Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

ment là-dessus? n'écoutez point son bonhomme Chrisale, qui n'a qu'une lueur de gros bon sens, avec un esprit étroit et borné ; demandez-le plutôt à Clitandre, qui est un homme de bon esprit et de bon ton, un homme du monde bien élevé. Il vous dira très-nettement, il est vrai, que les femmes docteurs ne sont point de son goût; mais, de peur que vous ne vous y trompiez, il ajoutera, sur-le-champ, qu'il consent qu'une femme ait des notions, ou, comme il le dit un peu improprement, des clartés de tout; voici seulement les restrictions qu'il y met et que tout homme juste y peut mettre comme lui :

Mais je ne lui veux point la passion choquante

De se rendre savante afin d'être savante ;

Et j'aime que souvent aux questions qu'on fait
Elle sache ignorer les choses qu'elle sait ;

De son étude enfin je veux qu'elle se cache,

Et qu'elle ait du savoir sans vouloir qu'on le sache,
Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots
Et clouer de l'esprit à ses moindres propos.

[ocr errors]

Il trouve donc très-bon qu'elle sache, qu'elle étudie, qu'elle ait du avoir en un mot, pourvu qu'elle n'en fasse pas un ennuyeux étalage.

[ocr errors]

Et dans tout cela, encore il n'est question que de science; que dirait-il donc du talent en général, et en particulier du talent d'écrire, et plus particulièrement encore d'écrire en vers? Quoi! vous accordez à une femme l'art du dessin, même l'art de peindre; vous recherchez en elle l'art du chant, celui de jouer des instrumens, la science de l'harmonie qui exige non-seulement de l'exercice et de l'habitude, mais de l'application, et une étude sérieuse ; vous ne lui refusez pas, sans doute, le don de penser, de sentir; vous lui pardonnez d'être émue, charmée, transportée en entendant les vers de Racine, de Voltaire, et les vôtres; et si un goût naturel, développé par une éducation soignée, la porte à cadencer ses pensées, à mesurer l'expression de ses sentimens, à tâcher d'imiter par l'harmonie de ses vers ce langage harmonieux des grands poëtes qui l'a tant de fois et si profondement émue, vous lui en ferez un crime !

Mais elle aura des prétentions, une exigeance, un orgueil, une aigreur impossibles à supporter...... Elle les aura, croyez-vous, uniquement parce qu'elle écrira en vers? Cela serait trop absurde. Lui passerez-vous la prose? Distinguerez-vous quelle prose elle pourra écrire? Si Mme de Sévigné eût.employé à tracer des caractères, des passions, une action suivie, le talent supérieur qu'elle a dépensé tout entier à s'entretenir familièrement avec sa fille, si elle eût écrit des romans comme son amie Mme de La Fayette, l'en aimeriez-vous moins? Sévigné, La Fayette, La Suze, ces noms inscrits par les Grâces dans les fastes de notre littérature, ne furent-ils pas aussi les noms des femmes de la société la plus douce et la plus aimable?

Vous allez, je le vois bien, m'objecter telle femme qui a fait aussi des romans et de jolies petites pièces de théâtre, et des traités d'éducation, et de la morale, et des histoires, et que sais-je? tout ce qu'on peut entasser et ressasser dans des centaines de volumes; qui nous étale, depuis long-tems, précisément les qualités que -vous dites, qui en est venue maintenant à s'en prendre à tout le monde, à mordre celui-ci, provoquer celui-là, examiner l'univers, se ruer à grands coups de plume sur son sexe comme sur le nôtre. Qu'en voulez-vous conclure? rien autre chose, si vous m'en croyez, que les tristes dispositions qu'elle avait reçues de la nature, dispositions que les heureux succès de sa jeunesse avaient assoupies, que la première apparence d'un succès contraire a réveillées, que des chutes réitérées et les progrès de l'âge exaspèrent, et qui ne s'assoupiront plus?

Qu'est-ce que la douce poésie á de commun avec tout cela? car c'est de la poésie qu'il s'agissait dans cette guerre, et c'est-là qu'il en faut revenir. C'est le talent poétique qu'un homme qui avait plus que du talent refusait aux femmes. On lui objectait les La Suze, les Deshoulières de l'autre siècle, les La Suze et les Deshoulières du nôtre; il n'en tenait compte, et pour peu que l'on insistât, il avait une épigramme toute prête contre les femmes-poëtes et contre leurs défenseurs.

Quoiqu'on m'ait fait l'honneur de m'attribuer une

aveugle partialité pour lui, et que la peine très-gratuite que j'ai prise d'être l'éditeur de ses Œuvres m'ait valu une assez forte part au feu roulant de critiques et presque d'injures que l'on a fait sur lui quand cette édition a paru, je n'ai jamais été de son avis sur ce point-là, non plus que sur quelques autres; et je suis presque tenté aujourd'hui d'en avoir du regret. Voici une si belle occasion de revenir d'une prévention même invétérée!

Mme la comtesse de Saim, connue d'abord par des poésies légères, que les censeurs les plus difficiles veulent bien pardonner aux femmes, s'est permis ensuite une tragédie lyriqué en trois actes, qui, en laissant à la musique du savant compositeur M. Martini toute la part qu'elle a eue dans ce succès, n'aurait cependant pas obtenu cent représentations et plus, si l'auteur n'y eût pas mis de son côté le talent que le titre seul de Sapho fait attendre, et si elle n'eût assorti le fond, les accessoires et le langage de sa pièce à l'idée que l'on a de cette patrone des femmes-poëtes.

