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LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.

ABRÉGÉ DE GÉOGRAPHIE MODERNE, RÉDIGÉ SUR UN NOUVEAU PLAN, ou Description historique, politique, civile et naturelle des Empires, Royaumes, Etats et leurs Colonies, avec celle des mers et des îles de toutes les parties du monde; par J. PINKERTON et C. A. WALCKNAER: précédé d'une Introduction à la Géographie mathématique et critique, avec figures, par S. F. LACROIX, membre de l'Institut et de la Légion-d'Honneur, etc. ;'suivi d'un Précis de Géographie ancienne, par J. D. BARBIÉ DU BOCAGE, membre de l'Institut, professeur de géographie et d'histoire à l'Université impériale, etc.; accompagné de dix cartes coloriées, dressées par ARROWSMITH et P. LAPIE ; et terminé par une Table de noms de géographie ancienne et moderne. Edition conforme à la division politique de l'Europe en 1811, adoptée pour l'enseignement des Ecoles impériales militaires de France. Un volume in-8° de 1300 pages, caractères petit romain et petit texte, grande justification. - Prix, 12 fr., et 16 fr. 50 c. franc de port. A Paris, chez J. G. Dentu imp.-libraire, rue du Pont-de-Lodi, no 3, près le PontNeuf; et Palais-Royal, galeries de bois, nos 265 et 266.

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Je suis assez de l'avis de M. Pinkerton lorsqu'il avoue que de toutes les sciences la géographie est celle qui est demeurée la plus imparfaite et qui a fait les progrès les plus lents. Je ne connais encore aucun traité de géographie qui puisse pleinement satisfaire un homme éclairé. Lorsque Strabon entreprit de décrire les parties du monde connues de son tems, il parcourut l'Europe, l'Asie, l'Afrique, pour s'assurer de la position des lieux, observer et reconnaître par lui-même les mœurs des nations. Nos géographes modernes travaillent plus commodément, ils composent dans leur cabinet,

voyagent dans leur chambre, et se contentent de compiler, pour notre instruction, de vieilles géographies, des voyages et quelques mémoires; et quand ils ont rassemblé en quinze ou vingt volumes ces matériaux informes et grossiers, ils nous assurent que rien ne manque plus maintenant à nos connaissances et à leur gloire.

Mais bientôt on publie de nouveaux mémoires, on imprime de nouveaux voyages; tout ce qu'on avait donné pour des certitudes se trouve converti en mensonges et en fables. Il faut alors recommencer, et les géographies, comme la toile de Pénélope, deviennent des ouvrages interminables.

Il me semble que si j'entreprenais de composer un traité de géographie, j'aimerais à me faire un plan et des idées nouvelles. Je m'affranchirais de tout esprit d'imitation et de servitude, et ne suivrais pas l'exemple de mes chers confrères qui se croient de grands génies en copiant humblement leurs prédécesseurs. Varenius est fort bon; mais il ne faut pas toujours compiler Varenius. J'aime assez les tables géographiques de Gérard Mercator et l'atlas de Josse Hondius; mais depuis Mercator et Josse Hondius les connaissances humaines ont fait quelques progrès. Papire Masson a décrit avec assez d'exactitude les fleuves, les rivières, et quelques villes de France; mais il est possible de les décrire plus exactement encore et quand on est sur les lieux, il en coûte peu pour vérifier les faits.

L'empire des sciences ne s'accroîtra réellement que lorsqu'elles seront cultivées par des hommes plus occupés de leur gloire que de leur fortune; mais aujourd'hui tout est calcul. On veut de l'argent avant tout: Virtus post nummos. Avec de l'argent, on a de l'honneur, de la réputation, des places. On se dit : Je n'ai ni le génie, ni le talent, ni les connaissances suffisantes pour faire un bon livre ; mais qu'ai-je besoin de tout cela? n'ai-je pas, grâce à Dieu, une noble assurance en moi-même ? ne suis-je pas souple et fier, humble et audacieux? Je sais faire une préface, j'ai des amis parmi les journalistes, je vanterai mon propre ouvrage, je dénigrerai

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mes rivaux; le public, un peu grue, me croira, et avant que les gens instruits puissent le désabuser, j'aurai vendu quatre mille exemplaires de mon livre. Cet art de travailler ses succès est porté aujourd'hui au plus haut degré de perfection, et si j'en voulais révéler tous les secrets, combien de grands hommes n'ébranlerais-je pas sur leur piédestal? C'est cette facilité de réussir par l'intrigue qui a jeté dans les sciences et dans les lettres. tant d'aventuriers dont la gloire et les ouvrages se sont effacés comme une vapeur légère.

