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Elle ouvre en ce moment son humide paupière,
Contemple avec terreur cet abri solitaire,
Et soudain croit entendre, à travers les roseaux
Une voix qui se mêle aux murmures des flots.

Ces accens inconnus renouvellent ses craintes :
Bientôt interrompant ses soupirs et ses plaintes,
Un rustique hautbois, par ses sons discordans,
Non loin semble d'un pâtre accompagner les chants.
Elle approche et distingue, à travers le feuillage,
Un vieillard vénérable assis sur le rivage;
Il nouait des filets en gardant ses moutons,
Et de trois jouvenceaux écoutait les chansons.

Mais l'aspect imprévu d'un guerrier et des armes
Aux timides pasteurs inspire des alarmes :
Herminie aperçoit leur crainte et leur erreur,
Et déposant son casque, objet de leur frayeur,
Découvre de son front les grâces attrayantes,
Et de ses blonds cheveux les tresses ondoyantes.
« Je ne viens point, dit-elle, interrompre vos chants,
» O bergers! ni troubler vos travaux innocens :

Mais lorsqu'autour de vous la discorde et la guerre »De tisons et de sang couvrent au loin la terre, » Par quel charme écartant ces fléaux destructeurs » De la paix en ces lieux goûtez-vous les douceurs..?

» Mon fils, dit le vieillard, j'ai pu jusqu'à cette heure » Aux fureurs des soldats dérober ma demeure,

Et Mars jusqu'aujourd'hui respectant mon repos
N'a pas fait de ses cris retentir nos échos.

Soit 'de l'Éternel la faveur singulière

que

» D'un pasteur innocent protége la chaumière,
> Soit plutôt que les traits de ses foudres vengeurs
Epargnent les bas-lieux et frappent les hauteurs:
» Telles nous avons vu des lances étrangères,

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» Tomber sur les puissans, les fureurs passagères,
» Et le chaume avili de l'humble pauvreté
» Du farouche vainqueur braver l'avidité.

» Heureuse pauvreté! sois ma seule défense,

> Je te dois le bonheur que le ciel me dispense;

» Mon cœur qui te chérit te préféra toujours
» Aux trésors, aux grandeurs, à la pompe des cours
> Ici je ne crains pas qu'une main criminelle
» Empoisonne la source où la soif me rappelle,
» Et ma table frugale et simple en ses apprêts,
> M'offre en tout tems des fruits et des laitages frais.

» Ah! qu'ils sont limités en cette courte vie

» Les besoins d'un mortel sans orgueil, sans envie !

> Servi par mes enfans, libre dans ces forêts,

> La nature est mon bien, mes trésors sont la paix.

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D'ici je vois les faons bondir sur la bruyère,

» Les poissons se jouer au fond de l'onde claire,

> Tandis qu'autour de moi, de leurs tendres concerts, » Mille chantres ailés font retentir les airs....

» Hélas! il m'en souvient, en ma folle jeunesse

› Ecoutant de l'espoir la voix enchanteresse,

» Je méprisai ces biens, je fuis loin de ces lieux,

» Et portai dans Memphis mes pas ambitieux.

» Là mes soins, mes travaux, mon active constance,

» Des jardins du Soudan m'obtinrent l'intendance;

» Je vis de près les grands, leurs soucis, leurs malheurs,

» Et tous les maux secrets attachés aux grandeurs.

» Trahi par la fortune, en butte à son caprice,
Des hommes et du sort j'épuisai l'injustice...

» Mais enfin la raison, triste fille du tems,
» Eclaira mon esprit, désenchanta mes sens;

» Je regrettai les jours de mon heureuse enfance,
» Et de ces bois chéris la paix et l'innocence,

» Et fuyant de la cour le charme suborneur,

Je courus vers ces lieux retrouver le bonheur....

Tandis qu'il parle ainsi, la princesse attentive
Tenait, en l'écoutant, son haleine captive;
Et du sagé vieillard les propos consolans
Ramenant par degrés le calme dans ses sens,
Elle accueille en son cœur l'espérance et l'envie
De passer près de lui le reste de sa vie,

Ou d'attendre du moins, au fond de ces déserts,
Un remède à ses maux, un terme à ses revers.

1

Bon vieillard, reprit-elle, ô toi dont la sagesse
Est le fruit des malheurs qu'éprouva ta jeunesse,
Puisse-tu conserver, au déclin de tes jours,
> Cette paix dont en vain j'implore le secours!

> Exauce par pitié ma prière importune,
» Daigne m'associer à ton humble fortune,
» Et permettre qu'ici, sous l'ombre des forêts,
> Je pleure mes malheurs et cache mes regrets.

» Ah ! si des vains trésors que le vulgaire adore
> Ton cœur ambitieux était avide encore,

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Exige, il m'est facile, en comblant tous tes vœux, » De payer tes bienfaits et de te rendre heureux....»

A ces mots de ses yeux coule un torrent de larmes, Qui semble à sa beauté prêter de nouveaux charmes. Le vieillard attendri partage sa douleur

Et devine à moitié les secrets de son cœur.......

