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Elles se mirent en marche tristement et deux à deux ; Maurice les suivit, il voulait aussi rendre les derniers devoirs à la victime d'amour. Le cercueil s'avançait précédé de quelques flambeaux obscurcis par la lumière de la lune, six jeunes garçons le portaient: il était facile de reconnaître parmi eux le poëte Henri, frère de Marie, à sa douleur; mais à la grande surprise de Maurice, lui seul pleurait, lui seul avait l'air profondément affecté. Les hommes plus âgés qui suivaient le convoi, celui même qui le conduisait, et qui sans doute était le père ou le plus proche parent de la défunte, n'avait, ainsi que tous les autres qu'un air décent et touché, mais sans aucune marque d'affliction. Le cercueil fut déposé dans la fosse. Le pasteur fit un petit discours assez froid sur la fragilité de la vie ; les jeunes filles s'avancèrent ensuite, et chacune jeta sa petite couronne de romarin sur la bière, et Marie son bouquet blanc, auquel était attaché un papier écrit, que le pasteur lut à haute-voix : c'étaient des rimes dictées sans art par le cœur simple et sensible d'une villageoise, mais qui touchèrent plus les assistans que le froid discours qu'on venait d'entendre.

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On recouvrit ensuite le cercueil de terre; le bruit de la terre, en tombant, résonnait sur la bière et semblait frapper aussi sur le cœur de Maurice. Cette jeune fleur succombant sous la faulx du malheur et de la perfidie, et qui ne semble regrettée que d'une amie et de l'amant qu'elle a dédaigné, remplissait son coeur de tristesse. La foule se dissipa. Henri et Marie restaient seuls debout et se tenant embrassés à côté de la tombe. Maurice éprouvait le besoin d'y

déposer au moins une larme; il s'en approcha. Marie le regarda avec un triste sourire. La connaissiez-vous ? lui dit-elle, je vous ai vu suivre avec intérêt le cortège, à présent je vois couler vos larmes; êtes-vous son parent son ami, ou seulement son compatriote ? Maurice écoulait avec surprise; je ne vous comprends pas, dit-il, je suis un voyageur, le hasard seul m'a conduit ici dans ce triste

moment er celle qui repose dans ce tombeau était votre

amie.

Ah! oui, sans doute, répondit la jeune fille, ma bien bonne amie, mais seulement depuis deux mois qu'elle demeurait chez mon père, qui est médecin; ma pauvre Zélie était d'un endroit éloigné et si malade; ses parens la voyant périr de langueur l'avaient amenée chez mon père, pour qu'il la guérît; elle était si bonne, si patiente, si re connaissante de nos soins, , que nous l'aimions tendrement; mais hélas ! ils ont été inutiles, son mal était dans le cœur, et l'on n'en guérit pas... Ah! pauvre Zélie, combien elle a souffert, et comme je la regrette! je vous sais gré de vos larmes, vous qui ne la connaissiez pas.

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Nous sommes les seuls qui la pleurons, dit Maurice, ses parens m'ont bien calmes. paru Ses parens, répondit Marie, elle n'en a point ici, je vous l'ai dit, elle était étran gère; son père, mourant lui-même de chagrin, n'a pu venir Fensevelir, c'est le mien qui l'a remplacé: il regrette Zélie, mais elle n'était pas sa fille, quoique je l'aimasse comme

une sœur.

Zélie, elle s'appelait Zélie! dites-vous, et son nom de famille? je voudrais aussi le savoir; souvent, bien souvent je penserai à la pauvre victime d'amour.

Ah! dit Marie, vous avez entendu la romance de la pau vre Zélie ; oui, nous l'appelions tous ainsi, c'est un joli nom de fantaisie que mon frère lui donnait dans ses chansons, et qu'elle avait adopté; elle l'aimait mieux que le sien qu'elle ne pouvait plus entendre. Marie, me disaitelle au commencement, je t'en prie, ne me nomme pas comme me nommait celui qui m'a tuée, ne m'appelle pas

chère Ernestine.

Ernestine! dit Maurice, d'une voix altérée et pâlissant comme la mort.-Oui, Ernestine Sélert de Sonnemberg.... Elle n'a pas fini de prononcer ce mot, qu'elle voit le jeune étranger tomber sans connaissance sur la tombe, en répétant faiblement le nom d'Ernestine. Marie appelle à son secours son frère qui s'était un peu éloigné; ils relèvent

tous deux le malheureux jeune homme, qui rouvré un instant des yeux éteints, et bégaie encore le nom d'Ernestine. Dieu! c'est Maurice, ce ne peut être que l'infidèle Maurice, criait Marie. Il fait un effort, il prononce encore; oui, Maurice l'assassin d'Ernestine, et il retombe sans force, et comme déjà mort. Henri l'emporte chez son père, tous les secours lui furent prodigués inutilement; il revint cependant un instant à lui, pour apprendre de Marie qu'un jeune voyageur, nommé Fréderich, avait apporté à Sonnemberg la nouvelle positive que Maurice avait épousé à Lyon la fille de son maître : ce jeune homme le tenait de la bouche même du père de l'épouse; il avait vu de ses yeux Maurice et sa femme dans le ravissement du bonheur. Il ne fut pas possible d'en douter; ses parens indignés ne voulaient plus entendre parler de lui, et cette nouvelle fut le coup de la mort pour la sensible Ernestine. Ses parens craignant qu'elle ne perdît la raison l'avaient amenée chez le médecin de Nesselrod, qui était en grande réputation pour les maladies de l'ame: celle de la pauvre Ernestine était blessée à mort, et ni la science du docteur, ni l'amitié de sa fille, ni l'amour de son fils ne purent la sauver. Maurice chargea Marie de sa justification auprès de ses parens et de ceux d'Ernestine. Il expira doucement sur le matin; la même lune qui avait éclairé les funérailles d'Ernestine, éclaira les siennes, et ils reposent à côté l'un de l'autre.

