Ce mot est beau, mais il est de Dubreuil; s'il avait été dit par Pechméja, je les mettrais au nombre des vrais amis. Quand on découvre que l'on s'était trompé, quand on aperçoit de la faiblesse ou même de l'égoïsme et quelque duplicité dans celui dont on avait cru se faire un ami, c'est un mauvais choix que l'on en doit accuser, et il faut se garder de prétendre alors que l'amitié soit une chimère. Ces sentences du dépit n'appartiennent qu'à des gens d'un esprit faible, qui étant incapables d'idées générales, ne sauraient juger des choses que par ce qui leur arrive de personnel.

Si vous ne rencontrez pas un ami parfait, liez-vous jusqu'à un certain point avec quelqu'un d'estimable: si vous ne pouvez être un ami réel, soyez un ami vulgaire, mais généreux, afin que parmi les hommes il y ait quelqu'un qui soit content par la volonté d'un autre. Serait-ce même un si grand mal d'être un peu dupe en ceci, pourvu que ce fût volontairement? la plus faible des habitudes intimes est encore une douce habitude.

Il y a dans le malheur d'innombrables combinaisons, nul ne saurait affirmer que rien ne l'empêchera de jouir de toute l'étendue de l'amitié. Qui oserait marquer des bornes à l'infortune, et sonder les abîmes de la détresse humaine? Ce serait même une témérité de se dire: rien ne pourra m'arrêter dans la pratique de la sagesse. Vous avez en vain

tout ce qui fait l'homme, si le sort le veut, tout sera inutile; le sort ne vous rendra ni criminel, ni vil, mais il saura tout affaiblir, tout éluder, et il vous détruira vivant. Vous aurez des amis, mais un ami ne vous sera pas donné; ce sera beaucoup si du moins vous vivez un jour avec un compagnon de la même peine. DE SEN...

VARIÉTÉS.

INSTITUT DE FRANCE.

LA classe de la langue et de la littérature française de l'Institut, a tenu jeudi une séance publique pour la réception de MM. Lacretelle jeune et Etienne. Cette séance avait attiré un grand nombre de spectateurs malgré le plus mauvais tems qu'on ait eu de l'année : ce qui prouve que le public ne veut pas absolument partager l'opinion de quelobscurs écrivains de journaux, contre l'utilité des sociétés littéraires.

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M. Lacretelle a lu le premier son discours de réception. Le style de ce discours a paru noble sans enflure, simple sans trivialité, élégant sans affectation, comme la muse de l'histoire à qui M. Lacretelle doit ses succès. M. de Ségur, en répondant au récipiendaire, a observé, comme lui, dans son style, toutes les convenances que commandait son sujet. Il y a semé en outre un grand nombre de ces réflexions fines, judicieuses et souvent brillantes " qui caractérisent son talent.

M. Etienne remplaçait M. Laujon. Il avait à parler des ouvrages agréables de cet homme de lettres, et de la comédie en général, et il a cru devoir donner à son discours la physionomie de la muse comique, au culte de laquelle il s'est consacré. Il a été tour-à-tour gracieux, piquant, satirique, et toujours spirituel. M. de Fontanes, dans sa réponse à laquelle on ne peut reprocher que sa brièveté, a parlé de la comédie et de M. Etienne, en orateur qui depuis long-tems a une opinion faite sur les hommes de lettres et sur leurs ouvrages.

La séance a été terminée par quelques fables de M. Arnault, qu'on a écoutées avec un vif intérêt, quoique cette séance se fût prolongée bien au-delà du terme ordinaire.

On a remarqué dans l'attitude du public à cette solennité

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et dans les témoignages d'approbation qu'il a données, une intégrité d'opinion et une justesse de jugement bien encourageante pour les vrais amis des lettres.

SOCIÉTÉS SAVANTES.

Programme des prix proposés par l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon.

L'ACADÉMIE avait proposé deux prix pour l'année 1811;
L'un de 300 francs, sur cette question:

L'inconstance de la mode depuis François Ier jusqu'à nos jours, » a-t-elle été utile ou nuisible à la prospérité des manufactures de > France? »

L'autre prix, consistant en une médaille d'or de 1,200 francs, avait pour objet la question suivante :

« Quel serait le moyen le plus sûr et le moins dispendieux, d'ame» ner dans l'intérieur de la ville de Lyon, des eaux abondantes et » salubres, qui puissent procurer :

» 1°. Des fontaines jaillissantes, dont les couran's nettoieraient les > rues, et suppléeraient à l'insuffisance des pompes.

2o. Des distributions journalières pour les usages domestiques > et manufacturiers.

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> 3. Des réservoirs ou des prises d'eau pour les incendies. » Aucun mémoire n'ayant été envoyé sur ces deux questions, propo pour la seconde fois, les sujets ont été retirés.

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Le prix d'encouragement, fondé par S. A. S. le prince archi-trésorier de l'Empire, a été décerné à M. Etienne Jaillet, membre du conseil des prud'hommes de Lyon, qui a inventé un métier pour la fabrication d'étoffes de grande dimension, sans lisage préparatoire.

Le sujet du prix proposé pour l'année 1812 est relatif à la congélation de l'eau.

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L'expérience de la congélation de l'eau, produite dans le vide pneumatique, par la présence d'un corps absorbant, non seulement est intéressante sous le rapport de la science; mais elle peut être encore d'une application utile dans les arts économiques. Déjà MM. Désorme et Clément, dans une Notice insérée au no 233 des Annales de Chimie, ont présenté un aperçu de ces diverses applications. Elles ne se bornent pas aux moyens de se procurer de la glace artificielle dans pays, dans les tems et dans les circonstances où l'on ne peut en avoir de naturelle. Mais comme on, n'obtient la congélation de l'eau que par une évaporation très-rapide, c'est comme moyen d'évaporation que l'expérience de Leslie peut présenter des avantages plus grands et plus nombreux. L'illustre Montgolfier avait proposé un appareil évaporatoire mécanique sans le secours du feu et à la seule température de l'atmosphère. Il était aussi parvenu à obtenir des effets d'évaporation sous le récipient de la machine pneumatique; il ne lui manquait que l'adjonction d'un corps absorbant. pour arriver aux plus brillans résultats. Il avait pour but d'obtenir la dessiccation et la

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