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POLITIQUE.

ON connaît enfin d'une manière positive les détails des derniers engagemens qui ont eu lieu sur le Danube entre les Russes et les Turcs: une relation générale et officielle a été publiée au quartier-général russe à Giurgewo, le 30 octobre 1811. La voici :

« Le 26 août, le grand-visir avait fait passer, avec une habileté et un courage qui lui font honneur, le Danube à 3000 janissaires, et s'était fortifié sur la rive gauche. Le lendemain matin, nous prîmes, après plusieurs engagemens, une position devant lui, ce qui l'obligea d'augmenter ses forces et d'ajouter à ses retranchemens; nous en fimes autant de notre côté. Les deux armées bivouaquèrent en présence l'une de l'autre et à la portée du canon l'espace de 35 jours, qui furent tous marqués par des combats meurtriers. Des deux côtés on se battit avec tant de valeur et d'acharnement, que le général en cheflui-même, exposé continuellement au feu de l'ennemi, passa tout ce tems sans prendre aucun repos, Cependant il s'était borné jusqu'alors à empêcher les Turcs de faire des incursions dans pays, et n'avait encore rien entrepris contre eux.

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Le grand-visir enhardi par cette faiblesse apparente, qui masquait le véritable plan du général russe, transporta la majeure partie de ses forces dans son camp retranché sur la rive gauche.

» C'est alors que M. Kutusow, prenant à son tour l'offensive, fit passer le Danube un peu au-dessus de Rudschuck, le 2 (14) octobre, à un corps de 7 à 8000 hommes, sous les ordres du lieutenant-général Marckow, qui, marchant sans perdre un instant à l'ennemi, le surprit, culbuta les faibles détachemens de cavalerie qui se présentèrent, et lui enleva son camp. L'armée turque, mise en déroute et saisie d'une terreur panique, se jeta toute entière dans Rudschuck, où, tandis que le général Marckow, dirigeant contre elle sa propre artillerie qu'elle avait abandonnée, lui annonçait la brillante victoire des Russes par une grêle de boulets et de grenades, le général comte de Langeron la foudroyait de l'autre rive avec 100 pièces de canon. Le

MERCURE DE FRANCE, DECEMBRE 1811. 475

résultat principal de ce mouvement brusque et bien con→ certé fut la séparation totale du corps de troupes ottomanes retranché sur la rive gauche d'avec le reste de l'armée. Le butin fait à cette occasion est immense; tout le camp, la tente même du grand-visir, sa chancellerie, celle du divan, ses effets, toute l'artillerie, armes et bagages, un tas de drapeaux, les magasins de toute l'armée, 200 boutiques, avec plusieurs millions de richesses, et un grand nombre de prisonniers, parmi lesquels beaucoup d'officiers de marque, sont tombés en notre pouvoir. Le champ de bataille était couvert de morts et de mourans.

Le grand-visir qui se trouvait en personne sur la rive gauche demanda, le jour même de sa défaite, un armistice; comme il ne lui fut point accordé, il profita la nuit suivante d'une grosse pluie pour se sauver, et gagna Rudschuck dans une nacelle à deux rames que lui avait envoyée Rosniac-Aga, et où il se jetta tout seul. Pendant cette attaque du grand camp, le général en chef en avait ordonné une fausse sur celui de Vely-Pacha, établi le long du Danube vers Turtukay. A l'approche des Russes, ces troupes se retirèrent également dans la ville. Pour détruire alors toute communication entre Rudschuck et le corps ennemi que l'on avait coupé, M. Kutusow fit avancer sa flottille, et la plaça de manière à ce que la plus petite barque ne pouvait passer. On s'empara aussi d'une île où les Turcs avaient établi une batterie qu'on dirigea ensuite contre eux. Le fils de Czapan-Oglou avec quelques autres pachas commande le corps d'armée cerné de Slobodsé. H était déjà réduit à manger ses chevaux, et n'aurait pu résister long-tems au feu continuel de nos batteries, lorsqu'une cessation d'hostilités, ordonnée par le général en chef, suspendit la résolution qu'il allait prendre.