Par ISABELLE DE MONTOLIEU.

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POLITIQUE.

LA gazette de Pétersbourg vient de publier le rapport suivant, adressé au gouvernement par le général en chef Kulusow.

« Les troupes turques qui étaient campées sur la rive droite du Danube, ont été attaquées à l'improviste le 14 octobre (nouveau style ) par le lieutenant-général Markoff. Elles ont été mises en fuite avec une perte de 1500 morts et 300 prisonniers, parmi lesquels plusieurs officiers de marque. Nous avons pris en outre 8 canons, 22 drapeaux, le bâton de commandement de l'aga des janissaires, et une grande quantité de munitions et de bagages. Notre perte consiste en 9 morts et en 40 blessés. Le major de Bibikoff, du régiment des hussards d'Owerpol, a été blessé. Le grand-visir est en personne auprès du corps turc qui est sur la rive gauche du Danube, vis-à-vis de notre armée, dont les deux ailes sont sur le Danube même. Nos chasseurs se sont emparés, sur la rive droite du Danube, de presque tous les bateaux dont les Turcs s'étaient servis pour effectuer leur passage. Toute communication avec Rudschuck est coupée aux Turcs qui sont sur la rive gauche du Danube. Le corps du général Markoff est composé de dix escadrons de hussards, deux régimens de Cosaques et 5000 hommes d'infanterie, avec l'artillerie nécessaire.»

Cet événement publié à Bucharest y a été célébré par un Te Deum, auquel toutes les autorités civiles et militaires ont assisté; on croyait, à cette époque, dans les provinces qui sont le théâtre et le sujet de la contestation avantage pourrait avoir des résultats importans.

, que cet

Pendant ce tems, le pacha Juleimann a passé la Drina avec la plus grande partie de l'armée bosnienne auprès de Zuorwich, et a pénétré en Servie; on n'a encore aucun détail des combats qui ont pu avoir lieu, et du degré dé résistance que les Turcs ont pu éprouver. Les Serviens, à ce qu'on assure, ont, dans cette situation critique, formé deux corps; le plus considérable s'est porté sur Widdin l'autre sur Nyssa. Le pacha de Bosnie se tient avec un corps,

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de réserve auprès de Rwornich sur la gauche de la Drina, occupé à mander et à organiser des renforts.

A Constantinople, tout était tranquille à la date du 10 octobre, et l'on ne considérait que comme des événemens peu importans les petits combats jusqu'alors livrés sur le Danube. L'expédition, contre Aly Molla, pacha d'Héraclée, était terminée ; ce rebelle menacé par terre et par mer avait pris la fuite. Tous les gouverneurs de la haute Asie ont reçu l'ordre de le livrer mort ou vif. En Egypte tout se préparait pour l'expédition contre les Wahabites; l'infanterie était déjà arrivée à Suez, et s'embarquait pour les côtes d'Asie. La cavalerie était encore attendue du Gaire. On évalue à 20 millions de piastres les frais de cette expédition, poussée avec une activité extraordinaire par Mehemed Aly Pacha qui poursuit son plan avec ardeur, et paraît espérer un ample dédommagement dans l'im mense butin qu'il compte faire.

A Vienne, le cours se bonifie, et l'on a tout lien d'espérer qu'il se soutiendra; on croit savoir que la cause de cette amélioration est dans quelques déclarations faites à la diète par l'Empereur, déclarations qui doivent hâter le terme de sa session.

En Saxe, le roi continue à visiter le grand-duché de Varsovie; on présume qu'il ira à Cracovie. Dans le royaume on s'occupe sans relâche de tout ce qui peut contribuer à l'amélioration de l'organisation militaire; celle de la ca valerie occupe sur-tout le gouvernement; divers régimens de dragons doivent être convertis en hullaus et lanciers; le régiment du prince Clément est de ce nombre; Farmée est en cantonnement sur les deux rives de l'Elbe. En Westphalie, le maréchal prince d'Ekmull est arrivé le 3 novem→ bre à Magdebourg, où il a été reçu par la garnison sous les armes et avec tous les honneurs dus à son rang. Il est reparti de cette place le lendemain.

Les nouvelles du Danemarck se réduisent à des détails sur les suites désastreuses pour les convois anglais du coup de vent qui a régné depuis le 23 octobre jusqu'au 2 novembre sur les côtes de la Séélande. Une fregate anglaise a disparu dans la tempête; un vaisseau de ligne a touché sur un écueil près de Bonholm, et a coulé; le convoi qui récemment avait passé le Belt a été dispersé.

Les Anglais ne peuvent apprendre ces désastres qu'aveơ beaucoup de chagrin ; mais enfin quoiqu'ils se soient per suadés être les maîtres de la mer, comme il faut bien payer

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