Depuis quelques années, elle a fait plus : elle a entrepris de faire parler la raison en vers, et de revêtir des pensées morales qui ne sont point communes d'un style ferme, précis, quelquefois même austère, et qu'on pour rait appeler mâle si le sexe de l'auteur n'avertissait de n'en point donner au style. C'est bien plus qu'il n'en faut assurément pour devenir, non pas un Bélise ou une Armande, celles-là sont des soltes et des folles, mais enfin telle que les adversaires des femmes-auteurs prétendent qu'elles sont, ou telle que beaucoup de gens qui ne professent pas une opposition aussi marquée craignent qu'elles ne soient.

Ecoutez cependant les amis de Mme de Salm, et les hommes et même les femmes qui forment sa société; ils vous diront qu'on n'est ni plus aimable, ni plus égale, ni plus simple, que personne n'a moins de prétention ni à l'esprit, ni dans l'esprit, qu'elle aime à parler de toute autre chose que de vers et sur-tout de ses vers. Ils vous diront beaucoup d'autres choses qu'il ne faut point répéter ici, et qui paraîtraient des fadeurs aux yeux du public et aux siens.

[merged small][ocr errors]

Laissons donc là les thèses générales, laissons même les parallèles, quoiqu'il s'en présente naturellement, qu'au reste tout le monde peut faire; concluons qu'il en est de la passion d'écrire comme de toutes les autres, et particulièrement comme de celle de l'amour: elles prennent toutes la teinte du caractère, et ne font que développer et renforcer le naturel.

La première moitié de ce recueil de poésies, qu'on en peut regarder comme la plus considérable, est remplie par dix Epîtres ou Discours en grands vers : dans toutes ces pièces, l'auteur prend pour sujet des préjugés ou des erreurs à combattre, des vérités à établir, ou du moins, dans les unes comme dans les autres, ce qui lui paraît tel, ce qui le lui paraît bien réellement, et non ce qu'elle se fait ou un jeu d'esprit, ou un rôle convenu d'appeler ainsi. On voit, à la franchise et souvent même à la véhémence de son style, qu'elle est vraiment persuadée; et si l'on n'est pas toujours de son avis, on ne peut du moins pas lui soutenir, comme on le pourrait souvent à d'autres, qu'elle n'en est pas non plus.

non-seu

La première Epître est adressée aux femmes. Mme de Salm y prend en main la défense de son sexe, lement contre l'injustice dont il est question au commencement de cet article, mais en général contre toutes les injustices des hommes, contre tous les genres de supériorité qu'ils affectent, tous les assujétissemens et toutes les exclusions qu'il leur a plu d'imposer aux femmes. En ennemie aussi habile que brave, elle ne se tient pas tou jours sur la défensive; elle attaque et blesse à son tour, et c'est sur-tout à ceux qui voudraient arracher aux femmes les armes de la main qu'elle se pique de prouver comment elles peuvent sans servir. Quel poëte satirique désavouerait les vers suivans?

Mais déjà mille voix ont blâmé notre audace;

On s'étonne, on murmure, on s'agite, on menace;
On veut nous arracher la plume et les pinceaux :
Chacun a contre nous ses chansons, ses bons mots.
L'un, ignorant et sot, vient, avec ironie,
Nous citer de Molière un vers qu'il estropie;
L'autre, vain par système et jaloux par métier,

Dit d'un air dédaigneux : elle a son teinturier.
Des jeunes gens, à peine échappés du collége,
Discutent hardiment nos droits, leur privilége;
Et leurs arrêts, dictés par la frivolité,

La mode, l'ignorance ou la fatuité,

Répétés en échos par ces juges imberbes,

Après deux ou trois jours sont passés en proverbes, etc.

Bientôt elle fait succéder à ce ton qu'une femme ne peut garder long-tems celui du sentiment qui lui sied toujours. On croit avoir tout dit pour détourner les femmes de la culture des arts et des lettres en leur rappelant les devoirs de la maternité : c'est en mère qui les a remplis, et qui les remplit encore, qu'elle répond à cette objection.

O nature, ô devoir ! que c'est mal nous connaitre !
L'ingrat est-il aveugle, ou bien feint-il de l'être?
Feint-il de pas voir qu'en ces premiers instans
Où le ciel à nos voeux accorde des enfans,
Tout entières aux soins que leur âge réclame,
Tout ce qui n'est pas eux ne peut rien sur notre ame?
Feint-il de ne pas voir (1) que de nouveaux besoins
Nous imposent bientôt de plus glorieux soins,

Et

que pour diriger une enfance timide

Il faut être à-la-fois son modèle et son guide?

Disons tout. En criant: femmes, vous êtes mères!
Cruels, vous oubliez que les hommes sont pères;
Que les charges, les soins sont partagés entr'eux,
Que le fils qui vous naît appartient à tous deux,
Et qu'après les momens de sa première enfance,
Vous devez plus que nous soigner son existence?

(1) Je mets en italique deux petites négligences, deux répétitions de mots, dont la seconde est celle que je désirerais le plus voir corrigée, parce qu'elle tient à une espèce d'usage que la paresse d'un poëte cé lèbre a établi, et qui consiste à répéter mot pour mot un hémistiche et quelquefois plus, sous prétexte de donner au style plus de force ou de mouvement. A quoi bon répéter ce qu'on a dit, quand on a de la place et qu'on est en fonds pour dire autre chose?

« PreviousContinue »