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le Journal de l'Empire, sur le livre de l'Influence des femmes, s'est déterminé à leur donner une nouvelle publicité.

«Mme de Genlis, dit-il, m'accuse de les avoir rem» plis de calomnies et d'odieuses personnalités. Je veux » que le prétendu corps de délit ait la même forme, la » même consistance que les actes d'accusation ; je veux >> opposer brochure à brochure; je veux que la mienne » poursuive celles de Mme de Genlis, qu'elle aille se » placer dans les mêmes mains qui ont feuilleté les » siennes, et ensuite (si on ne les en juge pas toutes » indignes) s'associer à elles dans les mêmes recueils. »

Un faux brave, après avoir essuyé deux fois le feu de Mme de Genlis, aurait pu se féliciter intérieurement, en trouvant en tête de sa seconde brochure : Ma dernière réponse au feuilleton du Journal de l'Empire. Mais M. Auger en paraît aussi surpris que fâché, et c'est de la meilleure grâce du monde qu'il relève son adversaire de cette espèce de vœu formé en présence du public.

« Mme de Genlis peut, en toute sûreté de conscience, » faire une troisième brochure contre moi. J'oserais l'en » prier, si je ne craignais par là de lui donner l'envie » de n'en rien faire. »

Une des ruses qu'emploie le plus fréquemment Mme de Genlis et dont ses adversaires paraissent avoir le plus à se plaindre, c'est de citer faux. En effet, tout le monde ne sait pas quel avantage prend, dans une polémique, celui qui se saisit le premier de cette arme. D'abord le plaisir de prêter à autrui des opinions absurdes pour se donner le plaisir plus facile encore de les réfuter; ensuite l'embarras où se trouve, naturellement l'écrivain, cité inexactement pour rétablir et son opinion et son texte; ces répétitions obligées des mêmes mots; ce retour fréquent, mais presque indispensable, des mêmes formules: Vous dites que j'ai dit: je n'ai point dit cela; voici ma phrase, etc. etc. Embarrassé dans une pareille discussion, eût-on le plus heureux talent d'écrire, on court le risque d'ennuyer, même en parlant de Mme de Genlis. Aussi M. Auger ne s'est-il pas laissé prendre ce piège. Il se contente de signaler la fraude et de réta

A

blir en quelques endroits le texte que Mme de Genlis
altère, tout en affectant d'employer les caractères itali-
ques; ou bien il redresse le sens de quelques phrases
que ce Procuste littéraire s'est amusé à torturer. Il sap A
SapELA
pesantit pourtant davantage sur ce petit artifice, lorsque
Mme de Genlis l'emploie à l'égard de quelques auteurs
de la Biographie de MM. Michaud. Cette dame, comme
on sait, a pris l'engagement de relever les erres de
faits, les fautes de style et de langage qu'elle remaneta
dans les livraisons successives de cel intéressant ouvragene
Elle a déjà lancé une brochure qui n'a pas à la vérité
tenu tout ce qu'elle avait promis. Elle y relève cepen-
dant entr'autres choses un article de M. Ginguené sur
Andreini, et sur-tout une phrase de cet article qui lui
donne une grande occasion de s'égayer. Voici cette
phrase, telle que la cite Mme de Genlis. « Andreini
» donna des fragmens de sa femme Isabelle. » Cela ne
veut pourtant pas dire, ajoute-t-elle, qu'Andreini mit
sa femme en pièces. « Voilà sûrement, dit M. Auger,
une plaisanterie d'un goût bien délicat; mais si l'on
» s'apercevait que le passage est faux et controuvé?»>
Puis le voilà citant le texte de M. Ginguené, qui dit
qu'Andreini donna une édition des fragmens de sa femme
Isabelle ce qui est un peu différent. Ce M. Auger est
terrible pour citer et pour citer juste; car, à l'occasion
de ce même passage, il en cite un de Me de Genlis qui
lui sert à qualifier le procédé dont elle venait d'user
envers M. Ginguené.

« Quoi! diront les gens du monde, est-il possible
» qu'une femme auteur, pour peu qu'elle se respecte,
ose faire un tel mensonge (car il faut bien dire le mot
» propre)? Oui, cela est très-possible, et même très-
» prai. » (Préface de Bélisaire.)

Je ne sais comment fait Me de Genlis pour trouver M. Auger si lourd, si assoupissant, etc. etc. Il me paraît à moi formé à la bonne école, nourri de la lecture des meilleurs écrivains, et particulièrement de Mme de Genlis elle-même. On dirait que pas un des go on 100 volumes de cet infatigable auteur ne lui est échappé, qu'il les a tous lus, relus, médités et commentés. Il est vrai qu'il

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ressemble un peu à ces enfans drus et forts d'un bon lait, dont parle La Bruyère, et qui battent leur nourrice. Mais voilà en quoi il a tort. Que M. Auger, admirateur de Mime de Genlis, ait extrait de ses ouvrages ce qui lui a paru le plus remarquable, qu'il ait fait, comme je le suppose, de ces extraits, un corps de doctrine, un cours de morale à son usage, applicable aux différentes situations dans lesquelles il pourrait se trouver: rien de mieux. Mais qu'il se fasse de ces principes, des armes contre leur auteur, n'est-ce pas mettre tous les bons cœurs contre lui et faire dire? Cette pauvre Mme de Genlis!

Parce que, fière de soixante ans de succès, elle aura dit avec un ton un peu trop avantageux peut-être, qu'elle referait un article de la Biographie, faut-il aller rappeler le mot de Gluck en parlant de Piccini: Si son Roland réussit, je le referai, et citer ce qu'elle-même disait à cette occasion? « Ce mot est d'un genre qui ne me plaira » jamais; un langage constamment modeste est de si bon >> goût! » N'est-ce pas-là abuser de sa mémoire et donner encore à dire? Pauvre Mme de Genlis!