» L'armée du grand-visir, depuis son passage sur la rivei gauche, n'avait pu gagner un pouce de terrain; elle set trouvait totalement bloquée dans ses retranchemens. La cavalerie seule avait essayé quelquefois de percer, mais en se tenant toujours sous la protection des batteries diz camp; elle a été constamment repoussée avec perte. Les deux neveux du grand-visir ont été, l'un tué, et l'autre blessé à mort. Tandis que ces faits d'armes se passaient, les autres détachemens de l'armée russe n'étaient pas oisifs. Le colonel Grekow passa le Danube à Turtukay, emporta cette ville et poussa ses partis jusqu'à Rasgard. Le commandant de la place fut fait prisonnier avec d'autres.

» Le général Gamber passa ce fleuve d'un autre côté, prit Silistria d'assaut avec son artillerie, consistant en huit pièces de canon de cuivre et plusieurs autres de fonte, s'empara de l'arsenal, des barques de transport, eut un butin considérable, fit 1000 prisonniers et poussa sa pointe jusque vers Schumla.

Ismail Bey de Sères, qui, étant entré en Valachie, se tenait sur les bords du Danube, sans pouvoir avancer, fut obligé de repasser ce fleuve. Le lieutenant-général Sass le poursuivit, en se portant aussi sur l'autre rive.

Le général comte Worontzow a effectué son passage près de Widdin.”

Peu de jours après ces événemens, le grand-visir a demandé à rouvrir les négociations. Quelques parlementaires ont d'abord été échangés de part et d'autre. M. Italinsky s'est transféré de Bucharest à Giurgewo, où s'est rendu de son côté le plénipotentiaire turc, et les premiers pourparlers ont eu lieu le jour même du départ du courier qui a apporté ces nouvelles.

Les conditions suivantes ont été publiées comme étant celles de l'armistice conclu à Giurgewo.

L'armistice doit durer pendant le cours des négociations qui vont s'entamer.

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Si contre toute attente, ces négociations n'amènent la paix, les hostilités ne pourront recommencer que 8 jours après la dénonciation qui en sera faite de part oud'autre.

L'armistice existera entre tous les corps des armées russe et turque. L'armistice s'étendra également aux armées de Servie et de Bosnie.

On conservera de part et d'autre les positions où l'on se trouve dans le moment.

Les Russes continueront à bloquer Rudschuk. Les Turcs établis sur la gauche du Danube ne pourront pas quitter leurs positions, et les Russes leur fourniront des vivres pendant toute la durée de l'armistice. Le chevalier Italinsky s'est rendu à Rudschuk près du grand-visir.

L'Empereur Alexandre a ordonné une levée d'hommes. Le manifeste impérial concernant cette levée est ainsi conçu « Alexandre 1er, etc..

» Trouvant nécessaire de tenir notre armée au complet, après avoir entendu le conseil de l'Empire,

Nous ordonnons :

Il sera levé dans toute l'étendue de l'Empire, à l'ex ception des provinces de Bialystock, de Tarnepol et de

la Grusie, quatre recrues sur chaque 500 ames. Cette levée commencera le 1er novembre de la présente année, et sera terminée au 1er janvier 1812. Les dispositions ultérieures, relativement à cette levée de recrues, seront données par le sénat, conformément aux ordonnances précédentes. Pétersbourg, 16 septembre (v. st.) 1811." Signé, ALEXANDRE.

