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se trouvent entre les dogmes de la religion chrétienne et certains points de la doctrine du philosophe grec n'avaient pas hésité de dire que la grâce l'avait éclairé et lui avait révélé quelques-uns des mystères de notre foi. Quelque respectable que soit une pareille autorité, je doute cependant qu'elle suffise pour fonder une épopée dans laquelle Platon, quatre ou cinq cents ans avant l'an de grâce, prêcherait le culte du vrai Dieu, recevrait les inspirations de l'un de ces esprits célestes qui ne se communiquaient alors qu'aux élus du peuple hébreu, et transformerait le plus fougueux athée de l'antiquité en confesseur de la foi, en héros de la légende. On a reproché à Virgile d'avoir fait Enée contemporain de la reine de Carthage; l'anachronisme qu'on peut reprocher à M. J. P. Bręs n'est pas racheté par autant de beautés et pourrait faire naître plus de scrupules. Je regarde, quant à moi, la question comme assez délicate pour mériter d'être soumise à quelque docteur in utroque, tel, par exemple, que Me de Genlis, que ses connaissances en littérature, et ses lumières en matières de religion, rendent plus propre que personne à la résoudre. Je me bornerai à faire remarquer, sous le rapport littéraire, l'effet général d'une composition qui intervertit ainsi l'ordre des tems, et sacrifie la vérité historique à des fictions.

M. Bres dit quelque part qu'il a écrit son poëme en l'honneur de la divinité; et en effet, sur sept livres dont il se compose, il y en a six de consacrés à la réfutation de l'athéisme. Cependant le titre de l'ouvrage et une préface que l'auteur consacre au développement du sujet, annoncent une action : c'est la délivrance d'Athènes par Trasybule, et le sujet du 7 livre. On ne saisit pas trop comment cette action se lie à l'idée principale. Mais ce qu'on voit clairement, c'est qu'il n'y a pas d'unité dans l'ouvrage, et que les six premiers livres sont trop didactiques pour le septième, ou celui-ci trop épique pour les six autres. Une analyse succincte mettra le lecteur à même d'en juger.

L'auteur remonte à l'exil d'Alcibiade et à l'oppression d'Athènes sous les trente tyrans. Platon, le héros du poëme, pour se soustraire à l'esclavage, se met à voya

ger. Ses voyages lui donnent occasion de rendre grâces aux Dieux. Ils ont, dit-il,

Ils ont tout fait pour nous, comme pour la nature;
Elle a reçu leurs dons mais elle a resté pure."

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Je remarque en passant que le verbe neutre rester ne se conjugue qu'avec l'auxiliaire être. Mais je me hâte d'arriver avec Platon sur le mont Olympe.

Un mortel d'une noble structure

Lui paraît en ces lieux observer la nature.

Il avance, et Platon, par un attrait puissant,
Trouve dans l'étranger un charme intéressant.

Plus d'un lecteur pourrait se figurer que cet étranger, ce mortel d'une noble structure, n'est autre que l'une de ces divinités païennes qui faisaient de l'Olympe leur résidence sur la terre: il se tromperait. Cet étranger est

Le sensible Araël, cet ange de la vie.

Un nom si peu grec dut surprendre Platon. Ce qui n'est pas moins étonnant, c'est qu'Araël ignore ce qui se passe sur la terre et fasse des questions telles que celle-ci :

Socrate est-il toujours avec son bon génie,

Le chef intéressant de la philosophie ?

A quoi Platon répond par un tableau de la tyrannie sous laquelle gémissent les Athéniens.

Nos crimes sont toujours basés sur nos vertus.
L'on mène à l'échafaud les citoyens connus
Par des talens, de l'or ou par quelque énergie;
La seule obscurité donne espoir à la vie.

J'ai cru comprendre que le premier vers voulait dire que « plus on était vertueux, plus on était criminel; » et le dernier, que « la seule obscurité préservait du sup»plice,» J'avoue que j'en ai senti un mouvement d'orgueil que je pourrais bien n'avoir pas suffisamment réprimé; car je m'aperçois en ce moment, que c'est avec un ton de découverte que je fais part à nos lecteurs de

mon commentaire. Je reprends mon analyse. Araël tâche de relever le courage de Platon.

Pourquoi d'un Critias supporter le courroux?
Ce découragement est indigne de vous.

A lui fait ensuite un long discours dans lequel il lui parle tantôt au nom des dieux, tantôt au nom du trèshaut; et conclut à ce que Platon retourne à Athènes pour y ranimer le zèle des amis de la liberté et de la patrie.

Quand vous aurez vaincu vos tyrans abhorrés,
Enseignez du très-haut les préceptes sacrés.

Sur ton front Dieu va mettre un rayon de sa gloire.

Il te fera briller au temple de mémoire.

Ton cœur doit pressentir ses décrets éternels,
Et d'un flambeau céleste éclairer les mortels.
Dans l'espoir, dans l'amour et dans l'intelligence
Du Dieu qui nous créa faisoir la triple essence.