Cicéron demandait avant tout qu'un orateur fût homme de bien. Cette probité est également nécessaire dans l'exercice et l'étude de toutes les sciences: car ce n'est pas pour nous enrichir que le public achète nos ouvrages, mais pour s'instruire; ce n'est pas pour récompenser l'art, de l'intrigue que les distinctions littéraires ont été inventées, mais pour honorer le mérite: l'homme de lettres et le savant doivent sans cesse être occupés de la pensée noble et généreuse, que c'est pour l'avancement de l'esprit humain qu'ils travaillent.

Vous voulez composer un ouvrage nouveau, commencez par avoir des idées à vous; créez un plau, envisagez votre sujet sous toutes ses faces, voyez non ce qu'on a fait, mais ce qu'on peut faire. Si je considère les divers. traités de géographie publiés jusqu'à ce jour, je remarque que les hommes les plus habiles ont essayé de joindre la partie historique à la partie descriptive, de lier le présent avec le passé, de nous faire connaître les révolutions physiques et politiques de notre globe, et de nous le montrer tel qu'il a été aux diverses époques de notre histoire. Ces idées ont de la justesse et de la grandeur; car quel objet est plus digne de notre intérêt que les annales de cette terre que nous habitons? mais il faut que l'exécution réponde au dessein: si vous ne me présentez qu'une esquisse imparfaite, une image ébauchée, un tableau informe, vous trompez les espérances que vous m'avez données.

J'ouvre l'abrégé de la géographie de Pinkerton, dont je rends compte en ce moment; j'y trouve une excellente introduction, un plan bien conçu, des vues nouvelles,

un grand nombre de parties traitées avec beaucoup de méthode et de soin; mais je remarque aussi, sur d'autres points, un peu de négligence. Je choisis pour exemple la description de la France: l'auteur s'y propose d'en faire connaître la géographie ancienne et moderne ; mais la partie de la géographie ancienne occupe à peine une page.

Je me dis alors: un traité élémentaire est particulièrement destiné à l'instruction des jeunes gens, et les ouvrages des anciens sont plus souvent sous les yeux des jeunes gens, que l'histoire même de leur tems. Les écrits de l'antiquité seraient pour eux des énigmes indéchiffrables, si quelques homines instruits ne prenaient la peine de les leur expliquer.

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Pourquoi donc ne pas leur tracer une suite de tableaux fidèlement dessinés, où ils apprendraient sans confusion et sans peine ce que leur pays a été dans tous les tems? Je leur montrerais d'abord la France occupée par peuplades gauloises; je leur décrirais ses vastes lacs, ses immenses forêts; ils verraient à la place des villes magnifiques qui couvrent aujourd'hui son sol heureux et fécond, de simples villages, habités par des tribus sauvages; ils observeraient avec intérêt la marche progressive de la civilisation; ils descendraient avec les Grecs sur les rives de la Provence; ils se plairaient à voir les arts, le commerce et l'industrie s'établir successivement dans les provinces méridionales; les conquêtes des Romains leur offriraient de nouveaux spectacles. Alors le géographe pourrait décrire avec plus de sûreté les diverses républiques des Gaules, leurs mœurs, leurs lois les formes de leur gouvernement. Ces descriptions n'exigeraient que peu de travail. Sous Auguste, de nouvelles divisions succéderaient aux premières, et les lois romaines accéléreraient rapidement les progrès de la civilisation. L'époque de l'invasion des barbares me fournirait de nouvelles images. Les arts rétrogradent, le nord, l'orient et le midi de la France sont occupés par des peuples nouveaux; le choc des passions, le conflit des moeurs et des intérêts, couvrent la surface de la France de désordres et de dévastations. Enfin Charlemagne jette

les fondemens d'une vaste monarchie; la gloire des tems anciens semble renaître; mais l'incapacité d'un fils, trop faible héritier d'un tel père, enfante de nouvelles calamités. La face de la France est bouleversée, mille petite Etats se forment des ruines de l'Empire, et l'anarchie continue de désoler la France jusqu'au moment où le glorieux ministère de Richelieu fixe enfin nos destinees

Ces tableaux tracés rapidement et développés à l'aide de quelques cartes fidèlement dessinées donnerent Jux jeunes gens une idée exacte des révolutions géographi ques de leur pays; on suivrait le même plan pour italie la Grèce, la Germanie et toutes les terres classiques l'histoire et la géographie s'éclaireraient mutuellement et les jeunes élèves de nos écoles publiques n'ignoreraient plus ces rapports essentiels des tems passés avec les tems présens.

Combien de secours un géographe français ne trouverait-il pas dans nos laborieux écrivains! Quelles sources d'instructions que les ouvrages des Labbe, des Valois, des Duchesne, des Le Cointe, et de tant d'hommes habiles qui ont enrichi l'Académie des belleslettres de leurs savantes recherches ! Il serait d'autant plus à souhaiter que M. Walcknaër voulût s'occuper de ce travail, qu'il me paraît plus convaincu qu'un autre de l'imperfection de la géographie, et qu'il a pris un soin particulier de l'abrégé qu'il présente au public. Ce n'est plus Pinkerton; c'est un ouvrage nouveau.

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