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Un second ukase détermine l'organisation de la garde intérieure de l'Empire; l'Empire est divisé en huit arrondissemens, et chacun d'eux est sous le commandement d'un officier général. L'Empereur Alexandre vient aussi de former un régiment finlandais attachés à sa garde,

De la Suède et du Danemarck, on apprend que l'u nion de ces gouvernemens et l'inconstance de la mer continuent à livrer aux Anglais une guerre qui leur fera regarder comme de dangereuses spéculations les expéditions marchandes dans la Baltique, leur impossibilité d'y tenter des expéditions militaires étant bien reconnue. De nouvelles mesures plus rigoureuses que les précédentes ont été prises en Suède contre les marchandises anglaises et leurs détenteurs; ces marchandises sont sévèrement repoussées à l'introduction; celles qui auraient pu s'introduire sont confisquées. En même tems des coups de vents terribles_ont forcé les Anglais à marquer leur passage à travers les Belts par les tristes débris de leurs naufrages. Dans la nuit du 17 septembre une tempête affreuse s'éleva sur les côtes de la Zélande. Quelques bateaux furent écrasés dans le port d'Elseneur, mais 17 bâtimens ennemis, dont un vaisseau de ligne et deux frégates, ont été jetés sur la côte de l'île de Laadland. Le vaisseau de ligne a été obligé de couper ses mâts pour se remettre à flot; quelques autres navires ont été secourus par le convoi, le reste a été pris. On compte 1300 prisonniers faits par les Danois dans cette occasion. Leurs corsaires font une chasse extrêmement heureuse aux vaisseaux dispersés par la tempête, et séparés des convois dont ils faisaient partie.

L'Empereur d'Autriche était revenu de Presbourg Vienne, où la lettre de ce souverain relative aux affaires de la diète avait produit la sensation la plus vive. Une députation de la diète avait suivi le monarque, et sur la prière qui lui en a été adressée par les Etats de Hongrie, il s'est déterminé à retourner à Presbourg; mais la cour reste à Vienne; on regarde actuellement comme très-prechaine la clôture des séances de la diète.

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Les papiers anglais gardent un profond silence sur les affaires d'Espagne; rien n'est connu par eux de la position critique où se trouvait Ballasteros, des suites du mouvement rétrograde du général Wellington, ou des progrès dans le royaume de Valence du maréchal comte Suchet. Les troubles de Dublin commencent à inquiéter le vernement plus sérieusement que jamais, et peut-être même à le distraire du soin de porter ailleurs ses secours intéressés et sa protection dangereuse. Les troubles se sont étendus en Irlande jusqu'à des comtés qui jusqu'alors avaient joui d'une grande tranquillité : on y procède à des associations mystérieuses qui, sous le voile maçonique ou anti-maçonique, ne paraissent au ministère que des foyers d'insurrection. A Nottingham la maison de M. Hollingsworth a été brisée, les métiers détruits; lui, sa famille et ses amis n'ont échappé à la mort qu'à force de courage et de présence d'esprit. A ce système de destruction des métiers, se joint celui des incendies. Les milices locales prennent les armes pour réprimer ces excès.

Une des choses qui paraissent le plus alarmer le gouvernement, déjà si embarrassé de réprimer ces insurrections et ces excès, est l'esprit qui règne relativement aux affaires des catholiques, et l'inutilité des efforts des agens du gouvernement pour perdre M. Shéridan, le premier des délégués catholiques qui ait été mis en jugement pour prétendues contraventions à l'acte du parlement relatif à leurs assemblées. M. Shéridan a été acquitté. Le Times l'avoue avec beaucoup d'humeur. Toute l'Irlande, dit-il, prenait, ainsi qu'on peut aisément le présumer, le plus vif intérêt à la décision de cette affaire. On peut juger de l'état de l'opinion publique dans cette occasion, par la nécessité où s'est trouvé le procureur-général de récuser vingt-deux membres de la liste du jury, avant de pouvoir former le jury de jugement. La nouvelle ajoute que le docteur a été acquitté par défaut de preuves quant aux faits, et non par aucun doute de la part du tribunal sur la question de droit. C'est cependant un début assez mal-adroit de la part du procureur-général, que cet accusé ait été acquitté, quel qu'en ait été le motif. Dans cet état de choses, il n'est pas probable que la partie publique venille continuer ces procès-là; et le gouvernement irlandais se trouvera dans une situation extrêmement embarrassante! Il sera obligé de laisser suivre aux catholiques une ligne de conduite qui a été signalée comme hostile envers l'Etat.",

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