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public; mais, pour le vôtre, je crois à propos que vons paraissiez laisser échapper quelques marques d'un ressentiment difficile à contenir; rien ne sera plus propre à vous faire croire du nombre de ceux qui essuyèrent alors des pertes considérables. Il est vrai que ces hommes-là ne sont pas les plus prompts à déclamer de la sorte; mais faites attention que, sans chercher ici à prévenir en votre faveur les gens qui réfléchissent, je vous parle au contraire des jugemens de la multitude. Elle est trop méprisable, à votre avis; il faut pourtant lui plaire, vous dis-je. Un triomphe au théâtre en captiverait les suffrages; c'est là que son empire est visible, c'est là qu'un nom se fait en un jour. Trois ou quatre mille applaudissemens réunis forment le plus éclatant des éloges, et dès qu'un auteur a été l'objet d'un tel bruit, son sort est presque assuré.

Consultez néanmoins vos goûts, vos penchans, nonseulement pour faire mieux, mais sur-tout pour travailler avec moins de peine. Un labeur opiniâtre altère la santé ; une santé flétrie a ses inconvéniens dans le monde, et peut vous nuire dans des circonstances particulières. Ne le perdez jamais de vue, ce monde à qui l'on reproche tant d'inconséquence et tant de jugemens précipités, mais qu'on appelle pourtant le monde, parce qu'en effet ses décisions règlent tout sur la terre. Saisissez quelque occasion favorable, et parlez-y avec chaleur de ceux qui protègent les lettres; on croira que vous êtes protégé; l'on se dira tout bas, peut-être deviendra-il puissant, et dès-lors vous apercevrez je ne sais quoi de différent dans la manière dont on vous lira. C'est le premier avantage que vous en retirerez, mais ce n'est point le seul, et les moyens que je vous indique ont plus de fécondité : cet artifice, qui n'a rien de coupable, peut faire naître dans l'esprit de quelque prince l'idée de vous protéger en effet. Dontez-vous que mon stratagême soit très-moral? Raisonnons. De manière ou d'autre, vous ne pouvez éviter de flatter les grands et de servir les riches, ce qui, en vous attirant le blâme de peut-être dix esprits moroses et sévères, vous procure les moyens d'éblouir cent personnes aimables, dont les suffrages en entraîneront douze cents. Eh bien! de tout ce qui tient à l'intrigue, la voie que je propose est la plus innocente; sans être qualifié d'intrigant, vous jouirez des avantages que les intrigans se promettent, et il faut convenir s'ils emploient quelquefois des moyens odieux que je suis loin de Yous conseiller, leur art, considéré sous un autre aspect, a

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vraiment du bon; j'en entrevois les difficultés et les ennuis, mais enfin il fatigue moins la tête que le travail assidu sans lequel on ne peut achever un grand ouvrage, et ses effets sont plus sûrs que ceux du zèle.

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Il est de nobles sentimens que l'on se voit forcé de réprimer quand ils ont quelque chose de trop inflexible. Vous voudriez être désintéressé, mais le serez-vous, si la raison même ne le conseille pas? Je crois vous avoir entendu dire qu'il conviendrait de ne tirer aucun avantage pécuniaire de ses écrits, à moins d'y être contraint par le malheur, qu'alors même il y a plusieurs exceptions à faire et qu'il n'est point de nécessité qui puisse tout justifier à cet égard toutefois quand vous y aurez mûrement réfléchi, vous écrirez pour de l'argent; oui, vous-même, et voici comme vous argumenterez en deux mots. L'on a un motif quand on agit, et l'on ne travaille que pour satisfaire un désir quelconque, or ce que je désire, l'argent le donne, puisqu'il donne tout écrirais-je pour la gloire? mais c'est l'argent qui la donne.

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Rien ne vous réussira si vous ne pouvez pas faire à propos de certains sacrifices, ou seulement laisser entrevoir que vous sauriez donner, et si vous n'avez pas même un dîner à proposer, une loge à partager. Cependant vous serez accueilli jusqu'à un certain point, et plusieurs voies s'ouvriront pour vous, parce que le désir d'obliger est universel; mais bientôt des obstacles imprévus vous les fermeront toutes', parce que les obstacles imprévus sont en nombre arbitraire. Les facilités que l'argent procure conduisent à la réputation, et celles que la réputation multiplie accroissent les revenus : ces deux sources de prospérité doivent couler simultanément.