Ce passage offre deux particularités que je crois devoir faire remarquer; d'abord, cette mission apostolique de Platon sur laquelle j'ai fait entrevoir quelques-uns de mes scrupules; ensuite la révélation de la trinité. Il ne faut cependant pas croire que cette définition du plus grand de nos mystères soit exactement celle qu'en donne Platon. L'auteur du poëme en revendique une partie. On peut voir dans une note assez longue ce qui est à lui et ce qui appartient au philosophe grec. Cette question est d'un ordre trop élevé et trop étrangère d'ailleurs à la critique littéraire pour que je m'y arrête davantage. Je crois avec les simples que ce sont des profondeurs qu'il est imprudent de sonder.

:

Ici finit le premier livre dans le second, Platon a une entrevue avec Trasybule qu'il fallait bien commencer à mettre en scène dans une action dont, au rapport de l'histoire, il fut le premier et long-tems le seul mobile. En groupant autour de lui et Socrate et Platon et Diagoras, M. Bres me semble avoir ôté quelque chose de ses proportions à ce héros de la Grèce, qui fut, sinon l'un des plus grands hommes de l'antiquité, du moins

pour

la

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l'un des plus vertueux, et l'un des plus nobles caractères que l'histoire nous ait conservés. C'est lui que biographe le plus sobre de réflexions, Cornélius Népos, semble sortir de la simplicité ordinaire de son style; c'est lui qu'il voudrait placer au premier rang de ceux dont il écrit la vie, si l'on pesait la vertu et non la fortune. Du moins, dit-il, je n'en vois aucun que je lui préfère pour la bonne foi, le courage, la grandeur d'ame l'amour de la patrie. Cependant, ajoute-t-il avec naïveté, je ne sais comment cela se fit; mais tandis que personne ne le surpassait dans l'exercice de ces vertus, beaucoup le devancèrent dans la carrière des honneurs et des dignités. Voulant ensuite faire ressortir davantage le fait d'armes qui délivra Athènes de l'oppression, il le compare aux autres exploits militaires dans lesquels le soldat revendique une part, et la fortune une plus grande encore; tandis que la victoire de Trasybule lui appartenait en propre, qu'il avait été non-seulement le premier, mais, au commencement, le seul artisan de la guerre contre les tyrans : Non solum princeps, sed et solus initio. Il paraît en effet que les secours sur lesquels il avait compté, se firent long-tems attendre. C'est encore son historien qui en donne la raison. Dès-lors, dit-il, les gens de bien parlaient mieux pour la liberté qu'ils ne combattaient pour elle. On me pardonnera, j'espère, cette digression qui ne m'a point paru trop étrangère au sujet, et qui peut servir à montrer en quoi et jusqu'à quel point M. Bres, dans son poëme, s'éloigne de l'histoire. Je laisse à d'autres à décider s'il est justifié par le succès.

Lorsque Platon s'est ainsi assuré de Trasybule, qui n'avait pas besoin de ses encouragemens, il court auprès de Socrate son maître qui lui promet aussi son bras, et revient à Athènes où il ne tarde pas à se faire enfermer. On se demande d'abord pourquoi, au lieu de se joindre à cette poignée de braves qui s'emparaient des forteresses d'Athènes, et se préparaient à attaquer les tyrans, Platon vient argumenter contre eux. Mais telles étaient les instructions de l'envoyé céieste; dans la prison, nou

velle apparition d'Araël, à qui Platon dit d'un air assez mécontent:

J'ai suivi ta doctrine 9

J'osai tout espérer de sa clarté divine.

Vois pourtant dans les lieux où me voilà plongé

Les fers dont, pour mourir, les tyrans m'ont chargé.

Homère des philosophes, cygne de l'Académie, divin Platon! est-ce bien là votre sublime langage? Qui reconnaîtrait dans la prose un peu dure de ces vers, la poésie mélodieuse de votre prose?

Mais la scène change; un être moins fantastique que le chérubin se fait bientôt entendre par des imprécations contre la divinité : c'était Diagoras, fameux dans l'antiquité pour son athéisme et pour avoir un jour, dans une auberge où le bois manquait, jeté au feu une statue d'Hercule en disant : fais bouillir la marmite, ce sera le dernier de tes travaux. Platon lui demande son nom. Que t'importe? répond Diagoras.

Toujours plus sagement on en poursuit le cours,
Lorsqu'on sait à quel homme adresser son discours,

Réplique Platon; et voilà la conversation engagée sur l'athéisme. Elle termine le second chant ou livre. ( Car M. Bres a donné ce nom modeste aux divisions de son poëme, et par les échantillons qu'on a vus de ses vers, on peut croire qu'il a bien fait. )

Dans une prison on n'a rien de mieux à faire que de causer. Ainsi font Diagoras et Platon; l'un prêchant toujours contre l'existence des Dieux, et l'autre pour. La discussion peut paraître longue, car elle est seule Fobjet des troisième et quatrième livres; mais Diagoras était difficile à convertir. Au cinquième, Platon paraît devant Critias, et là, nouvelle discussion sur l'existence de Dieu; elle n'est interrompue que par le sixième livre, et parce que Critias avait à

Vaquer à la liste fatale

Qui livrait ses proscrits à la rive infernale.

Il revient bientôt reprendre une conversation qui l'in

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