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à s'éloigner pour toujours des lieux qui nous sont chers. Ils viennent se retracer à notre mémoire embellis de tout ce qui leur donne du prix à nos yeux; on les passe, en quelque sorte, en revue, les uns après les autres, comme pour leur dire un dernier adieu.

On pourrait objecter à l'auteur que les muses n'ont pas tardé si long-tems à venir en France. Prétendre qu'elles inspiraient de loin les Corneille, les Racine, les Voltaire, les Rousseau, ce serait établir une étrange opinion. Si malgré cet éloignement elles ont opéré parmi nous tant de prodiges, que ne doit-on pas attendre de leur présence? Cependant nos poëtes actuels ne se flattent pas, sans doute, de surpasser les grands modèles qui sont la gloire éternelle de notre littérature. Or, si ces grands hommes ne sont pas surpassés ou même égalés, il s'ensuivra, dans l'hypothèse du poëte, que les muses auront eu plus de pouvoir de loin que de près. Il était pour le moins inutile qu'elles fissent le voyage.

Voilà le vice réel du sujet. Le lecteur est obligé d'admettre une supposition un peu gratuite; mais enfin cette hypothèse reçue, l'Ode marche d'elle-même, et comme elle est sagement conduite, on ne s'aperçoit guère que le point de départ n'est pas bien choisi.

Le style de cette Ode, ainsi que des deux autres, est généralement remarquable par la fraîcheur et l'éclat du coloris, ainsi que par la pureté de l'expression. Les strophes que nous avons citées sont douces et harmonieuses. Celles qui suivent nous ont présenté quelques taches. L'auteur nous représente César

D'un triple nœud d'airain enchaînant l'injustice
Devant la majesté des lois..

Injustice est trop faible, sur-tout après le triple nœud

d'airain.

Les arts sont florissans, et le travail utile

Enrichit le sol des hameaux.

Le premier de ces deux yers manque de poésie.

Aux bords lointains du Nil le Dieu de la victoire
Tonnait pour eux du haut des airs :

La voix de la tempête a raconté leur gloire

Aux sables brûlans des déserts.

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L'auteur tombe ici dans un défaut qui ne lui est pas ordinaire l'enflure et l'obscurité.

:

La troisième Ode, sur les vanités humaines, commence de la manière la plus imposante.

Les rois humiliés sous la pourpre captive.
Adoraient à genoux la superbe Ninive;
Des hauteurs du Liban l'orage est accouru.
Ils ont levé les yeux au séjour du tonnerre;
Et comme ils ramenaient leurs regards vers la terro
Ninive a disparu.

On voit ici combien le choix heureux du mètre peut ajouter à l'effet d'une grande pensée ou d'une belle image.

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Ton sceptre, ô noble Tyr, gouvernait les tempêtes;

Tes fils voluptueux dans leurs royales fêtes

S'endormaient sur les fleurs au doux bruit des concerts,

O Tyr! et tu n'es plus qu'une roche sauvage

Et la mer, en fuyant, a cédé ton rivage
Au'sable des déserts..

Sur les fleurs, cette expression n'est pas locale; il eût mieux valu sur la pourpre. A cédé ton rivage: on peut contester la justesse de cette pensée. Le rivage, ne se forme pas des sables du désert qui empiétent sur les ondes, mais bien des sables que la mer recouvrait ellemême, et qu'elle abandonne en se retirant plus loin.

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Sur les bords gémissans du Tibre solitaire
Rome pleure aujourd'hui l'empire de la terre.
O retours du destin! ô vide des grandeurs!
Voilà César, Sylla, le héros de Minturne!
Regardez, conquérans ! l'espace étroit d'une urne
Enferme ces vainqueurs.

- ༈་、

A l'exception du dernier vers qui désigne d'une manière trop générale Marius, César et Sylla, cette strophe nous paraît très-belle de pensée et d'expression. Nous en dirons autant de celle qui suit. Nous la croyons

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même supérieure à la précédente; elle rappelle un vers souvent cité, de Juvenal.

Déplorable néant des vanités humaines !

Que reste-t-il de vous, ô cités souverainés!

Vous n'avez donc laissé qu'un nom dans l'univers?
Oui, tout s'est englouti dans le torrent des âges,
Comme la goutte d'eau qui tombe des nuages
Dans l'abyme des mers.

Cette strophe ne serait pas déplacée même parmi les
plus belles de Rousseau. Si le poëte se soutenait toujours
à cette hauteur, cette Ode pourrait être regardée comme
un des meilleurs morceaux dans ce genre, mais les der-
nières strophes ne répondent pas tout-à-fait aux pre-
mières. Il n'y a plus la même suite dans les idées; le
dessein de l'auteur paraît vague et incertain. Cette cri-
tique, du moins, ne s'applique pas à la strophe qui suit
immédiatement celle que nous
is venons de citer. Au con-
traire, le mouvement nous en paraît très-heureux. Après
avoir indiqué par des traits rapides la ruine ou même la
disparition totale des plus grandes villes et des plus
grands empires, le poëte s'écrie:

Elevez maintenant des palais magnifiques,

grands, et contemplez leurs fastueux portiques,
Rêvant le fol espoir d'un immortel séjour...
Comptez plutôt, comptez vos fugitives heures!
Et combien pensez-vous habiter ces demeures ?
Des siècles? un seul jour.

