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la révolution, qu'il l'a été d'attribuer à une paire de gants l'honneur d'avoir sauvé la France dans la guerre de la succession. Le malheur de M. Alexis Dumesnil, c'est de n'avoir pas été assez infatué de sa cause favorite pour négliger toutes les autres, infatuation absolument nécessaire dans les démonstrations de ce genre, et sans laquelle on est sujet à se contredire à tout moment. C'est, en effet, ce qui est arrivé à l'auteur du Règne de Louis XI. Quoiqu'il regarde ce prince déloyal et dissimulé comme le Français de son siècle, il ne peut s'empêcher, dans une note (page 15), de regarder une noble franchise comme le caractère français de son tems. Après avoir annoncé le pouvoir attribué au peuple par Louis XI comme la cause de nos derniers malheurs, il retrouve cette cause dans la révocation de l'édit de Nantes sous Louis XIV, dans la tolérance prêchée par les philosophes sous Louis XV; et il la retrouve encore dans l'institution et les maximes de cette adroite société des jésuites, dont tant de bonnes dévotes et même d'innocens dévots déplorent aujourd'hui la perte, persuadés qu'elle aurait pu seule nous préserver de la révolution.

Sans nous amuser à citer d'autres contradictions que M. Dumesnil a encore répandues dans son ouvrage, et qui toutes ont la même source, nous nous bornerons donc à lui faire observer qu'il est lui-même homme de trop bonne foi pour écrire ainsi l'histoire dans un système. La bonne-foi commande l'examen, l'examen fait naître le doute, et il faut des talens qui n'appartiennent pas à tout le monde pour l'étouffer ou le dissimuler. Mais, nous dira-t-on, si le tableau systématique du règne de Louis XI n'a pas réussi à M. Dumesnil ouvrage annonce-t-il du moins, dans son auteur, les talens suffisans pour écrire l'histoire d'une manière moins ambitieuse? Cette question est assez difficile à résoudre. Comment décider d'après un ouvrage dont le plan est radicalement vicieux, si l'auteur est en état d'en concevoir et d'en exécuter un raisonnable, sur-tout lorsqu'il débute par censurer ceux des historiens les plus estimés? M. Dumesnil a cependant quelquefois des vues

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très-saines. Il expose fort bien la politique de Louis XI, qui ne jouissant encore que d'une puissance mal affermie, jointe à un titre imposant, laissait ses ennemis se consumer en folles entreprises, fomentait leurs divisions, les combattait plutôt par la corruption que par les armes, et se tenait toujours prêt à profiter de leurs fautes et de leurs revers. Il le compare ingénieusement à l'araignée qui tend furtivement ses filets, puis se retirant au centre de ses embûches, attend dans un insidieux repos que sa victime se livre elle-même couverte de cent liens (p. 104). Ailleurs, M. Dumesnil établit un parallèle très-bien raisonné et très-bien suivi entre Louis XI et Tibère. Il lui échappe de tems en tems de bonnes et solides réflexions, telle que celle-ci (p. 67) au sujet de la position et des richesses de l'Angleterre: «Il n'en est pas des nations comme des particuliers; l'or, parmi elles, ne paye ni le rang, ni la puissance : s'il en était autrement, Carthage eût acheté Rome et toute sa gloire.» Mais à côté de ces choses bien écrites et bien pensées, se trouvent des passages obscurs, louches, ampoulés, Après avoir comparé Louis XI à l'impure araignée ; M. Dumesnil compare les jésuites à l'abeille qui laisse son aiguillon dans la blessure qu'elle a faite. Il prend le ton d'un homme qui montre la lanterne magique, lors qu'il veut tracer rapidement la décadence de Charles-leTéméraire. Il vous propose une énigme lorsqu'il vous dit (p. 150) que là où s'apprêtent les progrès de la vie, c'est là précisément que la mort prend naissance; et cette énigme est d'autant plus embarrassante qu'il est difficile de dire ce que c'est que la naissance de la mort. La première phrase de son ouvrage est une autre espèce d'énigme dont la réflexion peut seule débrouiller le sens, et ce qui peut-être est pis que tout cela, c'est le pathos où se jette notre auteur lorsqu'il veut parler de la Provi dence. Que conclure de cette bigarrure et de ces contradictions? que pour le règne de Louis XI en particulier, on le connaîtra mieux dans le président Hénaut ou dans un chapitre de Voltaire que dans l'ouvrage de M. Alexis Dumesnil, et qu'en général cet écrivain qui ne manque ni d'imagination, ni de vues, a besoin, avant d'entre

prendre une nouvelle histoire, de se faire des idées plus justes de la nature de l'histoire et des devoirs de l'historien, de renoncer à l'exagération et à l'enflure, et de se persuader que la clarté et la simplicité sont les premières qualités qu'il doit donner à son style, s'il veut se procurer des lecteurs. M. B.

MA BROCHURE, EN RÉPONSE AUX DEUX BROCHURES DE MADAME DE GENLIS; par. L. S. AUGER. Avec cette épigraphe :

Furens quid femina possit.

ENEID. liv. V.

Prix, 1 fr. 50 c. A Paris, chez Colnet, libraire, quai Voltaire.