Parce que, dans un de ces mouvemens d'humeur mutine qu'on pardonne aux enfans gâtés, elle aura menacé de faire imprimer des lettres qui lui avaient été écrites pour un autre usage, faut-il lui rappeler si cruellement ce qu'elle a dit sur le secret des lettres? « qu'il » est sacré entre particuliers, et que l'on commet une >> insigne bassesse quand on viole ce secret pour satis>> faire des passions particulières. » N'est-ce pas vouloir encore faire dire? Pauvre Mme de Genlis!

Parce qu'innocemment, et sans aucun mouvement d'orgueil, elle aura parlé des nouvelles éditions de ses ouvrages, qui paraissent en grand nombre dans ce`moment, faut-il lui jeter au nez qu'elle a dit autrefois? « Je » n'ai jamais conçu qu'un auteur eût le courage de dire: » On a fait plusieurs éditions de mes ouvrages. Sous » quel prétexte ose-t-on dire de pareilles choses au pu»blic? etc. etc. » Voilà encore pour faire dire: Pauvre Mme de Genlis!

Je sais bien que toutes ces citations sont exactes; et à cet égard, il faut rendre justice à la probité littéraire

de M. Auger. Il me dira qu'il ne s'est pas toujours contenté de ce genre d'escrime, et qu'il n'a pas toujours pris les armes de Mme de Genlis pour la combattre. Je sais encore cela, et je ne sache pas que j'aie jamais lu dans les ouvrages de cette dame le passage suivant, que j'extrais de la petite réponse à l'examen critique de la biographie universelle.

«Elle (Madame de Genlis) a bonne envie de porter » des coups dangereux, c'est une justice à lui rendre; » mais sa main est si débile, si peu sûre et souvent si mal» adroite! Ses traits sont lourds, mal acérés, émoussés » d'avance. Pour suppléer à leur mauvaise trempe, elle » en empoisonne quelquefois la pointe. Mais comment » pourraient-ils nuire? Ils n'arrivent pas à moitié che» min, ils tombent plus près de celle qui les lance, que » de ceux qu'elle en voudrait frapper; et tout leur effet, » quand ils en ont, est de blesser la triste amazone qui » ne sait plus autre chose alors que se plaindre du mal » qu'elle s'est fait elle-même, et injurier les gens qu'elle » n'a pas su percer. MM. Suard, Ginguené et Michaud » n'ont point à se défendre et ne se défendront pas ; si je » les voulais venger, je serais, à coup sûr, désavoué » par eux. Il ne faut pas déranger le trop risible spec»tacle que donne aujourd'hui au public une femme en » colère, qu'on voit, seule dans l'arène, s'escrimer de » loin contre plusieurs hommes qui ne daignent pas ré» pondre à ses provocations et s'apercevoir de ses vaines » estocades. Quelques bonnes ames la plaindront................ Et vraiment voilà ce qui me fait dire : Pauvre Mme de Genlis! Une bonne ame de vos Abonnés.

Note des Rédacteurs. Nous n'avions point encore rendu compte de la brochure de M. Auger. Nous profitons de l'article qui nous est envoyé, pour la faire connaître à nos lecteurs, et adresser en même tems quelques reproches à Mme de Genlis. Les rédacteurs du Mercure ont plus que d'autres des droits à sa reconnaissance : ce sont eux qui pourraient lui dire :

Vous auriez bien aussi quelque grace à nous rendre. C'est sur eux qu'elle s'est exercée avec le plus d'avantage

dans ce persifflage léger et badin qu'elle ne condamne que lorsqu'on rend compte d'un ouvrage de femme. Ils lui ont fourni le sujet de la plus agréable page de sa première brochure; et ils sont tout-à-fait oubliés dans la seconde. Qu'il leur soit du moins permis d'espérer qu'elle ne les oubliera pas dans la troisième.

In-8°..

POÉSIES DE MADAME LA COMTESSE DE SALM. A Paris, de l'imprimerie de Firmin Didot, à sa librairie, rue Jacob," no 24. (1811.)

Nous avons vu, il y a quelques années, une guerre poétique assez vive dont les femmes auteurs étaient le sujet. Un grand poëte, que des juges, qu'on peut se permettre de ne pas regarder comme infaillibles, ont décidé depuis peu n'être ni grand, ni presque même poële, Le Brun avait pris là-dessus un travers qu'il soutint avec beaucoup d'esprit et de talent, mais qui, j'en demande pardon à sa mémoire, n'en était pas moins un travers..

Dans cette mauvaise cause, il se croyait fort de l'opinion de Molière, qui ne fait cependant rien pour lui. Arnolphe élève bien son Agnès dans une ignorance profonde; il dit bien que c'est assez pour elle de savoir prier Dieu, l'aimer (lui Arnolphe ), coudre et filer; mais Arnolphe est un personnage ridicule, et nous voyons ce qui lui en arrive. Dans les Femmes savantes, ces trois femmes sont insupportables, et l'ignorante Henriette est la seule aimable de la pièce : mais c'est la sotte manie de la science, c'est l'humeur aigre et l'esprit tortu des unes, c'est le charmant caractère de l'autre qui font la différence, et point du tout le plus ou le moins de savoir. Henriette pourrait entendre très-bien le grec, sa mère, sa tante et sa sœur ne savoir pas lire, et les choses, au fond, rester les mêmes, quoique sous d'autres formes. Qui n'a pas connu, dans sa vie, des femmes instruites, et en même tems douces et bonnes; d'autres qui, comme on dit, ne savaient ni A ni B, et cependant d'un commerce aussi insoutenable que les Bélises, les Philamintes et les Armandes?

Voulez-vous connaître ce que Molière pensait réelle

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