Cette opposition est grande et vivement exprimée.
L'auteur dit, quelques strophes après, en parlant des
rois :

Combien sont maintenant étendus sous la pierre,

Avec leurs ornemens tout souillés de poussière,
Leur couronne brisée et leur pourpre en lambeaux!
Dussé-je encor blesser votre superbe oreille,

La cendre la plus vile à la vôtre est pareille,
Majestés des tombeaux !

Pour les justes mourans s'ouvre un plus noble asyle, etc.

Dussé-je encor blesser, etc. Ici il n'y a pas de transition.

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Les vers qui suivent ne sont pas la conclusion de ceux qui précèdent. Boileau a dit :

Souvent un beau désordre est un effet de l'art.

Ce désordre apparent ne doit pas exister dans la liaison des idées, autrement on cesserait de s'entendre, et le beau désordre conduirait à l'obscurité. Le poëte peut sortir de son sujet, si une image ou une réflexion incidente l'y convie; il peut suivre le nouvel ordre d'idées qui viendront frapper son esprit, el par une transition heureuse rentrer dans le sujet comme un homme qui suivant la route tracée devant lui s'en écarterait un moment pour y revenir par des sentiers détournés. Voilà ee qui constitue ces écarts permis aux poëtes lyriques. Il sont d'autant plus heureux qu'ils sont plus adroitement ménagés; mais, quand ils brisent la chaîne des idées sans rejoindre les anneaux séparés, il n'en résulte que de la fatigue pour le lecteur occupé à chercher les idées intermédiaires. Ainsi, on ne voit pas pourquoi M. de Cormenin dit: Dussé-je encor blesser votre superbe oreille. C'est faute d'un développement qu'il devait donner aux vers précédens. Il fallait qu'ils renfermassent une comparaison semblable à celle qui est exprimée dans les derniers vers de la strophe.

De cette analyse nous devons conclure que M. de Cormenin élevé à l'école des bons modèles sait marcher sur leurs traces. Les réflexions qui précèdent ses Odes annoncent un esprit solide, un bon jugement, et un goût déjà éclairé. Son style a de la pureté, de l'harmonie et de la précision. Ces mêmes qualités se retrouvent dans ses vers avec celles qui conviennent plus particulièrement à la poésie. Si nous avons relevé des fautes que la jeunesse de l'auteur rend très-excusables, c'est que nous avons cru devoir le prévenir sur des défauts` dont il lui sera facile de se corriger.

X.

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VARIÉTÉS.

CHRONIQUE DE PARIS.

MŒURS, USAGES, ANECDOTES, etc. Nous approchons d'une époque fort chérie des uns, fort redoutée des autres, suivant l'âge, le rang, les circonstances. Les petits enfans l'aiment beaucoup, passent une moitié de l'année à la regretter, et l'autre à la désirer; et les grands enfans la regrettent une partie de leur vie. Cette époque n'est donc indifférente pour personne. Ceux qui donnent, ceux qui reçoivent, ceux qui souhaitent, ( c'est-à-dire toute l'espèce humaine civilisée) la voient arriver avec des sentimens analogues à leurs diverses positions. Tout le mois de décembre est consacré à différens préparatifs : chacun s'évertue, s'ingénie; chacun étudie son rôle. Ce dernier mois paraît un siècle à l'enfant qui attend avec une impatience égale à la vivacité de ses désirs, les joujoux promis; il a la rapidité de l'éclair pour les tantes et parens collatéraux qui ne voient dans le premier jour de l'an qu'un usage tyranni que dont le respect humain seul les empêche de s'affranchir. Ce premier tableau se répète dans les diverses classes de la société; seulement on y remarque des nuances et quelques changemens de décorations. D'abord c'est le règne des complimens. On a personnifié le compliment : on l'a placé sur un trône porté par l'aile des vents: il promène des regards rians sur la foule qui l'environne, et qu'il nourrit d'encens et de fumée; denrée inépuisable qui malgré l'étonnante consommation qu'on en fait, ne perd jamais de son prix. Autour de lui voltigent les songes flatleurs et l'espérance qui sème les mensonges. Sa main écrit au hasard les bienfaits, les services sur le sable mobile dont l'haleine des vents se plaît à changer, confondre, effacer les traces légères et fugitives. C'est dans les jours qui vont arriver que se compose l'eau la plus limpide et la plus suave; celle dont on fait le plus d'usage, qui rafraîchit le teint, ravive les couleurs, et rend au tissu le plus flétri sa souplesse et son éclat ; celle qui a plus de parfum que l'eau-rose, plus de fraîcheur que la rosée, et plus d'ambroisie que le nectar... En un mot, l'eau bénite de cour, si nécessaire aux petits et si utile aux grands. C'est

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