passage qui a été admiré par tous les connaisseurs dans le dithyrambe du jeune Lavigne : Et sur ces traits souffrans où la beauté respire, Le souris maternel brille parmi des pleurs. La strophe suivante, de M. d'Avrigny, ne répond pas à celle que nous venons de citer. Dieu juste qui plus qu'elle eut droit aux dons heureux Qui plus que le héros digne objet de ses vœux, Règne protégé par tes ailes ? L'oreille ne se familiarise pas aisément avec des sons aussi durs que ceux des premiers vers. Nous ne croyons pas qu'on puisse dire : Qui plus que ce héros règne ? On ne règne que d'une manière absolue, le sens du verbe régner, pris dans son acception ordinaire, n'admet pas de comparaisons à moins qu'elles ne soient déterminées par un adverbe ou par une phrase équivalente. On dit : régner plus ou moins glorieusement, avec plus ou moins de prudence. Le poëte se relève dans les strophes suivantes, qui présentent de beaux rapprochemens. A peine en son printems, mais déjà sans rival, Il s'élançait, armé de ta foudre brûlante ; Les Alpes, sous les pas d'un nouvel Annibal, Bientôt loin de mes bords à ta voix entraîné, Le Jourdain tressaillit, et le Nil étonné Crut encor revoir Alexandre.- · J Encore revoir, forment un pléonasme; revoir dit tout. En général, la fin de cette espèce d'ode ou d'hymne comme on voudra l'appeler, nous paraît inférieure à ce qui précède. On y trouve cette singulière image : Tous les cœurs étonnés ne sont plus qu'un faisceau Que réunit ta main puissante, La seconde partie de ce chant dithyrambique pêche par les longueurs. M, d'Avrigny reprend tous ses avan SEIN 18 tages lorsqu'il célèbre l'heureux instant de la naissance Dans la commune ivresse, L'infortune elle-même a retenu ses pleurs. Voici de quelle manière commence la deuxième ode Dans les cœurs palpitans d'une illustre famille, 9 Par Lucine enchaînée, Une épouse, d'un fils va doter son époux. Ce début pourrait nous dispenser d'un plus long examen. Cette espérance qui brille dans les coeurs palpitans, cette épouse qui dote son époux d'un fils, sont des métaphores tellement dépourvues de justesse qu'elles paraissent d'abord annoncer un écrivain sans expérience, un poëte sans vocation; cependant cette pièce est signée de M. André Murville. Nous ne reconnaissons pas la plume qui a tracé les belles scènes d'Addelazy et Zuleima. La troisième strophe contient ces vers: C'est là que la victoire et la paix consolante, Qui l'atteint tôt ou tard en sa marche plus lente, Qui l'atteint tôt ou tard est horriblement dur. L'auteur Il faut rendre justice à M. Murville, nous avons Mm manière singulièrement énergique la situation actuelle de l'Angleterre. L'Anglais dont un héros a comprimé l'essor, Et qui voit sur son ile en sa détresse urgente Enfler ses magasins et tarir son trésor. Ces deux derniers vers renferment en substance tout ce que M. de Montgaillard a développé dans une brochure in-8°, avec beaucoup de sagacité, de méthode, et quelquefois de prolixitė. La troisième ode ne présente à la critique ni grandes fautes dans le style, ni grandes beautés. La composition nous en paraît bizarre. L'auteur, M. Delrieu, fait descendre aux enfers le héros dont il célèbre les vertus, Il ébranle les voûtes de l'Elysée, l'entrouvre, et fait apparaître le Destin : C'EST LE DESTIN. Sa voix a l'éclat du tonnerre, Nous ne concevons guère comment le Destin presse le globe de la terre sous ses pieds lorsqu'il se présente dans les Champs-Elysées. M. Delrieu n'ignore pas, sans doute, que les anciens plaçaient leur Tartare dans le centre du globe que nous habitons. Ici la position du DESTIN nous paraît très-difficile à déterminer, à moins que le poëte ne l'ait voulu représenter la tête en bas, les pieds en haut ; en effet, il pourrait alors presser sous ses pieds la terre et non pas encore le globe de la terre. D'ailleurs cette suspension a quelque chose de merveilleux, de pittoresque, qui peut plaire à l'imagination d'un poëte ou d'un artiste. Un poëte l'a rendue, nous la proposons aux peintres. Il est encore assez extraordinaire que l'auteur