Que les ennemis de Mme de Genlis y prennent garde. L'opinion publique est sujette à de singuliers retours ; elle n'est jamais plus près de louer une chose ou un homme, que lorsque l'une ou l'autre a été l'objet de ses censures les plus amères et souvent même les plus justes. Il y a, dans presque tous nos sentimens, une force de réaction qui nous rejette dans un sentiment contraire à celui que nous venons d'éprouver. Jamais, assurément, écrivain ne souleva contre soi plus d'indignation que Mme de Genlis, lorsqu'on la vit, dans un ouvrage consacré aux personnes de son sexe qui se sont illustrées dans les sciences ou les lettres, distiller sur les unes le fiel de la critique, sur les autres le venin de la calomnie, attaquer enfin des réputations en quelque sorte sacrées et que les contemporains avaient léguées au respect et à l'admiration de la postérité. Il n'y eut qu'une opinion et qu'une voix sur ce déplorable abus du métier d'écrire. Aussi, quand les journalistes, organes, cette fois, de l'opinion publique, firent justice de ce délit littéraire, virent-ils applaudir à chacun de leurs coups. Tel, parmi eux, fut remarqué par son adresse à manier l'arme légère du ridicule; tel autre par des coups plus fermes et mieux assénés, que Mme de Genlis trouvait

lourds; tout le monde voulait combattre et beaucoup se retirèrent, comme Oreşte, avec le regret

De n'avoir pu trouver de place pour frapper.

Il parut trop évident que Mme de Genlis avait été blessée dans le combat; et le public, comme à Rome dans les combats de gladiateurs, cria hoc habet (elle en tient); mais sans exiger d'elle, comme le peuple romain, qu'elle tombât avec grâce. Est-ce de ce moment que date ce retour des esprits à la commisération, que je signalais au commencement de cet article? Ce qu'il y a de sûr, c'est que voilà au moins trois personnes à qui j'entends dire: Cette pauvre Mme de Genlis! et voilà que moimême, en lisant la brochure de M. Auger, je me prends à dire, Pauvre Mme de Genlis! D'où peut naître ce sentiment? M. Auger aurait-il violé quelqu'une de ces bienséances dont le public est un juge si délicat, et montré trop peu d'égards pour le sexe de son adversaire? mais je ne vois rien, dans ses trois premiers articles, que ne puisse avouer la critique la plus décente et la plus mesurée : à la vérité, dans les deux autres, qui sont une réplique, il se montre un peu plus sévère; mais Mme de Genlis lui en avait donné le droit par sa réponse. Est-elle donc d'ailleurs une victime faible et sans défense? Je vois, au contraire, que l'agression est . toujours de son côté, et que maintenant encore elle n'attend que la guérison de ses blessures, pour recommencer de nouveaux combats. Cette pitié ne serait-elle pas plutôt celle qu'inspire la faiblesse, même astucieuse et perfide, lorsqu'elle est terrassée par un ennemi vigoureux qui brise entre ses mains le stylet dont elle voulait le frapper? Je n'ai l'honneur d'être ni janséniste, ni moliniste mais je me rappelle (toute comparaison à part) qu'en lisant les Provinciales, et voyant ces pauvres théologiens de la compagnie de Jésus écrasés sous la dialectique de Pascal ou battus avec leurs propres armes, il m'est arrivé quelquefois de dire, en souriant: pauvres jésuites! Il semble que ce soit un sentiment qu'inspire la vue de tout combat où les forces sont trop inégales, de quelque côté que soit le droit,

Quoi qu'il en soit, si Mme de Genlis parvient à inspirer ce sentiment tout nouveau à son égard, c'est à M. Auger qu'elle en aura, en très-grande partie, l'obligation. Je sais bien que le dicton populaire est vrai, et qu'il vaudrait mieux faire envie. Mais quoi! Mme de Genlis, qui, à l'en croire, a fait la guerre avec tant de succès contre les philosophes du dernier siècle, a dû s'attendre à quelques revers.

La guerre a ses faveurs ainsi que ses disgrâces.

Aussi, que ne lui laissait-on, dans son ouvrage : De l'influence des femmes sur la littérature française, exhumer tranquillement cinq ou six victimes et violer leurs mânes? On pouvait déjà juger que son humeur belliqueuse était beaucoup diminuée, ou qu'elle sentait ellemême ses forces affaiblies: là, du moins, elle ne s'attaquait qu'à des femmes et à des femmes mortes, ou à ce bon La Fontaine qu'elle accusait de plagiat, ou à un pieux archevêque dont la soumission aux volontés de l'église était connue, et qui, à la voix de ce nouveau docteur, aurait bien pu rétracter dans le ciel son Télémaque, comme il avait rétracté, ici bas, son livre des Maximes des Saints. Voilà, au contraire, que s'élève un défenseur de mesdames Dudeffant de l'Espinasse, Necker, Cotin et de Fénélon. Pour celui-ci, je dois dire que le défenseur lui-même est embarrassé de son rôle.

« A quelle fâcheuse nécessité, dit-il, Mme de Genlis »vient-elle de me réduire? Fénélon inculpé et justifié! >> c'est, je l'avoue, un vrai scandale, et je rougis de la part que j'y ai prise. On fait injure au public, on » outrage Fénélon lui-même lorsqu'on essaye de défendre »sa vertu et son génie.»

; ne

Profitons de cet aveu de l'auteur de la Brochure renouvelons pas une discussion dans laquelle les lecteurs ont presque à se reprocher le plaisir qu'ils ont pris. M. Auger a assez d'autres occasions de combattre Me de Genlis. Parlons d'abord d'un avertissement qui se trouve en tête de sa réponse. On y voit par quelles raisons M. Auger, auteur de cinq articles imprimés dans

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