Si vos débuts sont heureux, n'en perdez pas le fruit par trop de confiance, et gardez-vous de négliger quelques avis que je dois vous donner encore : je voudrais ne rien omettre d'essentiel dans ce rapide exposé d'une théorie qui est trop compliquée sans doute et trop étendue pour les bornes d'une lettre.

Ces voix douces et trompeuses que les navigateurs entendaient jadis dans le voisinage des écueils et des profonds abîmes, n'étaient pas plus dangereuses, n'étaient pas plus perfides que le murmure flatteur d'une célébrité naissante. L'ame s'élève aussitôt et croit s'affermir en concevant de brillantes espérances, elle s'agrandit pour cette destinée peu commune, elle se persuade que la flamme du génio

peut luire dans des régions sublimes. Sublime est votre mot, j'en suis sûr : eh bien ! mon cher, c'est précisément ce qui peut vous réduire à faire une humble figure sur la terre. Tout est perdu, si vous prétendez mériter qu'on vous admire : rendez-vous agréable au contraire, et vous serez estimé, faiblement peut-être, mais unanimement.

Voulez-vous plaire? fréquentez les salons. Si vous n'y paraissiez point, votre nom mis à vos ouvrages, passerait pour un nom supposé; l'on chercherait à deviner parmi les auteurs à la mode l'auteur du livre que vous publieriez. Je veux que l'on puisse enfin connaître votre vie retirée, l'inconvénient ne sera pas moins grand, et rien ne paraîtra plus suspect. Le moyen de croire en effet, qu'un auteur qui ne dînerait que chez ses amis, qui ne chercherait aucune protectrice, et qui ne s'attacherait à aucun parti, pût agir de la sorte, d'après ses principes et son caractère, et sans avoir l'intention d'en être d'autant plus remarqué ! Vous n'êtes pas avec, vous êtes donc contre nous, dira-t-on; nous ne vous rencontrons pas dans l'antichambre des hommes puissans, nous sommes donc justement convaincus que vos opinions secrètes ne tendent qu'au renversement de la société. Vous recueillerez d'ailleurs dans les salons des applaudissemens d'un augure favorable, et vos ouvrages connus avant de paraître, se seront d'avance assuré des lecteurs. Cet avantage est inappréciable, et le livre d'un homme du métier qui a fait de prudentes lec tures, doit l'emporter sur ceux d'un homme de génie qui laisserait au libraire le soin d'annoncer les siens.

Voulez-vous plaire? remplissez les vôtres, non pas de ce qui engagerait vos lecteurs à réformer leur vie, mais de tout ce qui peut la leur faire trouver bonne telle qu'elle est. Il y aurait de la maladresse à leur parler de la rendre plus heureuse; ils cesseraient de vous lire: ainsi volre ou vrage inutile, pour vous, le serait aussi pour eux. Peignezleur tout en beau; par-là vous ne leur ferez également aucun bien, mais du moins vous vous en ferez à vous

même; l'on vous lira, l'on vous approuvera. Délasse mens', plaisirs, ouvrages d'agrément, c'est l'affaire la plus sérieuse de la société; ce qui est vrai pour elle aujourd'hui, c'est ce qui est gai; jamais on n'a mieux senti, je pense, que l'art de vivre est celui de s'amuser.

Voulez-vous plaire ? livrez-vous sur-tout à la poésie. Maintenant la prose est pour ainsi dire déplacée ; il semble toujours qu'elle prétende instruire. Le vers, plus agréable,