fasse descendre le Destin du haut de l'Olympe au fond du Tartare. Il était plus naturel de transporter la scène dans le palais même du Destin. C'est peut-être parce que nul n'est prophète chez soi, que M. Delrieu n'a pas jugé à propos d'en agir ainsi. Nous ferons ici une observation que la lecture de ces pièces de vers amène à chaque instant : c'est que tout cet appareil mythologique, déjà si usé par les poëtes anciens et modernes, semble plus petit, plus mesquin, plus misérable encore dans des sujets qui doivent se recommander par leur gravité, leur décence et leur noblesse, à l'attention des lecteurs. Nos poëles n'ont-ils pas à leur disposition de véritables trésors dont l'éclat fait pâlir tout ce clinquant suranné? Ne peuvent-ils pas associer à la majesté du trône, à la grandeur du héros qui l'occupe, la pompe et la majesté d'une religion véritablement imposante, et qui seule a établi une véritable alliance entre la terre et les cieux, entre Dieu et les hommes? Ne se lassera-t-on jamais de poursuivre nos yeux, de fatiguer nos oreilles de ces éternelles représentations des divinités mensongères, d'un Olympe souvent ridicule? Verra-t-on toujours figurer sur nos théâtres, dans nos livres, dans tout ce qui nous environne, Mars, Hercule, Vénus, Jupiter, le Destin, et tous les personnages fabuleux de la Grèce crédule, de Rome superstitieuse? L'exemple de plusieurs poëtes distingués qui n'ont pas été chercher hors de leur patrie et de leur siècle un merveilleux tout-à-fait inconvenant, ramènera sans doute le troupeau des imitateurs, servum pecus, dans la bonne voie, dans le chemin de la raison et de la vérité. Nous voici entraînés un peu loin du recueil dont nous avons à rendre compte; nous y reviendrons saus transition. Une ode de ce recueil sur laquelle nous nous arrêterons avec plus de plaisir que sur les dernières dont nous venons de parler, est celle de M. Soumet. Cette ode a de l'éclat, du coloris; quelques strophes contiennent de fort beaux vers. Nous sommes forcés de convenir que ces éloges ne sauraient s'appliquer à la première. La voici : En nuage embaumé l'encens vole et s'exhale`, A promis à la terre un habitant nouveau. Quelle voix a chanté les hymnes du berceau? Les quatre consonnances nasales du premier vers produisent un effet désagréable à l'oreille. Le poëte, parmi toutes les circonstances qui pouvaient annoncer le grand événement célébré par sa muse, choisit justement la plus petite, celle qui doit se présenter la dernière à l'imagination. Il voit d'abord fumer l'encens! l'autel s'orne de fleurs. Cette circonstance est encore trop peu importante et exprimée d'une manière trop vague, où est cet autel? par quelles mains est-il orné de fleurs? La cloche baptismale, il ne s'agit pas encore de baptiser le royal enfant, mais de rendre grâce au ciel de sa naissance. Un habitant nouveau, c'est ce que l'on dirait en parlant d'un enfant vulgaire, du fils d'un bon bourgeois. Que Lutèce contemple, quoi! Lutèce contemple cet enfant avant que le bruit du canon ou des cloches ait annoncé qu'il voit la lumière! on me le montre exposé aux regards de Lutèce avant d'avoir représenté son auguste père arretant sur lui ses regards pleins de l'ivresse du bonheur ! Cette circonstance n'est pas ici à sa place. Sous les portiques du temple, nous ne croyons pas qu'il arrive souvent de chanter sous les portiques du temple, mais bien sous les voûtes, dans l'intérieur du sanctuaire. Les hymnes du berceau, cette expression est maniérée. Elle appartient à cette école moderne plus jalouse de briller le faste des mots que par la sagesse des pensées et la vérité des images. par La seconde strophe n'est pas plus que la première à l'épreuve d'un pareil examen, elle commence ainsi : Tout-à-coup l'air frémit, l'airain s'allume et gronde. Le frémissement de l'air n'est pas encore la première chose qu'il fallait exprimer. Le retentissement du canon' doit le précéder et non le suivre. C'est une vérité physique qui n'a pas besoin de démonstration. Au pied du fils des rois tombent les rois du monde. |