Vers son antique épouse il conduit la princesse
Le ciel depuis trente ans sourit à leur tendresse,
Et tous deux à l'envi par leurs soins paternels
Ecartent de son cœur les souvenirs cruels...

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Déposant de
la
son rang pompe et l'élégance,
Sous les habits grossiers de l'obscure indigence
Herminie en vain cherche à cacher ses attraits
Elle marche, on la croit reine de ces forêts......

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Rien ne peut effacer le sacré caractère
Dont le ciel a marqué les maîtres de la terre,;
Sur leur front, dans leurs yeux, une noble fierté
Révèle de leur sang l'antique majesté.

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Aux premiers feux du jour ouvrant sa bergerie
Au bord d'une onde pure, ou sur l'herbe fleurie,
Les troupeaux sont conduits par la fille des rois,
Et le lait écumant bouillonne entre ses doigts.

Mais lorsque du midi les ardeurs dévorantes
Retenaient à l'écart ses brebis haletantes,
Sur l'écorce d'un hêtre, ou d'un tendre laurier,
Elle grave le nom de l'aimable guerrier

Objet mystérieux de sa flamme secrète....
Le soir en revoyant ces muets interprêtes,
Ces arbres tout couverts d'emblêmes amoureux,
Les larmes à torrens coulaient de ses beaux yeux.

« Conservez, disait-elle, à jamais les vestiges
> De ces traits que ma main imprima sur vos tiges.
> Beaux arbres! si jamais votre ombrage chéri,
» A quelque amant fidèle offrait un doux abri,
» Excitez sa pitié pour une infortunée,

> Aux tortures du cœur sans espoir condamnée ;
> Qu'il pleure en apprenant mon destin rigoureux
» Et le prix dont amour paya mes tendres feux.

» Si le ciel exauçant mes prières secrètes,

› Amenait, quelque jour, sous vos fraîches retraites,
> Cet aimable guerrier, si fatal à mon cœur,
> Et qui, peut-être, hélas ! se rit de ma douleur,
› Arrêtez ses regards sur les pierres funestes
> Qui de mon corps glacé renfermeront les restes.
» Qu'il accorde à ma cendre, une larme, un soupir,
> Et la triste faveur d'un tendre repentir....

> Ah! combien sera chère à mon ombre plaintive,
> D'un touchant souvenir cette marque tardive!
> S'il fut pendant ma vie insensible à mes pleurs,
> Qu'après ma mort, du moins, il plaigne mes malheurs. ›
FORNIER DE SAINT-LARY, ex-législateur.

LES EMBELLISSEMENS DE PARIS.,,

POÊME.

Et erant valdè bona....
GENÈSE, liv. 3, chap. 2.

JE n'irai point chercher en des plages lointaines
Les antiques débris de Palmyre ou d'Athènes;
Sous un ciel nébuleux, m'exilant de nos bords,
Je n'irai point vanter Londres ni ses trésors :
Mais toi, grande cité, souveraine du monde,
Toi, superbe en palais, en monumens féconde,

Immense capitale où triomphent les arts,
Tes embellissemens appellent mes regards.

Paris, quels jours nouveaux de splendeur et de gloire
Succèdent à ce tems d'odieuse mémoire,

Où le monstre anarchique escorté de bourreaux
Dans tes murs tout sanglans arbora ses drapeaux?
Le dirai-je, en ce tems et d'opprobre et de crimes,
Répandant la terreur, entassant ses victimes,
L'hydre des factions, dans ses moindres forfaits,
Brisait tes monumens, ravageait tes palais.
Mais tel que sur les flots battus par la tempête,
Fatigué du tumulte excité sur sa tête,

Le dieu des mers s'élève, et dans leur antre affreux
Repousse d'un coup-d'œil les vents séditieux;
Tel vint Napoléon. La discorde sanglante

A l'aspect du héros fuit pâle d'épouvante;
L'espérance renaît : de Paris exilés

Accourent tous les arts dans Paris rappelés :

Tout change en un moment. La Seine sur ses rives,
Que caressent ses eaux lentement fugitives,

Voit son libérateur premier de nos Césars
Transformant les débris en superbes remparts (1),
En pompeux bâtimens qui lancés dans la nue
De Paris dans les airs prolongent l'étendue,
En ponts audacieux (2) sur les flots élevés,
Travaux d'un demi-siècle en un jour achevés :
Elle voit, s'étonnant de ta pompe nouvelle,
Elle voit terminer, capitale immortelle,
Ce Louvre, que des arts le siècle si vanté
Ne légua qu'imparfait à la postérité.

Louvre majestueux, le burin de l'histoire
A depuis six cents ans consacré ta mémoire,
Et d'un tems plus lointain la sombre profondeur
Dérobe à nos regards ton premier fondateur.
Les siècles dégradaient ta vieille architecture
Quand l'aurore parut de ta grandeur future;

(1) Les quais Napoléon, du Louvre, des Invalides, etc. (2) Les ponts des Arts, d'Jéna, d'Austerlitz.

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