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ne veut qu'amuser, et l'on s'y livre sans crainte, sachant que le poëte ne cherche que l'art; mais la prose la plus légère inspire toujours quelque défiance, elle pourrait toutà-coup devenir raisonnable, et dès-lors préparer de nouveau ces calamités dont les Montesquieu, les Mably, les Condillac ont été les véritables artisans. Si toutefois vous écrivez en prose, si vous donnez même dans le genre rieux, car effectivement cela servirait à prévenir la monto nie, et l'on ne saurait s'opposer tout-à-fait à la diversité des penchans, si donc ce lot malheureux vous tombe en partage, n'allez pas y mettre une importance surannée, La nature a pu vous faire profond, mais pour dissimular un tel défaut, n'écrivez que sur les sciences précisément dites: il est permis encore d'être un vrai savant, hâtez-vous d'en profiter, on ignore si cela durera; mais dans tout le reste, peu de raison, fort peu. Gardez le silence si vous ne savez pas être frivole, et n'allez point suivre les traces de ces graves insensés que, soit par obstination, soit seulement par habitude, l'on regarda si long-tems comme des sages. Si vous les en croyez eux-mêmes, rien n'est plus noble ou plus utile que le ministère qu'ils aspiraient à remplir; si vous consultez l'histoire, des faits nombreux paraissent confirmer leurs prétentions: mais, au fond, qu'est-ce que cela prouve? Que l'histoire aussi peut nous tromper. Ce que nos principes s ne sauraient admettre n'est sûrement pas arrivé. Plusieurs écrivains d'ailleurs ont étrangement abusé de la philosophie dans des tems voisins de nous; plus forte raison tous doivent en avoir abusé dans les siècles éloignés et moins bien connus vous le voyez, on ne saurait guères répondre à cela. C'est pourquoi je vous conseille fort de ne pas imiter ces sortes de gens, et même de ne pas les lire, afin de les mépriser plus facilement. Attachez-vous à ce qui est positif; fuyez en tout l'idéal; la contemplation de l'idéal peut conduire dans le vague, et même dans la région des chimères, donc l'idéal est essentiellement mauvais. Toujours du positif, je le répète : les fleurs ne seront belles désormais que dans un jardin botanique, ou dans l'atelier d'un Van-Dael.

Voulez-vous plaire enfin, et plaire au grand nombre ? flattez notre penchant naturel à nous occuper uniquement de nos intérêts les plus directs, à n'étudier que nousmêmes. C'est un instinct conforme aux lois générales; si j'étais fabuliste, si, dáns mes vers, les lièvres savaient peindre, il y aurait toujours dans leurs paysages un gîte

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sur le premier plan. Il faut tout rapporter à soi-même, et pour un lièvre un tableau sans lièvres serait dénué de tout intérêt. Si donc il vous arrive, je le suppose, de décrire l'heureuse matinée d'un beau jour, la douce harmonie des terres que le soleil commence à éclairer, des eaux qu'il colore, et des forêts dont il semble épaissir les ombres, les nuages brillans qui s'élèvent, le brouillard léger qui roule dans la prairie, et cette fraîche émanation, cette odeur plus suave que tous les parfums qu'exhalent de toutes parts les champs et les bois, ne manquez pas, pour nous intéresser, d'introduire dans ces paisibles lieux un homme d'esprit qui sache exprimer, en rimes savantes, les plus ingénieux caprices d'une ardeur amoureuse, et que sur-tout il n'aille point, follement enthousiasmé des splendeurs de la nature, oublier les moindres délicatesses de la manière actuelle et le goût particulier des maisons où il désire être admis..

( Article communiqué par M. de SEN**.)

VARIÉTÉS.

et.

NOUVELLES LITTÉRAIRES. - La troisième Classe de l'Institut de Hollande ayant appris par le Courrier Royal du 2 septembre 1809, qu'un laboureur avait trouvé dans un champ près de Monte-Rosi, une médaille qu'on jugeait être la plus antique de toutes celles qui sont connues, qu'on rapportait aux tems de Servius Tullius, a fait faire d'exactes recherches pour s'assurer de la rareté et de l'antiquité de cette pièce. Elle s'est adressée à son correspondant, le chevalier de Galdi, alors intendant à Naples, et lui a demandé tous les éclaircissemens qu'il serait à même de lui communiquer sur cet objet. M. de Galdi a envoyé à cet effet à la troisième Classe, un dessin très-fidèle et de la grandeur de la médaille, d'après lequel on a pu juger de sa forme véritable. La Classe a été bientôt convaincue que cette pièce était loin d'être aussi inconnue et aussi rare qu'on l'avait prétendu. C'est simplement un as rōmain exactement conforme à celui du Cabinet de la bibliothèque de Sainte-Geneviève, qui a été décrit par le Père Claude de Molinet, et dont Montfaucon a reproduit le dessin dans son Antiquité expliquée, tome III, première partie, page 155.

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